Travailler ou ne pas travailler: la motivation professionnelle autre que pécuniaire et ses prédicteurs, une question d'époque

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12127
Published date01 June 2019
Date01 June 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Département de sociologie et d’anthropologie, Institut universitaire de la vallée de Jezréel
et Centre d’étude des entreprises et de la gestion des ressources humaines, Université de Haïfa;
moshes@yvc.ac.il. ** Président, Institut universitaire Max Stern de la vallée de Jezréel et Centre
d’étude des entreprises et de la gestion des ressources humaines, Université de Haïfa; iharpaz@
econ.haifa.ac.il. La présente étude a été réalisée avec le concours de l’US-Israel Binational Science
Foundation et de l’Association israélienne d’aide aux instituts de recherche. Les auteurs tiennent
à remercier ces institutions de leur contribution.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Travailler ou ne pas travailler:
la motivation professionnelle autre que
pécuniaire et ses prédicteurs,
une question d’époque
Moshe SHARABI* et Itzhak HARPAZ**
Résumé. Pour mesurer la motivation professionnelle autre que pécuniaire, on de-
mande généralement aux gens s’ils continueraient à travailler s’ils gagnaient au loto.
Les auteurs rappellent les conclusions des études menées sur la base des réponses
à cette question dans différents pays dont Israël, tout en recherchant l’inuence en
la matière des variables démographiques et des différentes dimensions du sens du
travail. Ils constatent un net recul de la motivation professionnelle autre que pécu-
niaire au nouveau millénaire, et une évolution des facteurs en cause. Ils analysent
ces résultats et leurs effets potentiels sur le travail et l’emploi au regard de l’évolu-
tion économique et sociale en Israël.
Dans les sociétés industrielles et postindustrielles, le travail joue un rôle
fondamental dans la vie des individus, qui lui accordent une place très
importante si l’on considère le temps qu’ils passent effectivement à travailler,
à rechercher un emploi ou à se préparer et s’adapter au monde du travail, que
ce soit par l’éducation, la formation ou le perfectionnement professionnel. La
plupart des gens voient le travail et ce qu’il leur procure comme un élément
essentiel de leur vie, et un moyen primordial pour satisfaire un certain nombre
de besoins. Le point de vue dominant sur le sujet est que le travail répond à un
objectif économique ou instrumental: les gens travaillent pour assurer leur sub-
sistance et satisfaire leurs besoins matériels. Vient ensuite l’idée que le travail
fait partie de la nature humaine et des besoins de l’humanité. Enn, d’aucuns
considèrent que le travail repose d’abord sur des facteurs sociopsychologiques
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ou «intrinsèques» et mettent l’accent sur la contribution du travail à l’identité
personnelle, aux relations sociales, à l’estime de soi, à la position sociale et au
sentiment de réalisation (MOW International Research Team, 1987; Rosso,
Dekas et Wrzesniewski, 2010; Sharabi, 2015). Le fait que le travail occupe une
place centrale dans la vie de la plupart des adultes amène à s’interroger sur
le rapport au travail. Le sentiment des gens à l’égard de leur travail, la façon
dont ils le conçoivent et l’idée qu’ils s’en font, et plus généralement le sens
que le travail a pour les uns et les autres, ont ainsi fait l’objet de nombreuses
recherches (MOW International Research Team, 1987; England, 1991; Sharabi
et Harpaz, 2010; Rosso, Dekas et Wrzesniewski, 2010).
Dans le cadre de l’étude sur les valeurs des Européens (European
Values Study) de 1999, moins de 20pour cent des personnes interrogées, tous
pays européens confondus, hormis le Royaume-Uni, ont déclaré que le travail
n’était «pas important», voire «pas important du tout» dans leur vie (Davoine
et Méda, 2009). Lors de la vague 2008 de l’enquête, il est apparu que ce senti-
ment s’était amplié dans plusieurs pays, et 25pour cent des personnes inter-
rogées au Royaume-Uni ont déclaré que le travail n’était pas très important,
voire pas important du tout dans leur vie (Méda et Vendramin, 2017). On a
constaté au cours des trois dernières décennies un recul progressif de la cen-
tralité et du culte du travail dans les pays occidentaux, avec la réduction du
temps de travail et l’avènement d’une culture du loisir (Haworth, 1997; Peter-
son et Ruiz-Quintanilla, 2003; Smola et Sutton, 2002; Twenge et coll., 2010;
Méda et Vendramin, 2017). Les vagues 1981, 1990 et 1999 de l’étude sur les va-
leurs des Européens ont fait apparaître que, dans la plupart des pays d’Europe,
les gens étaient de plus en plus nombreux, proportionnellement, à souhaiter
que le travail occupe une place moins importante dans leur vie. Cette évolu-
tion s’est particulièrement fait sentir entre 1990 et 1999, surtout en France, au
Royaume-Uni, en Suède, en Belgique, en Irlande et en Autriche, l’Espagne
et le Portugal afchant alors une tendance inverse (Davoine et Méda, 2010).
Méda et Vendramin (2017) évoquent un phénomène qu’elles appellent le «pa-
radoxe français». En effet, les Français, l’un des peuples les plus enclins, au sein
de l’Europe des 15, à citer le travail parmi les éléments importants voire très
importants de leur vie, étaient aussi les plus nombreux à souhaiter qu’il oc-
cupe une place moins importante, une attente partagée par 50pour cent des
Britanniques, des Belges et des Suédois à l’époque.
Ce recul de la centralité du travail et de l’attachement au travail tient en
partie à l’«effet de cohorte» engendré par l’arrivée sur le marché du travail
d’une nouvelle génération de jeunes dont les normes et les valeurs diffèrent de
celles des générations précédentes. En se fondant sur des études transversales
réalisées en 1976 (enfants du baby-boom), 1991 (génération X) et 2006 (géné-
ration Y/Moi je), Twenge et ses collaborateurs (2010) ont analysé l’évolution
des valeurs des élèves en n d’études secondaires aux États-Unis, constatant
qu’entre 1976 et 200 6 les nouvelles générations accordaient toujours davan-
tage d’importance aux loisirs et moins au travail. Mercure et Vultur (2010)
ont eux aussi relevé que la centralité du travail reculait chez les jeunes au

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