Le salaire minimum en Amérique latine et son effet sur la hiérarchie salariale: le cas de l'Argentine, du Brésil, du Chili et de l'Uruguay

Date01 March 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12004
AuthorRoxana MAURIZIO,Gustavo VÁZQUEZ
Published date01 March 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 1
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Université nationale de General Sarmiento et CONICET (Conseil national de la recherche
scientique et technique), Argentine; courriel: roxanadmaurizio@gmail.com. ** Université natio-
nale de General Sarmiento, Argentine; courriel: gmvazque@ungs.edu.ar.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Le salaire minimum en Amérique latine
et son effet sur la hiérarchie salariale:
le cas de l’Argentine, du Brésil,
du Chili et de l’Uruguay
Roxana MAURIZIO* et Gustavo VÁZQUEZ**
Résumé. Dans les années 2000 , la valeur réelle du salaire minimum augmente en
Amérique latine. Les auteurs examinent l’effet de cette hausse sur la répartition des
salaires, dans une analyse comparative couvrant quatre pays de la région (Argen-
tine, Brésil, Chili et Uruguay). Au moyen de techniques semi-paramétriques, ils esti-
ment des fonctions de densité contrefactuelles et montrent que cette évolution a un
effet égalisateur dans tous ces pays sauf au Chili. En effet, la hausse du minimum
légal explique une part importante du recul des inégalités salariales, qui découle
avant tout d’une compression de la partie basse de la hiérarchie.
Dans les années 2000, le pouvoir d’achat du salaire minimum tend à
augmenter, dans les pays développés comme dans les pays en dévelop
-
pement, ce qui contribue à renforcer le rôle de cette institution comme instru-
ment de politique salariale (BIT, 2009). En Amérique latine –où, comme nous
le verrons, cet effet favorable est attesté, à des degrés divers, dans plusieurs
pays–, cette nouvelle donne suppose un changement radical par rapport à la
décennie précédente. Parallèlement, on observe une tendance à la réduction
des inégalités dans beaucoup de ces pays.
Dans ce contexte particulier, nous nous sommes attachés dans notre étude
à vérier si la politique menée en matière de salaire minimum dans les années
2000 a contribué à réduire la dispersion salariale – et, dans l’afrmative, dans
quelles proportions–, en Argentine, au Brésil et en Uruguay, où l’augmentation
de ce minimum en termes réels est particulièrement nette, et au Chili, où elle
l’est un peu moins. Cette différence, et le fait que ces pays ne présentent pas la
même structure des professions, ajoutent encore à l’intérêt de l’exercice.
Revue internationale du Travail110
Trois autres éléments justient encore notre étude. Tout d’abord, l’impact
du salaire minimum sur le marché du travail a parfois donné lieu à des inter-
prétations divergentes sur le plan théorique. Des études empiriques sont donc
nécessaires pour déterminer laquelle des analyses existantes est valable et pour
quel contexte.
Ensuite, on ne peut qu’être frappé par la grande diversité des conclusions
des différentes études empiriques sur l’Amérique latine, qui reposent sur des mo-
dèles d’estimation et des indicateurs très variés. Procéder à une analyse compa-
rative de différents cas de gure, en adoptant toujours la même méthode, semble
donc très utile a priori pour mieux comprendre les effets du salaire minimum.
Enn, la plupart des études sur la région examinent avant tout le rôle du
rendement de l’éducation sur la dynamique de la répartition des salaires, dans
les années1990 et 200 0, sans s’intéresser véritablement à l’effet des institutions
du travail. Cependant, vu la forte hausse du niveau du salaire minimum dans
les années20 00, on peut supposer que cette institution a aussi eu un impact
sur les inégalités salariales. Il semble même possible d’admettre que le salaire
minimum, comme d’autres institutions et dispositions réglementaires relatives
au travail, inue également sur le niveau du rendement de différentes caracté-
ristiques individuelles des travailleurs, notamment le capital humain. Par consé-
quent, une analyse approfondie du salaire minimum viendrait compléter très
utilement les études existantes sur la hiérarchie salariale en Amérique latine.
Pour estimer l’impact de l’augmentation du salaire minimum en termes
réels sur les inégalités dans les années2000 dans les quatre pays à l’examen,
nous avons repris la méthode introduite par DiNardo, Fortin et Lemieux
(1996). Ces auteurs utilisent un modèle semi-paramétrique et construisent sur
cette base des densités contrefactuelles an de déterminer quelle aurait été la
répartition des salaires en 1988 (moment nal) si, à caractéristiques constantes
des travailleurs, le salaire minimum réel avait été alors celui de 1979 (année
de référence), c’est-à-dire supérieur de 27pour cent.
