Retour vers le futur: le fil rouge du débat sur le travail et la technologie au sein de l'OIT
Date | 01 March 2020 |
Published date | 01 March 2020 |
Author | Miriam A. CHERRY |
DOI | http://doi.org/10.1111/ilrf.12144 |
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
* Faculté de droit, Université de Saint Louis; miriam.cherry@SLU.edu.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 1
Retour vers le futur:
le l rouge du débat sur le travail
et la technologie au sein de l’OIT
Miriam A. CHERRY*
Résumé. Les inquiétudes suscitées par le chômage technologique ne datent pas
d’aujourd’hui. Dans les années 1960, les débats sur l’automatisation reétaient
aussi bien l’optimisme que les préoccupations engendrées par le potentiel de des-
truction d’emplois du progrès technique. L’étude des documents d’archives, notam-
ment des informations réunies par le Bureau de l’automatisation du BIT, montre
que nombre des propositions avancées aujourd’hui étaient déjà évoquées à l’époque
au sein de l’OIT, même si elles n’ont jamais été traduites en termes réglementaires.
Revenir sur le débat de cette époque peut orir des éclairages utiles pour relever
les dés actuels et nous aider à construire l’avenir du travail que nous appelons
de nos vœux.
Mots-clés: avenir du travail , changement technologique, automatisation, chô-
mage, in sécurité de l’emploi, poli tique de développement , histoire, rôle de l’OIT.
Les nouvelles technologies – plateformes de travail numériques, gestion par al-
gorithmes, intelligence articielle, impression tridimensionnelle, présence vir-
tuelle, analytique des eectifs et ludication –commencent toutes à faire sentir
leurs eets sur le monde du travail. Un grand nombre de chercheurs et de dé-
cideurs considèrent que ces tendances vont causer une nouvelle vague de chô-
mage technologique, et le débat sur le nombre d’emplois ou de professions qui
seront créés ou perdus bat son plein (Brynjolfsson et McAfee, 2014). Bien que
de nombreux auteurs considèrent l’ inquiétude suscitée par la perspective d’un
avenir sans emplois comme un phénomène nouveau (Frey et Osborne, 2017),
les débats en cours se situent dans la continuité d’un dialogue déjà ancien au
sein de l’OIT sur l’automatisation et le travail.
Les inquiétudes suscitées par la technologie et ses eets sur le travail ne
datent pas d’aujourd’hui. Les grands enjeux stratégiques de l’automatisation,
du chômage technologique, de la reconversion et des réponses juridiques et
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politiques les plus appropriées ont été abordés dans les années1930, 1960, 1980;
ils reviennent aujourd’hui au premier plan. Chaque nouvelle vague de progrès
technique a généré beaucoup d’espoir, d’anxiété et de discussions, sans pour
autant que ces débats débouchent sur des changements concrets en termes de
politique réglementaire. La célébration du centenaire de l’OIT ore l’occasion
de revenir sur les travaux de recherche touchant le travail et la technologie et
de rouvrir des débats généralement considérés comme appartenant à un passé
révolu. Nous proposons dans cet article de parcourir les archives historiques de
l’OIT et d’autres sources de l’époque, an de sélectionner les idées et les straté-
gies politiques qui pourraient être les plus applicables de nos jours.
Dans les années 1960, les partisans de l’automatisation faisaient valoir les
progrès importants réalisés au cours de la décennie dans des domaines tels que
les communications par satellite, l’exploration de l’espace et le traitement élec-
tronique des données (Gavett, 2016). Dans le même esprit, l’automatisation de
la production industrielle était perçue par d’aucuns comme une forme de pro-
grès susceptible de libérer les travailleurs d’activités répétitives et fatigantes.
Les optimistes armaient que l’automatisation croissante «assurerait le progrès
technique futur, accroîtrait la productivité et soulagerait la pression pesant sur
les travailleurs» (Hong, 200 4, p. 52). Dans un rapport de 1996, la commission
nationale des États-Unis d’Amérique sur la technologie, l’automatisation et le
progrès économique (US National Commission on Technology, Automation, and
Economic Progress) armait que l’automatisation pourrait conduire, globale-
ment, à de meilleures conditions de travail «en éliminant de nombreux emplois
pénibles, ingrats et serviles» (National Commission on Technology, Automation
and Economic Progress, 1966 , p.xi). Elle pourrait aussi, poursuivait la commis-
sion, entraîner un allègement des horaires de travail, davantage de loisirs et
«une abondance croissante de biens ainsi qu’un ux continu de produits amé-
liorés et nouveaux» (ibid.).
Dans le camp opposé, les critiques, dans les milieux académiques et profes-
sionnels, prédisaient un avenir sombre, marqué par un chômage de masse et
par des pertes d’autonomie pour l’être humain. En 1960, Norbert Wiener, le père
de la cybernétique, appelle l’attention sur le danger de voir des machines appre-
nantes acquérir «une certaine forme de pensée» qui pourrait dépasser l’intelli-
gence humaine (Wiener, 1960). D’autres penseurs, à l’époque, armaient que
l’automatisation et les machines apprenantes pourraient entraîner une perte
grave d’autonomie pour l’être humain. Dans La technique ou l’enjeu du siècle, le
philosophe Jacques Ellul arme: «il n’y a pas d’autonomie de l’homme possible
en face de l’autonomie technique» (Ellul, 1954, p. 126). Dans le même esprit, le
sociologue américain Herbert Marcuse considérait que l’automatisation et les
techniques modernes pourraient entraîner la domination et l’empire des ma-
chines (Marcuse, 1968).
Tout comme dans les années 1960, le débat actuel autour de l’automatisa-
tion et des technologies d’apprentissage se concentre sur l’antagonisme entre
une prospérité mondiale accrue et une perte potentielle de maîtrise et d’auto-
nomie humaine. Parmi les dirigeants de la Silicon Valley, on trouve des tenants
d’une vision optimiste, mais aussi des responsables préoccupés par l’avenir de
l’intelligence articielle et de l’automatisation. Ainsi, Ray Kurzweil, directeur de
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