Volatilité des revenus salariaux et volatilité de l'emploi chez les jeunes en Europe

Date01 March 2019
AuthorSara AYLLÓN,Xavier RAMOS
Published date01 March 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12113
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 1
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Faculté d’économie, Université de Gérone (Espagne), membre du groupe de recherche
EQUALITAS (auteure référente); sara.ayllon@udg.edu. ** Faculté d’économie appliquée, Uni-
versité autonome de Barcelone, membre du groupe de recherche EQUALITAS; xavi.ramos@uab.
cat. Les auteurs ont reçu un nancement du programme européen pour la recherche et l’innova-
tion Horizon 2020 (convention de subvention no 649 395), en lien avec le projet Negotiate (Over-
coming early job-insecurity in Europe – Lutter contre la précarité de l’emploi chez les jeunes en
Europe). Ils ont également reçu des fonds dans le cadre des projets ECO2016-76506-C4-4 -R et
2017-SGR-1571. Ils remercient de leurs observations fort utiles les participants à la réunion du pro-
jet Negotiate de septembre 2015 (Athènes) et ceux de la 28e Conférence de l’European Associ-
ation of Labour Economists (EALE) (Ghent, septembre 2016).
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Volatilité des revenus salariaux
et volatilité de l’emploi
chez les jeunes en Europe
Sara AYLLÓN* et Xavier RAMOS**
Résumé. Les auteurs fournissent de nouveaux éléments d’appréciation sur la vola-
tilité des revenus salariaux et de l’emploi chez les jeunes Européens après la crise
de 200 8. L’analyse, qui repose sur des données de la base EU-SILC (2004-20 13),
révèle des différences de niveaux et de tendances importantes entre les pays. Sans
surprise, l’instabilité augmente après la crise, mettant n au recul enregistré pré-
cédemment. Une analyse de variance montre que les jeunes des pays d’Europe
méridionale sont particulièrement exposés à la volatilité de l’emploi. Une régres-
sion à effets xes permet d’associer certaines institutions (prestations de chômage
et législation protectrice de l’emploi) à une baisse de l’instabilité.
L’instabilité fait peur. Elle est pénalisante à bien des égards sur le plan
économique, avec des conséquences sur l’éducation (Kodde, 1986;
Snow et Warren, 1990), la santé (Caroli et Godard, 2016), la consommation
et l’épargne (Guiso, Jappelli et Terlizzese, 1992; Meghir et Pistaferri, 2011),
l’accès à la propriété (Haurin, 1991), la pérennité de l’union conjugale (Bec-
ker, Landes et Michael, 1977) et, de manière générale, le niveau de bien-être
(Clark, Frijters et Shields, 2008). Pour les jeunes, la stabilité économique joue
un rôle essentiel dans l’accès à l’indépendance (Becker et coll., 2010; Mat-
sudaira, 2016), à la parentalité (Del Bono, Weber et Winter-Ebmer, 2012 et
2015) et au mariage (de la Rica et Iza, 2005). Dans notre article, nous fournis-
sons de nouveaux éléments d’appréciation sur les conséquences de l’instabilité
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économique, vue sous le prisme de la volatilité des salaires et de la volatilité
de l’emploi (soit les ux sur le marché du travail), en Europe après la crise de
2008 (Great Recession dans la littérature en anglais). Dans cette étude, nous
nous concentrons sur la jeunesse, groupe le plus touché par la récession éco-
nomique profonde qui a sévi alors.
On recense toujours plus d’études consacrées à la volatilité des revenus
(Ziliak, Hardy et Bollinger, 2011; Venn, 2011; Cappellari et Jenkins, 2014). La
plupart se concentrent sur la situation de la population masculine d’âge très
actif (Baker et Solon, 2003; Daly et Valletta, 2008; Shin et Solon, 2011; Shin,
2012), même si les femmes sont aussi prises en compte dans certaines analyses
plus récentes (Dynan, Elmendorf et Sichel, 2012; Cappellari et Jenkins, 2014).
Quant à la situation des jeunes, plus sensibles à l’instabilité économique que
les autres tranches d’âge en principe, elle reste peu traitée. Or cette instabi-
lité conditionne certainement les décisions et les investissements de la vie. De
plus, les travaux précédents portent principalement sur des pays particuliers et
s’arrêtent juste avant la période de la crise. Notre étude complète les résultats
existants sur deux points essentiels: premièrement, nous fournissons une ana-
lyse systématique sur le sujet dans 28 pays européens et, deuxièmement, notre
analyse couvre la période qui précède la crise de 2008 mais aussi celle qui suit.