Les résultats auxquels nous sommes parvenus dans notre étude tendent
à montrer que l’augmentation du salaire minimum réel a eu un impact éga-
lisateur en Argentine, au Brésil et en Uruguay. Au Chili, on ne constate pas
d’effet signicatif. De même, comme on pouvait s’y attendre, et pour les trois
premiers pays, la réduction de la dispersion est associée uniquement à une plus
grande compression salariale dans la partie basse de la hiérarchie.
Certaines précisions doivent être fournies sur la méthode que nous avons
suivie et, par conséquent, sur les résultats obtenus. Ainsi, il nous faut souligner
que nous n’avons pas tenu compte de l’effet éventuellement défavorable de
l’évolution du salaire minimum sur le niveau de l’emploi. Comme l’ont afrmé
Bosch et Manacorda (2010), il n’est pas possible dans un tel cas de gure de
faire la part entre un effet de troncature de l’éventail des salaires, dû à la dis-
parition de postes de travail faiblement rémunérés du fait de la hausse du seuil
légal, et un effet de censure, les salaires du bas de l’échelle étant revalorisés
dans les faits en raison de la nouvelle donne institutionnelle. Cependant, s’il
ne faut pas nier a priori ces effets potentiels, il importe de relever que la pé-
Salaire minimum et hiérarchie salariale en Amérique latine 111
riode prise en compte se caractérise par ailleurs par une croissance marquée
de l’emploi dans les pays considérés (Maurizio, 2015; Perazzo, 2012; Beccaria
et Maurizio, 2012; Amarante, Colafranceschi et Vigorito, 2014). C’est notam-
ment le cas de l’Argentine, du Brésil et de l’Uruguay, dans le contexte d’une
formalisation importante du marché du travail (Amarante et Arim, 2015; Berg,
2010; Bertranou, Casanova et Sarabia, 2013; Maurizio, 2015; Tornarolli et coll.,
2014; Weller et Roethlisberger, 2011). Or la conjonction de cette croissance
notable de l’emploi, formel en particulier, et de l’augmentation du salaire mi-
nimum laisse à penser que cette dernière évolution n’a pas eu d’effet défavo-
rable important sur l’emploi lui-même et son caractère plus ou moins formel.
Par ailleurs, l’analyse à laquelle nous nous livrons dans le présent article
est un raisonnement en équilibre partiel, axé sur le court terme, si bien que nous
écartons un nombre important d’effets annexes. Ainsi, nous ne nous intéressons
pas ici à l’impact potentiel des variations du salaire minimum sur la consomma-
tion (et, par contrecoup, sur la demande agrégée et l’emploi), notamment lorsque
la population directement touchée par ce seuil a une propension à consommer
élevée. Nous ne tenons pas compte non plus des effets possibles du salaire mi-
nimum sur la décision des travailleurs de se porter sur le marché du travail et
sur la structure des qualications de l’offre de travail, en ignorant par consé-
quent l’impact éventuel de ces éléments sur l’évolution des disparités salariales.
Nous nous concentrons ici sur l’impact direct du salaire minimum sur la
hiérarchie salariale, sans chercher à mesurer les effets nets que cette institution
pourrait avoir eus, à court ou à long terme, sur d’autres dimensions également
intéressantes dans les quatre pays choisis, étant entendu que ces aspects méri-
teraient une analyse plus approfondie.
La suite de notre article sera organisée de la façon suivante. Dans une pre-
mière partie, nous passons en revue les différentes analyses théoriques et études
empiriques consacrées à l’impact du salaire minimum sur le marché du travail.
Dans une deuxième partie, nous présentons de façon détaillée nos sources de
données. Nous décrivons dans une troisième partie la méthode d’estimation que
nous utilisons pour mesurer l’effet du salaire minimum sur la hiérarchie sala-
riale. Notre quatrième partie est consacrée à l’évolution des inégalités salariales
et du salaire minimum, et nous y examinons notamment, de façon descriptive, la
relation entre ces deux dimensions. Dans une cinquième partie, nous présentons
les résultats de notre analyse économétrique. Nous exposons ensuite un certain
nombre d’analyses de sensibilité visant à améliorer la robustesse du modèle.
Dans notre dernière partie, nous présentons quelques éléments de conclusion.
Tour d’horizon des analyses théoriques
et des études empiriques sur la question
Approches théoriques de l’impact du salaire minimum
L’effet du salaire minimum sur la demande de main-d’œuvre est une ques-
tion particulièrement débattue. Dans le modèle classique, qui suppose une
concurrence parfaite sur le marché du travail, l’instauration d’un salaire

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