Le rôle des initiatives de responsabilité sociale dans le contrôle des audits sociaux et la responsabilisation de leurs auteurs

Published date01 June 2019
AuthorCarolijn TERWINDT,Amy ARMSTRONG
Date01 June 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12122
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Le rôle des initiatives de responsabilité
sociale dans le contrôle des audits
sociaux et la responsabilisation
de leurs auteurs
Carolijn TERWINDT* et Amy ARMSTRONG**
Résumé. En 2 018, l’effondrement du Rana Plaza braquait le projecteur sur les
conditions de travail parfois déplorables dans la confection. Si la grande distri-
bution est depuis pointée du doigt, la responsabilité des cabinets d’audit social est
rarement mentionnée. Les auteures examinent les moyens disponibles à ce stade
pour repérer et sanctionner les audits négligents ou complaisants, qui taisent les
atteintes aux droits des travailleurs. Elles constatent que les contrôles et les rappels
à l’ordre restent limités dans les faits. Elles s’interrogent alors sur l’apport des ini-
tiatives de responsabilité sociale pour un contrôle véritable de la qualité des audits
et une responsabilisation de leurs auteurs.
Le 24 avril 2013, à Dhaka, au Bangladesh, le complexe du Rana Plaza
s’effondrait. Bilan: 1 134morts et quelque 1 800blessés, dont des enfants
et des femmes enceintes (CPD, 2014, p.12). Pourtant, deux des usines situées
dans le bâtiment avaient été inspectées dans le cadre du processus d’audit de
la Business Social Compliance Initiative (BSCI), un organisme créé par la
Foreign Trade Association (FTA) en 2003 pour «répondre à la demande tou-
jours plus pressante d’entreprises soucieuses de la qualité et de la transparence
des conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement mondiales
1
». À
l’époque, le directeur général de la BSCI avait nié toute responsabilité dans
les faits, déclarant qu’«il ne [fallait] pas trop en demander aux audits sociaux»
(Al-Mahmood et Wright, 2013). Mais alors que faut-il attendre exactement
de ces contrôles effectués par des tierces parties? Et que doit-il se passer
quand ils n’ont pas les effets escomptés? Enn, quel est le rôle que devraient
* Conseillère juridique principale au Centre européen pour les droits constitutionnels et
humains (ECCHR), Berlin, info@ecchr.eu (auteure référente). ** Membre du barreau de
Johannesburg, armstrong@thulamelachambers.co.za.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Voir à l’adresse http://www.bsci-intl.org/about-bsci [consulté le 10avril2015].
Revue internationale du Travail264
jouer les initiatives de responsabilité sociale de l’entreprise (ou RSE) dans le
contrôle de la qualité des audits et la responsabilisation des entreprises qui
les réalisent?
En 2005 déjà, des défaillances notables du système d’audit social avaient
été décelées. Clean Clothes Campaign (CCC), une organisation de défense des
droits des travailleurs, avait alors publié un rapport qui pointait du doigt cer-
taines lacunes, faisant état d’«audits mensongers ou bâclés», tout en mettant
en garde contre une utilisation aveugle de ces outils et en appelant à davan-
tage de transparence et de responsabilisation (CCC, 2005). Si ces problèmes
sont connus de longue date, les audits semblent encore avoir de beaux jours
devant eux, et ils restent un outil privilégié de la RSE et de la fabrication du-
rable. Selon la BSCI, «Les audits constituent l’outil le plus able à ce stade
pour savoir ce qui se passe vraiment sur les lieux de production2». Il s’agit en
outre, pour les enseignes de la grande distribution, d’un mécanisme commode
pour prouver à l’opinion qu’elles prennent des mesures en matière de respon-
sabilité sociale dans leur chaîne d’approvisionnement.
Si l’audit social n’est manifestement pas une mode passagère, cela n’em-
pêche pas de poser la question de la posture à adopter face à des contrôles
mal faits ou lacunaires, qui ne détectent pas les atteintes aux droits des tra-
vailleurs. Dans la pratique, les auteurs des audits sociaux ne font pas l’objet
d’actions en responsabilité pour les services qu’ils fournissent, comme l’a re-
connu un représentant de la société TÜV Rheinland, une entreprise de cer-
tication allemande (Dohmen, 2016). C’est un problème dans la mesure où
les marques n’hésitent pas à brandir des rapports d’audit conformes pour se
défendre lorsque les installations de leurs fournisseurs sont touchées par des
incendies ou autres accidents meurtriers (Burckhardt, 2014). Alors que les
rapports d’audit se généralisent, on ne sait toujours pas véritablement qui est
responsable de leur contenu et de leurs conséquences. Ces rapports n’étant gé-
néralement pas publiés, les parties indépendantes ou intéressées n’ont aucun
moyen de surveiller le processus sur lequel ils s’appuient ni de vérier que
leurs conclusions sont correctes. Ainsi, les travailleurs, que l’audit social vise
à protéger en principe, ne sont pas en mesure de contrôler son contenu ni de
demander des comptes aux véricateurs.
