Le salaire vital: synthèse théorique et pistes pour la recherche appliquée

AuthorStuart C. CARR,Jane PARKER,Paul A. WATTERS,James ARROWSMITH
Published date01 March 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12000
Date01 March 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 1
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Professeur à la Faculté de psychologie de l’Université Massey, Auckland (Nouvelle-Zé-
lande), courriel: S.C.Carr@massey.ac.nz (auteur correspondant). ** Professeur à la Faculté de
gestion de l’Université Massey, Auckland (Nouvelle-Zélande), courriel: J.Parker@massey.ac.nz;
J.Arrowsmith@massey.ac.nz. *** Professeur à la Faculté des sciences de l’ingénieur et des tech-
nologies avancées de l’Université Massey, Auckland (Nouvelle-Zélande), courriel: P.A. Watters@
massey.ac.nz. Les auteurs remercient l’Université Massey pour le soutien reçu du Fonds de libre
affectation du vice-recteur, Kate Lewis et Lindsay Eastgate, professeurs assistants, pour leur contri-
bution aux recherches et Paul Edwards, Darrin Hodgetts et Thomas Stubbs, professeurs ordinaires,
pour les remarques utiles et constructives qu’ils ont bien voulu formuler sur des versions anté-
rieures du présent article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Le salaire vital: synthèse théorique
et pistes pour la recherche appliquée
Stuart C. CARR*, Jane PARKER**, James ARROWSMITH**
et Paul A. WATTERS***
Résumé. Tout salaire vital doit assurer, au-delà de la simple subsistance, une cer-
taine qualité de vie, y compris au travail, et une participation véritable à la sphère
sociale et organisationnelle, soit la jouissance de potentialités ou «capacités». Tou-
tefois, les liens entre revenu et capacités sont encore mal connus, et les salaires vi-
taux souvent xés arbitrairement. En empruntant à la psychologie, aux théories du
développement ou encore à la réexion sur la gestion d’entreprise et les relations
professionnelles, les auteurs proposent un outil d’analyse universel mais axé sur le
contexte et formulent plusieurs propositions appelées à servir de base aux travaux
empiriques nécessaires pour vérier sa validité.
La question des salaires s’est posée avec une grande acuité au lendemain
de la crise économique de 20 08 et a donné lieu à des arguments en
faveur tant d’une relance keynésienne que de mesures d’austérité (Banque
mondiale, 2012). Le débat s’est focalisé en grande partie sur la pauvreté et
le salaire minimum, notamment le salaire minimum légal. Le rapport du BIT
sur le travail dans le monde (2013) afrme à cet égard que les salaires mini-
maux peuvent contribuer à la croissance économique en augmentant la part
salariale dans le revenu national, en stimulant la consommation et en créant
des emplois au niveau local. Il faut toutefois pour ce faire que ce salaire mi-
nimum ne soit ni trop bas –il serait alors inefcace– ni trop élevé –il élève-
rait excessivement le coût du travail et serait moins bien respecté (BIT, 2013).
Revue internationale du Travail2
Certaines études montrent de même qu’un revenu considéré comme décent
et des dispositifs de xation des salaires équitables sont corrélés à une amé-
lioration de la motivation, de la performance et de la productivité au travail,
notamment dans le secteur de la santé et de l’éducation (Carr et coll., 2011;
Stiglitz, 1976).
À l’inverse, ceux qui sont opposés à l’introduction de salaires minimaux
ou à leur revalorisation invoquent à l’appui l’incidence de tels dispositifs sur
l’emploi. Selon les économistes orthodoxes, élever le coût du travail au-des-
sus du taux du marché (prix d’équilibre) entraîne une baisse de la demande
de main-d’œuvre, un accroissement de l’offre, une réduction des prots, de
l’investissement et du nombre d’emplois et une augmentation des prix. Pour
Milton Friedman, les lois sur le salaire minimum sont le parfait exemple de
ces mesures qui produisent un effet précisément contraire à celui que recher-
chaient leurs instigateurs, pourtant bien intentionnés (1962, p.180, cité dans
Hirschman, 1991, pp.27-28).
Les études empiriques sur le monde de l’entreprise suggèrent cepen-
dant que les effets du salaire minimum sur l’emploi peuvent être relative-
ment modérés (Gilman et coll., 2002). Deux mécanismes différents sont alors
à l’œuvre. Tout d’abord, les coûts directs d’une augmentation des salaires
peuvent être compensés par une motivation et une délisation plus grandes
des salariés. Ce phénomène est déni par la théorie économique classique
comme «salaire d’efcience», préguré par la paie de 5dollars des États-
Unis par jour instaurée par Henry Ford il y a un siècle. L’entreprise peut
également réagir en adaptant son mode de gestion et l’organisation du tra-
vail, pour améliorer l’utilisation de la main-d’œuvre. Parfois aussi, une marge
sufsante lui permet d’absorber cette augmentation des coûts. Les approches
sociologiques du salaire mettent de plus en évidence son caractère «discré-
tionnaire, aléatoire et opportuniste» (Rubery, 1997, p.338). C’est en particu-
lier le cas dans les petites entreprises et dans de nombreuses organisations
non gouvernementales (ONG), qui sont souvent davantage affectées par
l’introduction d’un salaire minimum. Ces structures, dans lesquelles la xa-
tion des salaires se fait de façon moins rigide, et où les relations profession-
nelles sont plus informelles, peuvent réagir plus facilement en cas de chocs
réglementaires ou de crises économiques et lors des périodes d’expansion
(Arrowsmith et coll., 2003; Ram et coll., 2001).
Malgré des approches et des postulats radicalement différents, ces di-
verses conceptions de la régulation des salaires ont ceci de commun qu’elles
appréhendent les entreprises et leur rôle dans la société d’un point de vue in-
trinsèquement instrumental et transactionnel plutôt que «transformationnel»,
soit par rapport aux changements en profondeur qu’on peut en attendre, en
analysant les coûts en fonction des avantages. Le discours managérial centré
sur les incitations, les coûts et la productivité domine largement le débat, y
compris en dehors des milieux économiques. Par exemple, les spécialistes des
relations professionnelles mettent à juste titre l’accent sur l’importance de
l’équité, aux côtés de l’efcacité, dans le domaine, mais, souvent, ils conçoivent

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