Cours Général: le Droit International entre souveraineté et communauté internationale

AuthorAlain Pellet
PositionProfesseur à l'Université Paris X-Nanterre; Membre et ancien président de la CD.I.
Pages10-75

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La formation du Droit Internacional
  1. C'est en 1929 que fut donné le premier cours générai (ou plutôt les premiers cours généraux car il y en eut deux la même année2) de droit international public à l'Académie de Droit international de La Haye, qui venait d'être créée (en 1923) sous les auspices de la Fondation Carnegie. Soixante-seize ans plus tard, commence ce premier cours d'hiver de droit international organisé dans le cadre de la Faculté de Droit de l'Université fédérale de Minas Gerais, sans l'aide d'une fondation américaine, mais grâce à la formidable énergie déployée par le professeur Leonardo Nemer Brant auquel, à l'ouverture de ces cours, je tiens à rendre un hommage personnel et spécial,

  2. Je me souviens avec émotion d'un étudiant un peu timide, ne parlant pas bien français, plutôt porté sur le droit constitutionnel que sur le droit international public, qui, il n'y a pas si longtemps, est venu me demander de diriger sa thèse à l'Université de Paris X-Nanterre. Cet étudiant, c'était Leo Brant et, pour dire la vérité, je ne l'ai pas accueilli à bras ouverts. Je suis, chaque année, l'objet de très nombreuses demandes de ce genre et l'idée de ma charger d'une nouvelle direction de thèse, au résultat fort incertain, ne m'enthousiasmait guère. Mais par son opiniâtreté, sa motivation, sa gentillesse aussi, Leo Brant a fini par me faire fléchir.

  3. Heureusement car, quatre ans plus tard, malgré mon scepticisme initiai, il soutenait une belle thèse de pur droit international, dans un français solide sur L'autorité de la chose jugée en droit international, une thèse qui non seulement a reçuPage 11les meilleures mentions que décernent les Universités françaises, mais aussi qui a été jugé digne d'une subvention d'impression accordée par le Ministère français de l'Éducation nationale (qui n'est pourtant pas très généreux), et qui, grâce à cela, a pu être publié à la fois en français en France3 et en portugais (à moins que ce ne soit en brésilien?...) au Brésil4.

  4. Une fois sa thèse soutenue, ce jeune enseignant-chercheur enthousiaste est reparti au Brésil et a repris un poste de professeur de droit international à Belo Horizonte où il déploie une activité vraiment exceptionnelle au service du droit international. Tout de suite après son retour, il a créé le CEDIN (Centre de Droit international du Minas Gerais) sur le modèle du CEDIN de Nanterre que je dirigeais alors - ce qui m'a beaucoup touché. Ont suivi les très fameux «Congrès de Droit international» de Belo, l'Annuaire brésilien de droit international dans lequel ces cours seront publiés et ces cours eux-mêmes qu'inaugurons aujourd'hui et auxquels je souhaite (et prédis) d'ores et déjà une longue et belle vie.

  5. Car ce jour est un grand jour international à maints égards. D'abord pour le droit

  6. Oh, bien sûr, ce ne sont pas les premiers cours de droit international créés en dehors du cursus universitaire normal J'ai parlé de ceux de La Haye, il y en a d'autres comme, par exemple, ceux de Thessalonique en Grèce, ou ceux de Castellon en Espagne dont j'ai également eu le privilège de faire le premier cours général en 1997-je dois être abonné aux cours inauguraux!

  7. Mais tous ces cours, «d'été», sont donnés dans l'hémisphère nord et singulièrement en Europe. Or nous sommes réunis pendant ces trois semaines dans le sud d'un autre continent et le très grand nombre d'inscrits (plus de 350 m'a-t-on dit) montre que cette initiative correspond à un besoin profond et à une «soif» de droit international extrêmement encourageante à un moment ou celui-ci est peut-être menacé, dans son existence même par l'indifférence (pour dire le moins) que lui marque Phyper-puissance dans un monde redevenu unipolaire, Il est significatif et réconfortant que cet évènement ait lieu au Brésil, un pays qui m'est particulièrement cher pour de multiples raisons, mais aussi une grande puissance régionale qui aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité.

