La suréducation et ses conséquences sur la rémunération dans les professions peu qualifiées: la situation de l'Iran

AuthorGholamreza Keshavarz HADDAD,Nader HABIBI
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12045
Published date01 March 2017
Date01 March 2017
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 1
Droits réservés © auteurs, 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
La suréducation et ses conséquences
sur la rémunération dans les professions
peu qualiées: la situation de l’Iran
Gholamreza Keshavarz HADDAD* et Nader HABIBI**
Résumé. À partir de microdonnées issues d’une enquête iranienne sur le revenu
et les dépenses des ménages, les auteurs examinent l’évolution de la fréquence de
la suréducation entre 2001 et 2 012, montrant ainsi que les diplômés du supérieur
sont toujours plus nombreux parmi les travailleurs occupant un emploi peu qua-
lié en Iran. Ils établissent ensuite, à l’issue d’une analyse économétrique, que la
suréducation menace davantage les femmes que les hommes et qu’elle est liée à
l’expérience professionnelle par une forte corrélation négative. En outre, elle dimi-
nue la rémunération dans le secteur privé tout en produisant l’effet inverse dans
la fonction publique.
Ces dernières années, le taux de chômage des diplômés de l’université a
fortement augmenté en République islamique d’Iran («Iran»), passant
de 16,5pour cent en2008 à 20,9 pour cent en 20121. D’après les enquêtes
sur le marché du travail, ce chômage élevé frappe non seulement les diplô-
més en sciences humaines et sociales, mais aussi ceux qui sont issus de cursus
techniques ou scientiques. Il s’explique principalement par une progression
rapide du taux d’inscription à l’université ces vingt dernières années, l’Iran
étant désormais l’un des pays du Moyen-Orient où la proportion d’étudiants
suivant des études universitaires en pourcentage de la population totale est
la plus forte.
Par ailleurs, depuis quelque temps, le taux de chômage élevé des diplô-
més a entraîné une forte hausse des demandes d’inscription en deuxième cycle
et, partant, du nombre de titulaires d’un diplôme de deuxième ou de troi-
sième cycle. En effet, les étudiants qui ne parviennent pas à trouver un emploi
* Université de technologie Sharif, Téhéran; g.k.haddad@sharif.edu. ** Université Bran-
deis, Waltham (États-Unis); nhabibi@brandeis.edu.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 D’après l’enquête sur la population active réalisée par le Centre iranien de la statistique,
32pour cent des femmes diplômées de l’université et 14,8pour cent des hommes au même niveau
d’études étaient au chômage en 2012.
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correspondant à leurs attentes à l’issue du premier cycle sont nombreux à re-
tourner à l’université dans l’espoir d’améliorer leurs chances d’insertion pro-
fessionnelle par un meilleur niveau de diplôme. Or, il n’est pas démontré que
l’économie ait la capacité de créer des emplois productifs pour tous ces diplô-
més. Ainsi, les enquêtes sur la population active conduites au cours de la pé-
riode20 05-2012 montrent que la mobilité sur le marché du travail est due à
plus de 85pour cent au passage d’un emploi à un autre et à 4pour cent seu-
lement à la transition du chômage à l’emploi. L’Iran est donc confronté à une
situation observée dans beaucoup d’économies développées et qualiée de
«suréducation» dans la littérature économique.
Un travailleur est considéré comme «suréduqué» (ou «surdiplômé») si
son niveau d’études est supérieur à celui requis par le poste de travail qu’il
occupe. Dans les études économiques, ce phénomène est traité sous l’angle de
la théorie de l’adéquation, si bien qu’il est analysé comme la résultante d’une
«inadéquation» entre les compétences ou la formation que possède un tra-
vailleur et celles qu’exige un emploi donné. Les économistes distinguent deux
formes d’inadéquation, l’une horizontale et l’autre verticale.
L’inadéquation horizontale, à laquelle beaucoup d’études ont été consa-
crées après la crise économique mondiale de2008, est dénie comme une
situation dans laquelle un travailleur possède une formation ou des compé-
tences différentes de celles que requiert le poste. Elle peut être due au progrès
technologique et au changement démographique, mais aussi au développe-
ment économique.
L’inadéquation est dite verticale lorsque le niveau d’instruction ou de
compétences d’un travailleur est inférieur ou supérieur à celui qu’exige son
emploi. La suréducation est donc une forme d’inadéquation verticale. L’adé-
quation entre l’offre et la demande de compétences revêt une importance ca-
pitale pour la croissance économique, de même que pour la productivité et
pour l’efcience du marché du travail. Il s’ensuit que la création d’un système
éducatif à la fois efcace et capable de s’adapter rapidement en fonction de
l’évolution des besoins constitue un enjeu majeur dans la plupart des pays.
Dans cet article, nous nous intéressons à l’inadéquation verticale en termes de
durée de scolarisation, sans chercher à traiter les autres types d’inadéquation
dans lesquels le niveau d’instruction est adéquat.
À niveau d’instruction similaire, les travailleurs surdiplômés sont moins
bien rémunérés et éprouvent une moindre satisfaction au travail que les autres
(Korpi et Tåhlin, 2009; Hartog, 2000). Dès lors, il est permis de se demander
pourquoi les jeunes demandeurs d’emploi acceptent des postes pour lesquels
ils sont surdiplômés. La première explication possible est qu’ils cherchent ainsi
à échapper au chômage et à la stigmatisation qui l’accompagne (Vishwanatch,
1989; Arulampalam, Booth et Taylor, 2000). La deuxième est qu’ils espèrent
peut-être se servir de ce premier emploi peu qualié comme d’un tremplin
pour accéder à un poste correspondant à leur niveau d’études: dans ce cas,
ils continuent de rechercher un poste tout en travaillant jusqu’à parvenir à
changer d’emploi (Wald, 2005). Deux objections ont cependant été opposées

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