Au cours de l’été 2016, l’entreprise PricewaterhouseCoopers (PwC) a été
poursuivie dans le cadre du plus important procès jamais intenté contre un ca-
binet d’experts-comptables aux États-Unis. Il était reproché aux véricateurs
de PwC de ne pas avoir repéré une fraude, ce qui posait la question de ce que
l’on était en droit d’attendre d’eux exactement. Tout en reconnaissant les faits,
le cabinet a déclaré pour sa défense qu’il avait respecté les normes comptables
établies par le Public Company Accounting Oversight Board (PCAOB), un
organisme américain de réglementation et de surveillance (McKenna, 2016).
Dans un cas comme celui-ci, les parties conviennent généralement d’un rè-
glement à l’amiable (dont le montant est souvent gardé secret) sans que la
2
Voir à l’adresse http://www.bsci-intl.org/why-are-audits-important [consulté le 10avril2015].
Contrôle et sanction dans le domaine de l’audit social 265
justice se prononce jamais sur la responsabilité du prestataire. C’est ce qui s’est
passé en l’espèce (McLannahan, 2016; Fisher, 2017). Néanmoins, de tels pro-
cès contribuent à responsabiliser les entreprises. Ainsi, PwC a dû se défendre
et expliquer comment il avait appliqué les normes comptables en vigueur.
Le procès a permis aux acteurs et spécialistes du secteur, aux universitaires
et aux groupes de pression de rééchir ensemble à l’adéquation des normes
applicables et de proposer des améliorations. En outre, sachant qu’ils peuvent
avoir affaire à la justice, les cabinets de révision comptable redoublent de pru-
dence et documentent leurs processus et leurs conclusions an de se couvrir.
Comme l’observe l’OCDE, la possibilité de telles procédures améliore la qua-
lité des audits en général et limite la fréquence des vérications tendancieuses
ou inexactes (OCDE, 2001).
On ne relève pas d’affaires similaires dans le domaine de l’audit social,
non pas tant parce que la qualité des procédures y est meilleure que parce que
les parties lésées hésitent davantage à saisir la justice ou ne sont pas habilitées
à le faire3. Dans les usines manufacturières, la peur des représailles empêche
généralement la main-d’œuvre de dénoncer trop franchement les défauts de
responsabilité
4
. En outre, au même titre que leurs patrons, les travailleurs n’ont
pas intérêt à ce que les acheteurs annulent leurs commandes, et ils savent que,
en dénonçant des rapports d’audit de mauvaise qualité et des conditions de
travail inhumaines, ils risquent de perdre leur emploi. À l’heure actuelle, les
cabinets d’audit ne sont pas tenus pour responsables du contenu de leurs rap-
ports, que ce soit par leurs commanditaires (en l’occurrence les marques ou les
propriétaires d’usines), par les travailleurs – que les audits sont censés proté-
ger – ou par les gouvernements (Terwindt et Saage-Maaß, 2016).
Terwindt et Saage-Maaß (ibid.) mettent l’accent sur la nécessité de ren-
forcer les mécanismes visant à afrmer la responsabilité des auteurs d’audits
sociaux défaillants devant la justice pénale ou civile (poursuites en respon-
sabilité délictuelle). Bien qu’elles constituent une part essentielle du cadre
de responsabilité, ces actions ont leurs limites. La responsabilité délictuelle
couvre seulement les préjudices à la personne; la responsabilité pénale, quant
à elle, s’appliquera seulement si les actes des véricateurs constituent un délit.
Par conséquent, le présent article étudie en premier lieu le rôle que les ini-
tiatives de RSE peuvent et devraient jouer pour améliorer le contrôle des
3 La seule action en justice formée contre un cabinet d’audit social visait la société Bureau
Veritas au Canada. Dans cette affaire, qui date d’avril2015, l’entreprise a été attaquée pour avoir
inspecté un atelier situé dans l’immeuble du Rana Plaza, avant son effondrement, sans signaler les
risques évidents concernant la sécurité du bâtiment. Un juge a rejeté la demande en juillet2017
au motif que le droit des plaignants d’attaquer Bureau Veritas et les marques concernées devant
la justice n’était pas établi. En outre, la partie lésée n’avait pas démontré l’obligation de diligence
de Bureau Veritas à l’égard des travailleurs de l’usine, le champ d’application de l’audit était très
restreint et n’incluait pas la sécurité du bâtiment, et la marque n’avait pas de responsabilité suf-
sante sur les conditions de travail dans l’usine (Islam, 2017; voir également Das c. George Weston
Limited, 2017, ONSC 4129, en particulier le paragraphe59; et le site https://www.rochongenova.
com/Current-Class-Action-Cases/Rana-Plaza.shtml [consulté le 18mars 2019]).
4
Voir à l’adresse https://www.hrw.org/report/2015/04/22/whoever-raises-their-head-suffers-
most/workers-rights-bangladeshs-garment [consulté le 11mars2019].

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