  8. C'est aussi un grand jour pour moi puisqu'il m'appartient de vous présenter le premier cours général de ces nouveaux Cours, C'est un honneur, c'est un plaisir -mais c'est aussi une lourde responsabilité - mais une responsabilité queje partagePage 12avec vous - car c'est de nous, les enseignants que le CEDIN a su réunir et qui sont fort prestigieux (je me mets à part: je ne suis là, je l'ai dit, que grâce à l'amitié de Leo Brant!), mais aussi de vous, chers étudiants, venus des quatre coins du Brésil mais aussi de l'Amérique latine, et même d'Europe, que dépend l'avenir de cette formidable initiative.

  9. J'ai essayé de réfléchir, en ce qui me concerne, à la meilleure façon de m'y prendre,

  10. On m'a demandé de vous présenter un «cours général». Cela se fait ailleurs, et d'abord à La Haye el à Castellón. Mais faut-il se borner à réinventer une sorte d'Académie de Droit international décentralisée et à donner au cœur du continent sud-américain, un cours général sur le modèle de ce qui se fait sur les bords de la mer du Nord?

  11. II est assurément inévitable d'avoir ce vénérable précédent à l'esprit-- et peut-être même Leo Brant l'avait-il un peu trop en tête lorsqu'il alancé l'idée de ces Cours d'hiver alors même que îa formule, qui ne s'est guère renouvelée depuis trois quarts de siècle, a tout de même un peu vieilli et que nous sommes dans des conditions et un environnement différents. Ceux-ci devraient, je crois, nous pousser à être plus «conviviaux», ce qui, d'ailleurs, correspond et au «génie» brésilien et à mon propre tempérament.

  12. Ceci étant, vous êtes très nombreux - c'est la rançon du succès de ce nouveau projet - et il faut trouver un juste équilibre entre ce que je peux essayer de vous apporter ex cathedra et un dialogue que je souhaite aussi ouvert que possible. Voici donc ce que je vous propose:

    - d'abord, si vous n'avez pas compris quelque chose, n'hésitez pas à m'interrompre pour me demander de ré-expliquer, je le ferai volontiers;

    - mais si vous n'êtes pas d'accord avec ce que j'aurai dit ou si vous souhaitez en savoir plus sur un point particulier, je vous demande de ne pas m'interrompre, de noter ce que vous avez à dire et de le dire lorsque je m'interromprai pour vous laisser la parole; je le ferai de temps en temps pour vous permettre d'intervenir. En outre, si vous en ressentez le besoin, nous pouvons décider de consacrer deux ou trois fois une demi-heure à la discussion d'un thème précis - je vous en proposerai quelques-uns (je pense, par exemples, à la question de la composition du Conseil de sécurité - qui peut vous intéresser particulièrement étant données les ambitions brésiliennes que j'évoquais il y a un instant - ou au concept de «démocratie internationale»); si ces thèmes ou d'autres, vous intéressent, je préparerai une petitePage 13introduction aussi «provocatrice» que possible pour lancer une libre discussion - mais de 30 minutes chaque fois, pas plus.

  13. Sur le fond, nous disposons en tout d'un peu moins de 15 heures pour, en principe, faire le tour du droit international public au début du XXPème siècle. Il va de soi que c'est une gageure - et une gageure qui n'est pas tenable; d'ailleurs les auteurs des cours généraux de La Haye ré-écrivent leurs cours ex post après l'avoir dispensé (ce que je n'ai pas l'intention de faire - celui-ci sera publié, dans l'Annuaire brésilien du droit international, presque sous la forme sous laquelle je l'aurai fait; je n'y ajouterai que les notes de bas de page nécessaires pour faire, si possible, «sérieux»).

  14. Je vais m'efforcer de vous présenter, de la manière la plus ordonnée possible, certains des problèmes qui, en ce tout début du vingt-et-unième siècle, me paraissent, non pas forcément les plus importants, mais les plus typiques ou les plus révélateurs de ceux auxquels le droit international contemporain est affronté et qui témoignent le plus clairement à la fois de la permanence de ses techniques et des tendances nouvelles qui le caractérisent.

  15. Encore une fois, et contrairement aux cours généraux de La Haye, celui que je vais faire n'a pas l'ambition de présenter tout le droit international, fût-ce superficiellement. Plus modestement, je me cantonnerai à la seule question de la formation du droit international5/ et, à travers ce thème, je me propose de dégager quelques lignes de force du droit des gens contemporains, en essayant de déterminer où se trouvent les...

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