Une pratique hybride des réformes: politiques sociales et politiques du travail en Uruguay de 1985 à 2008

AuthorFernando FILGUEIRA,Pablo ALEGRE
DOIhttp://doi.org/10.1111/j.1564-9121.2009.00065.x
Date01 September 2009
Published date01 September 2009
Revue internationale du Travail, vol. 148 (2009), no 3
Copyright © Auteur(s) 2009
Compilation et traduction des articles © Organisation int ernationale du Travail 2009
Une pratique hybride des réformes:
politiques sociales et politiques du travail
en Uruguay de 1985 à 2008
†Pablo ALEGRE* et Fernando FILGUEIRA**
Résumé. Depuis son retour à la démocratie en 1985, l’Uruguay a connu des trans-
formations radicales. Des adaptations par défaut au nouveau contexte international
ont été combinées à des réformes en faveur du libre marché, avec une forte hétéro-
généité quant au rythme et au contenu des changements. A la différence des autres
pays de la région, l’Uruguay n’a pas suivi une voie de réforme strictement néolibé-
rale, mais une voie hybride. A la fin de la période, le résultat en est un régime du tra-
vail libéralisé et un système de politiques sociales à trois niveaux où coexistent le
marché, l’ancien Etat social corporatiste et le nouvel Etat social fondé sur le ciblage
des bénéficiaires.
es transformations qu’a vécues l’Uruguay depuis 1985 dans les domaines
Lpolitique, économique et social ont profondément bouleversé le pays. Les
réformes en faveur du libre marché ont connu des avancées et des reculs, sans
s’inscrire dans un mouvement continu. L’édifice social comprend trois niveaux et
y cohabitent, sans véritable articulation, le marché, l’ancien Etat social et le nou-
vel Etat social par ciblage. Ces transformations ont impliqué un découplage de
plus en plus marqué entre l’intensité, la nature et la répartition du risque social,
d’une part, et, l’action publique en matière de protection sociale, d’autre part.
Il faut signaler deux changements fondamentaux dans le domaine du mar-
ché et celui de la famille. D’un côté, au début des années 2000, le marché du travail
* Pablo Alegre est décédé le 20 septembre 2009 à 27 ans seulement, après une longue lutte
contre le cancer, et alors que cet article en était aux derniers stades de sa mise au point. Il était
chercheur du Programme sur l’intégration, la pauvreté et l’exclusion sociale (IPES), Université
catholique d’Uruguay, Montevideo. ** Fernando Filgueira est fonctionnaire à la Commission
économique pour l’Amérique latine (CEPAL), affaires sociales, courriel: ffilgueirap@gmail.com.
Cet article n’est pas seulement une part de l’héritage de Pablo Alegre, c’est aussi un hommage à
sa mémoire et un témoignage de ses grandes capacités. Perdre quelqu’un d’aussi jeune est toujours
douloureux, mais cela est encore plus douloureux, connaissant les immenses qualités humaines et
intellectuelles de Pablo.
Les articles paraissant dans la RIT, de même que les désignations territoriales utilisées, n’en-
gagent que les auteurs et leur publication ne signifie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont
exprimées.
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commence à présenter des signes clairs de chômage structurel et de précarisa-
tion des relations d’emploi. D’un autre côté, les dispositifs familiaux deviennent
notoirement plus instables et de nouveaux modes de fonctionnement familiaux
font leur apparition, notamment ceux qui sont liés au fait que les femmes sont
chefs de famille. A ces deux grandes transformations de la famille et du marché
s’en ajoutent d’autres qui leur sont liées. Le modèle familial devient plus flou et
les familles doivent comprendre deux ou plus de leurs membres en activité pour
conserver un niveau de vie correct. Ce changement est indissociablement lié à
l’entrée en masse des femmes sur le marché du travail. De même, le processus
de désindustrialisation bouleverse la structure des qualifications et des compé-
tences demandées aux travailleurs, élevant le seuil du niveau d’instruction et
d’accumulation du capital humain nécessaire à une pleine insertion sur le mar-
ché du travail. Le poids de l’«hérédité sociale» commence à se manifester avec
plus de rigueur pour les personnes sans actifs sociaux suffisants qui sont mar-
ginalisées, au chômage ou dans la pauvreté. Ainsi une nouvelle structure des
risques sociaux apparaît.
L’architecture de l’Etat social ancrée dans l’emploi formel typique (stable
et protégé) et ses catégories professionnelles, fondées sur l’homme chef de fa-
mille et sur l’hypothèse de la stabilité du modèle biparental nucléaire, se trouve
radicalement dissociée de cette nouvelle structure des risques. Cela ne veut pas
dire qu’il faut mésestimer l’héritage positif de ce modèle. Il a gara nti jusqu’ici la
protection de base du troisième âge. Mais c’est aussi du fait de cet acquis du pas-
sé que le risque est transféré de façon massive vers les tranches d’âge plus jeunes
et les femmes, spécialement lorsqu’elles sont chefs de famille. L’Etat s’est adap-
té à ce changement de la répartition du risque social de façon lente, fragmen-
taire et par moment contradictoire, aggravant les problèmes entre générations
et couches sociales.
Presque 60 pour cent des dépenses sociales sont affectées au troisième âge
sous la forme de transferts de revenus. La majorité de cette dépense sociale bé-
néficie à ceux qui ont connu une insertion formelle, stable et de longue durée sur
le marché du travail. Dans un contexte de vieillissement de la population, les dé-
penses de santé sont aussi fortement orientées vers cette population, avec le
développement de modèles de fortes spécialisations et de complexité technique
pour le traitement des maladies cardio-vasculaires et dégénératives. Ici encore,
le système de santé est fondé sur des assurances associées à l’emploi et dont la
couverture se rétrécit à mesure qu’augmentent ou se consolident les niveaux
d’informalité de l’économie. La forte proportion de mères et d’enfants vulné-
rables, qui sont dans une situation où les revenus sont faibles, les emplois for-
mels rares et les risques sanitaires élevés, ne trouvent pas d’aides adaptées à leur
cas dans l’architecture actuelle du système de protection sociale.
S’agissant de l’éducation, la réalité est sensiblement différent e. Ici, l’archi-
tecture du système est allée à la rencontre de la structure du risque, du moins
jusqu’en 2000: écoles à temps complet dans les secteurs les plus vulnérables,
quasi-universalisation de l’enseignement préscolaire pour les enfants de 4 et 5 ans,
promotion de l’enseignement secondaire montrent un effort qui, avec des hauts

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