Les services à la personne, toujours dévalorisés? Analyse et classification dans une optique comparative
DOI | http://doi.org/10.1111/ilrf.12057 |
Published date | 01 June 2017 |
Date | 01 June 2017 |
Author | Naomi LIGHTMAN |
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 2
Droits réservés © auteur, 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
* Université de Toronto; naomi.lightman@mail.utoronto.ca. L’auteure a bénécié pour la
rédaction de cet article d’une bourse postdoctorale du Conseil de recherches en sciences humaines
(CRSH) du Canada (dossier no756-2015-0381). Elle a également bénécié de la subvention de par-
tenariat accordée par le CRSH au programme Gender, Migration, and the Work of Care (dossier
no895-2 012-1021), auquel elle collabore au titre de chercheuse postdoctorale. L’auteure tient à
remercier les professeures Monica Boyd et Ito Peng pour l’aide précieuse qu’elles lui ont apportée
dans la préparation de cet article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Les services à la personne, toujours
dévalorisés? Analyse et classication
dans une optique comparative
Naomi LIGHTMAN*
Résumé. L’auteure compare la rémunération des travailleurs des services à la per-
sonne selon le prestige de la profession exercée dans différents pays (Canada,
États-Unis, Japon, République de Corée et Taïwan (Chine)), en s’appuyant sur
des microdonnées de la Luxembourg Income Study. Elle classe ces professions
selon leur degré de «fermeture sociale» et analyse la pénalité ou la prime sala-
riale qui leur est associée dans chaque pays. Elle mesure aussi empiriquement les
similarités et différences entre les États-providence «libéraux» et ceux qui sont
plutôt «développeurs productivistes», ainsi qu’au sein de ces régimes, conrmant
la nette convergence internationale des services à la personne sous l’effet de la
mondialisation.
L
es métiers du soin, de l’aide et de l’accompagnement (care work), dans les-
quels nous rangerons ici toutes les activités liées à la santé et à l’éduca-
tion, et que nous désignerons dans toute la suite du texte comme les «services
à la personne», sont souvent assimilés à un «travail féminin», et souvent dévalo-
risés et mal rémunérés (voir England, Budig et Folbre, 2002; Peng, 2012). Trois
grandes raisons sont avancées pour expliquer ce phénomène. Tout d’abord, les
travailleurs des services à la personne seraient désavantagés sur le marché du
travail du fait de leurs caractéristiques individuelles, notamment leur sexe, leur
origine ethnique et leur nationalité à la naissance, et de la conjugaison de ces
facteurs (Duffy, 2005; Duffy, Albelda et Hammonds, 2013). Ils pourraient éga-
lement faire l’objet d’une orientation négative vers ce type d’activité en raison
de leur faible niveau d’éducation et de capital humain en général, qui induit
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des rémunérations plus faibles (England, 2005; Isaksen, Devi et Hochschild,
2008). Et, enn, la nature même de l’activité dévaloriserait la rémunération,
car il s’agit plus souvent d’emplois précaires et à temps partiel, à prédominance
féminine ou relevant du secteur privé non subventionné (Budig et Misra, 2010;
Folbre, 2008; Lewis et West, 2014).
La littérature sur le secteur des services à la personne consiste le plus
souvent en des études théoriques, qualitatives ou portant sur un seul pays
(voir par exemple Mason, 2003; Geisen et Parreñas, 2013). De plus en plus de
chercheurs, toutefois, envisagent ces activités dans le cadre d’un marché du
travail mondialisé ou transnational (Boyd et Pikkov, 2013; Hochschild, 2000),
d’où la nécessité de procéder à des comparaisons internationales, comme le
font Budig et Misra (2010). Dans cet article précurseur, où elles comparent la
rémunération des emplois des services à la personne au niveau international,
les auteures mettent en évidence d’importants écarts entre les douze pays de
leur échantillon, parmi lesquels gurent des États-providence prospères, des
économies postsocialistes et des pays en développement. Elles observent que,
outre le sexe et d’autres caractéristiques individuelles des travailleurs, les po-
litiques et les contextes nationaux inuent aussi sur la rémunération des em-
plois dans les services à la personne; si elles constatent que les travailleurs de
ce secteur subissent une «sanction salariale» dans la plupart des pays, elles
montrent aussi que les femmes bénécient d’une «prime de rémunération»
en Suède, aux Pays-Bas et en Allemagne.
Budig et Misra (2010) parviennent à des conclusions importantes, mais
deux questions pertinentes mériteraient d’être mieux prises en compte dans
leur analyse. Tout d’abord, les auteures dénissent les services à la personne
de manière très générale, comme une interaction individualisée entre un pres-
tataire et un bénéciaire, interaction qui développe ou maintient les aptitudes
du bénéciaire (England, Budig et Folbre, 2002). En regroupant des profes-
sions déconsidérées (et mal payées) et des professions cotées (et exigeant
souvent un niveau de qualication élevé), Budig et Misra (2010) prennent
le risque de masquer des écarts importants au sein du secteur des services à
la personne. Ensuite, elles se concentrent principalement sur l’Amérique du
Nord et l’Europe, les économies «en développement» n’étant représentées
dans leur échantillon que par le Mexique et Taïwan (Chine), deux pays qui
possèdent des traditions d’État-providence très différentes. Il est donc utile
de vérier s’il existe un modèle de services à autrui spécique aux pays pros-
pères d’Asie de l’Est de type «développeur productiviste», comme l’afrment
les spécialistes des régimes d’État-providence (voir par exemple Kilkey, Lutz
et Palenga-Möllenbeck, 2010; Powell et Kim, 2014) et, dans l’afrmative, d’iden-
tier ses spécicités.
Nous nous situons ainsi à l’intersection des travaux sur les services à au-
trui et de la théorie des régimes d’État-providence pour conduire une analyse
quantitative de l’emploi rémunéré dans les services à la personne dans une
perspective comparative internationale. Nous nous fondons plus précisément
sur les chiers de microdonnées de la Luxembourg Income Study (Étude du
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