Le rapport entre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité à la lumière de l'article 12, paragraphe 1, de la Charte de Nations Unies

AuthorLeonardo Nemes Caldeira Brant
PositionPrésident du Centre de Droit International - GEDIN - Professeur â l'Université Fédérale de Minas Gerais - UFMG et à l'Université Catolique de Minas Gerais PUC/MG Brásil
Pages38-44

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Il est certain qu'au même titre que le Conseil de sécurité, l'Assemblée générale peut, sur la base des articles 10, 11, paragraphe 2, 14 et 35, paragraphe 1, de la Charte, être saisie par tout membre de l'Organisation ou par le Conseil sur un différend ou une situation susceptibles de menacer le maintien de la paix ou de la sécurité internationales2. Cela étant, l'Assemblée générale peut adopter des recommandations sur ces questions et suivant les termes de l'article 14 de la Charte «recommander les mesures propres à assurer l'ajustement pacifique de toute situation »3, En fait l'Assemblée utilise très largement cette compétence et sa production est supérieure à celle du Conseil La question qui se pose alors est celle de savoir comment préserver la coordination entre les organes des Nations Unies, compte tenu cie la différence des équilibres et des approches politiques entre eux4.

En réalité, la Charte ne place pas l'Assemblée et le Conseil sur un pied d'apparente égalité, comme le faisait le Pacte de la SDN5. Au contraire, elle consacre et organise la primauté de l'organe restreint sur l'organe plénier6. En fait, l'article 24 de la Charte témoigne de la responsabilité principale du Conseil en matière de maintien de la paix. Ainsi a-t-il à cet égard la faculté d'imposer aux États «l'obligation explicite dePage 39se conformer aux ordres qu'il peut émettre au titre du Chapitre VII » et à cette fin, se «prescrire des mesures d'exécution par une action coercîtive ». En effet, l'article 24 fait mention d'une compétence principale mais n'exclut pas une compétence concurrente et résiduelle de l'Assemblée7.

La question qui se pose alors est celle de savoir ce qu'on entend par le mot «principale ». En effet, afin de remédier aux inconvénients d'un parallélisme absolu des compétences de l'Assemblée et du Conseil et comme garantie de ja prépondérance de ce dernier, l'article 12, paragraphe 1, de îa Charte, impose à l'Assemblée l'obligation de ne faire aucune recommandation sur les affaires, différends ou situations qu'examine le Conseil8. Suivant cette disposition, qui se trouvait déjà dans les propositions de Dumbarton Oaks9, l'Assemblée refusa, durant sa quatrième session, de recommander certaines mesures concernant la question Indonésienne, au motif, entre autres, que le Conseil demeurait saisi de la question10.

Toutefois, il faut pourtant bien reconnaître que l'article 12, paragraphe 1, de la Charte n'institue aucune restriction quant au fond aux compétences de l'Assemblée. Elle interdit seulement d'exercer un certain type de compétences - les recommandations - tant que le Conseil de sécurité remplit les fonctions qui lui sont attribuées par la Charte. Cela signifie que dans ces circonstances l'Assemblée peut discuter et que seule la conclusion du débat doit être reportée.

En revanche le Conseil de sécurité n'est, quant à lui, soumis àaucune restriction comme celle prévue par l'article 12, paragraphe 1. Celui-ci peut, à tout moment, exercer la plénitude de ses compétences dans le domaine de la paix et de la sécurité. Bien plus, à supposer que le Conseil se saisisse d'un différend ou d'une situation dont traite déjà l'Assemblée, l'application de I' article 12, paragraphe 1, aboutit à ce que celle-ci ne puisse plus faire de recommandations sur ce différend ou cette situation, à moins que le Conseil ne le lui demande

11.

En effet, l'Assemblée est en mesure de faire des recommandations lorsque le Conseil lui demande expressément de prendre position, ou lorsqu'il a éliminéPage 40l'affaire de son ordre du

12. Cela étant, le Conseil lui même raya à plusieurs reprises certains points de son ordre du jour afin de permettre à l 'Assemblée de déliberer su ceux-ci. L'affaire concernant la question espagnole13, l'affaire concernant certanins incidents à la frontière grecque14 ou même l'affaire concernant certains incidents à l'ile de Taiwan (Formose)15 en sont des bons exemples Dans le cas de la République de Corée, le Conseil décida le 31 janvier 1951 de retirer le point pertinent de la liste des questions dont il était saisi afin de permettre à l' Assemblée de délibérer à cet égard16.

Mais quelle est la portée de l'interdiction prévue dans l'article 12, paragraphe 1, de la Charte? Tout d'abord il faut bien reconnaître qu' elle est applicable uniquement en ce qui concerne le rapport entre l' Assemblée et le Conseil. Il n' existe pas de dispositions conventionnelles concernant le rapport entre ces organes politiques et les autres organes des Nations Unies, notamment la Cour internationale de Justice.

Cela signifie que rien n'empêche la Cour d'examiner des différends ou des situations en même temps que le Conseil remplit ses fonctions. Il est clair que l' exception de litispendance ne s'applique pas17. Toutefois, en matière de paix et sécurité, l'action juridictionnel. Bref, la Cour ne possède pas le pouvoir de décider ex officio au sujet de son agenda18. En matière contentieuse sa juridiction dépend de la volonté des parties19 et en matière consultative elle ne peut être saisie que par une demande de tout organe des Nations Unies ou toute institution spécialisée qui y aurait été autorisé par l'Assemblée générale20.

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La question se pose donc de savoir si «l'interdiction de voter une recommandation doit être entendue, au sens large, comme signifiant l'interdiction de voter n'importe quelle résolution concernant le fond du différend ou de la situation ou, dans un sens plus étroit, comme l'interdiction de voter une résolution contenant effectivement des recommandations sur la manière de contribuer à la résolution pacifique du différend ou de la situation »21?

La réponse demande quelques précisions. En effet, il n'existe pas d'interdiction in abstracto. le pouvoir de l'Assemblée de faire des recommandations doit être limité uniquement quand il s'agit du traitement d'une question spécifique concernant le maintien international de la paix. L'article 12, paragraphe 1, ne s'applique pas à l'égard des questions générales, ni à l'égard d'une partie d'un différend ou d'une situation qui n'est pas vraiment liée d'une manière directe au maintien de la paix. En d'autres termes, alors que le Conseil privilégie des questions touchant à la paix et à la sécurité internationales, l'Assemblée les envisage sous un angle plus large et en examine également les aspects humanitaires, sociaux et économiques.

S'agissant de la pratique de l' Organisation des Nations Unies, l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité interpréterent et appliquerent l'un et l'autre l'article 12, paragraphe 1. Cette coordination a évolué par la suite et ce texte a été interprété d'une manière plus souple. Ainsi, «si l' on considère que, sur la base de ces précédents, l'interprétation - implicite - de l'article 12, paragraphe 1, était qu'une affaire ne devait même plus figurer à l'ordre du jour du Conseil pour pouvoir faire l'objet d'une recommandation de l'Assemblée, la résolution 377 (V) « Union pour le maintien de îa paix » institue un mécanisme qui va à l'encontre de cette interprétation »22. Celle-ci prévoit d'une part que le Conseil de sécurité peut saisir l'Assemblée et réclamer la réunion d'une session extraordinaire chargée d'examiner une...

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