Venn (2011) étudie la volatilité des gains dans un groupe de pays européens
(certes important, mais moins nombreux que le nôtre), en s’appuyant comme
nous sur les statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions
de vie (base EU-SILC). Cependant, comme dans toutes les études précédentes,
son analyse s’arrête avant la crise. En outre, cette auteure utilise une mesure
de la volatilité plutôt rudimentaire. Sologon et O’Donoghue (2014) examinent
la situation dans une série de pays européens également plus limitée que la
nôtre, dans les années 1990. Ils s’intéressent eux aussi à la relation entre les
institutions du marché du travail et la volatilité des revenus, mais, comme la
plupart des auteurs avant eux, ils limitent l’analyse aux hommes d’âge très actif.
Par ailleurs, nous procédons comme dans les dernières études sur le sujet,
en prenant en compte dans notre mesure de l’instabilité non seulement les re-
venus positifs mais aussi les revenus nuls. De cette façon, nous pouvons enre-
gistrer l’importance des transitions vers et depuis l’emploi, ou «volatilité de
l’emploi». Un autre intérêt de cette méthode, c’est qu’elle est particulièrement
adaptée à la série de données que nous construisons à partir de la base EU-
SILC, dans laquelle la dimension du panel est courte puisque les individus sont
observés pendant quatre années consécutives au maximum.
Nos résultats font apparaître de fortes disparités d’un pays à l’autre en
ce qui concerne le niveau et la tendance de l’instabilité chez les jeunes et,
plus particulièrement encore, de la volatilité de l’emploi. Il est par conséquent
difcile de constituer des regroupements de pays véritablement signicatifs.
Comme on pouvait s’y attendre, la crise élève la volatilité chez les jeunes
Européens, mettant un point d’arrêt à la tendance vers plus de stabilité de
la période de prospérité précédente. À quelques exceptions près, la volati-
lité chez les jeunes semble rester insensible au sexe, à l’âge et même – ce qui
Volatilité des revenus salariaux et de l’emploi chez les jeunes en Europe 89
surprendra sans doute davantage – au niveau de diplôme. Un exercice de dé-
composition de la variance nous permet en outre d’isoler la part de la variance
totale de la volatilité de l’emploi qui doit être mise sur le compte de la volati-
lité des revenus salariaux, et celle qui dépend des ux sur le marché du travail.
Cette opération montre que la volatilité des gains joue un rôle plus important
dans les pays du nord de l’Europe, alors que les jeunes des pays du sud sont
plus exposés aux ux vers et depuis l’emploi.
Les institutions sont une caractéristique importante des marchés du tra-
vail européens. Elles ont une inuence déterminante sur certains indicateurs
essentiels du marché du travail. Nous nous sommes donc intéressés à la rela-
tion entre les institutions du marché du travail et la volatilité, en nous appuyant
dans l’analyse sur une régression à effets xes. Nous démontrons de cette façon
que des prestations de chômage plus généreuses et une législation plus pro-
tectrice de l’emploi peuvent être associées à une volatilité réduite (revenus et
emploi). Nous conrmons donc ici l’hypothèse selon laquelle ces deux institu-
tions élèvent la qualité des appariements sur le marché du travail et limitent
de ce fait l’instabilité.
Notre article compte cinq parties. La première est consacrée à la présen-
tation de nos données; la deuxième, à la méthode que nous avons utilisée pour
mesurer la volatilité. Dans la troisième partie, nous donnons la tendance de la
volatilité des revenus salariaux et de l’emploi telle qu’elle se dégage de notre
analyse, pour tous les pays européens de notre échantillon, et nous cherchons
à comprendre ce qui se cache derrière ces résultats par une analyse de la va-
riance. Nous nous intéressons ensuite à la relation entre volatilité et institu-
tions du marché du travail, en procédant à une analyse multivariée (modèle
à effets xes). Dans notre cinquième et dernière partie, nous présentons nos
conclusions et énumérons quelques pistes pour la recherche à venir.
Série de données
Pour rassembler nos données, nous avons utilisé toutes les vagues de l’étude
EU-SILC, sous sa forme longitudinale, qui étaient disponibles au moment de
la rédaction du présent article. L’enquête EU-SILC a ceci d’intéressant qu’elle
recueille des informations détaillées sur les gains et les caractéristiques socio-
économiques et démographiques des individus et des ménages. En outre, les
données sont comparables pour tous les pays couverts par l’enquête. Dans la
plupart d’entre eux, cependant, les individus ne sont suivis que pendant quatre
vagues consécutives. En effet, un quart de l’échantillon (qui est de type rotatif)
est remplacé chaque année. Par conséquent, nous observons un même individu
trois fois au maximum. Nous avons constitué notre ensemble de données grou-
pées en partant du dernier enregistrement pour un groupe rotationnel donné
(Iacovou et Lynn, 2013). De cette façon, nous sommes sûrs que les modica-
tions dans la façon de recueillir l’information d’une vague à l’autre restent sans
incidence sur nos résultats: la même méthode longitudinale a été appliquée à
toutes les observations individuelles qui apparaissent dans l’enregistrement.

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