Syndicats et inégalités de salaire: la naissance du «salaire familial»

AuthorLilach LURIE
Published date01 March 2018
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12080
Date01 March 2018
Revue internationale du Travail, vol. 157 (2018), no 1
Droits réservés © auteur, 2018.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2018.
*
Université de Tel-Aviv, département des études du travail; lilachlurie@post.tau.ac.il. L’Ins-
titut Hadassah-Brandeis de l’Université Brandeis a généreusement contribué au nancement du
travail de recherche. L’auteure remercie le Lavon Institute for Labour Research et exprime en outre
sa gratitude à Joyce Antler, David De Vries, Lisa Fishbayn Joffe, Pnina Lahav, Guy Mundlak, Amy
Sessler Powell, Debby Olins, Shulamit Reinharz et Steven Willborn. Des versions préliminaires
de cet article ont été présentées à l’Institut Hadassah-Brandeis (Université Brandeis, 2014) ainsi
qu’à l’occasion de la conférence de l’Association pour les études israéliennes (Israël, campus Sede-
Boqer, 2014) et de la conférence sur l’égalité de rémunération (Israël, Université de Tel-Aviv, 2015);
l’auteure remercie les participants de leurs commentaires précieux.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Syndicats et inégalités de salaire:
la naissance du «salaire familial»
Lilach LURIE*
Résumé. Dans de nombreux pays de l’OCDE, la législation consacre le droit
des hommes et des femmes à percevoir une rémunération égale pour un travail
de valeur égale. Pourtant, dans la première moitié du XXe siècle, employeurs et
syndicats ont parfois défendu l’idée d’un «salaire familial» synonyme d’inégalité
salariale. L’auteure retrace les origines historiques et sociologiques de ce système,
à la fois dans une perspective comparative et à partir de documents d’archive sur
la situation en Israël. Elle met en lumière le rôle complexe des syndicats, guidés
dans leur défense du salaire familial à la fois par une vision patriarcale et par des
valeurs socialistes.
Dans de nombreux pays de l’OCDE, la législation relative à l’égalité de
rémunération consacre le droit des hommes et des femmes à percevoir
une rémunération égale pour un travail de valeur égale. Pourtant, au cours de
la première moitié du XXe siècle, avant la promulgation de ces lois, les em-
ployeurs et les syndicats, dans divers pays, encourageaient l’inégalité salariale,
en plaidant pour des dispositions instaurant un «salaire familial». Tel fut aussi
le cas en Israël. Si la loi israélienne de 1996 sur l’égalité de rémunération des
travailleurs et des travailleuses dispose (à son article 2) que les hommes et
les femmes ont droit à une rémunération égale pour un même travail, la plu-
part des conventions collectives sectorielles prévoient cependant le droit à un
«supplément familial», qui est réservé aux hommes (Lurie, 2014). En applica-
tion de ces textes, un homme marié dont l’épouse ne travaille pas a droit à un
supplément de salaire, mais cette disposition ne s’applique pas à une femme
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mariée dont le mari ne travaille pas. Bien que ces conventions collectives
contreviennent à la loi, elles continuent à s’appliquer1.
Le présent article retrace les origines historiques et sociologiques du «sup-
plément familial». Ce concept peut paraître, de prime abord, découler d’une di-
vision patriarcale du travail, mais on peut aussi y voir une notion relevant de la
justice sociale, selon laquelle le travailleur doit être rémunéré non pas en fonc-
tion de sa productivité, mais plutôt selon ses besoins. Pour éclairer l’origine du
supplément familial, nous nous appuyons dans les pages qui suivent à la fois sur
des recherches effectuées dans des documents d’archives et sur des recherches
comparatives. L’article ne se limite pas à dépeindre simplement une société tra-
ditionnelle dans laquelle les syndicats contribuaient à l’inégalité de traitement
touchant les femmes, mais expose le processus historique dans toute sa com-
plexité. En effet, le rôle des syndicats dans la promotion du supplément familial
n’a pas été univoque. Si leur action reétait leur vision patriarcale de la société,
ils étaient aussi inspirés par des principes socialistes. L’article montre en outre
que le salaire familial en Israël doit être compris comme s’inscrivant dans la lutte
nationale menée par la Histadrout pour la création d’un État juif.
Cette analyse a pour objet de compléter les études déjà consacrées à ce
thème, de plusieurs manières. Premièrement, en enrichissant l’ensemble des
travaux consacrés aux syndicats et en analysant les intérêts qu’ils défendent
(Freeman et Medoff, 1984; Freeman, 2005). Notre intention, plus spécique-
ment, est de contribuer aux études consacrées au syndicalisme et à l’égalité
entre les sexes et de souligner l’importance de la représentation des femmes
dans les syndicats (Curtin, 1999). Deuxièmement, l’article a pour objet d’éclai-
rer les motifs qui animaient les premiers partisans du salaire familial (parmi
les employeurs comme parmi les syndicats).
Nous organiserons la suite de notre texte de la façon suivante. Dans
notre première partie, nous abordons la question du salaire familial dans une
perspective comparative. Dans la deuxième, nous faisons l’historique de ce
système en Israël, en présentant le résultat de nos recherches approfondies
sur des documents d’archives. Dans la troisième, nous replaçons le débat dans
un contexte plus large, en le mettant en relation avec trois grandes probléma-
tiques: la question de l’égalité des sexes, la question de la justice sociale et le
contexte particulier de la formation de l’État d’Israël. Nous présentons nos
conclusions dans une quatrième et dernière partie.
Le salaire familial: analyse comparative
Le supplément familial en Israël de nos jours
La plupart des conventions collectives en vigueur en Israël de nos jours
consacrent le droit des travailleurs – hommes – à percevoir un supplément
familial (Lurie, 2014). Les conventions collectives sectorielles sont négociées
1 Une recherche effectuée grâce au moteur de recherche juridique israélien «Nevo» montre
que des centaines de personnes ont intenté une action en justice pour réclamer à leur employeur
un supplément familial et obtenu gain de cause.

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