Relations sociales et ajustements à la crise: une analyse microstatistique comparative franco‐britannique

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12092
AuthorHéloïse PETIT,Martin CHEVALIER,Thomas AMOSSÉ,Philippe ASKENAZY,Christine ERHEL,Antoine REBÉRIOUX
Date01 September 2019
Published date01 September 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 3
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Relations sociales et ajustements
à la crise: une analyse microstatistique
comparative franco-britannique
Thomas AMOSSÉ*, Philippe ASKENAZY**, Martin CHEVALIER***,
Christine ERHEL****, Héloïse PETIT*****
et Antoine REBÉRIOUX******
Résumé. Dans cette étude comparative sur la France et la Grande-Bretagne, les
auteurs analysent les liens entre relations professionnelles et ajustements (des effec-
tifs et des salaires) face à la crise de 200 7-200 8, en s’appuyant sur deux enquêtes
au niveau des établissements, fortement comparables, l’une britannique (WERS),
l’autre française (REPONSE), collectées en 2010-2012. Malgré des contextes dif-
férents (composition du tissu productif, temporalité et impact de la crise), les liens
entre relations sociales et stratégies d’ajustement semblent proches (la présence
syndicale ne sufsant pas à empêcher les ajustements). La différenciation des sys-
tèmes de relations professionnelles ne permet donc pas d’expliquer les divergences
de modes d’ajustement constatées au niveau macroéconomique.
La France comme le Royaume-Uni ont été fortement touchés par la crise
de 2007, avec un recul du produit intérieur brut (PIB) de 2,9pour cent
en 2009 en France1, et de 0,3pour cent en 20 08 et 4,2pour cent en 2009 au
* Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), Laboratoire interdisciplinaire pour la
sociologie économique (Lise), Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET); thomas.amosse@
lecnam.net. **
Centre Maurice Halbwachs (CMH), École normale supérieure (ENS), Centre natio-
nal de la recherche scientique (CNRS); philippe.askenazy@ens.fr. *** Institut national de la sta-
tistique et des études économiques (INSEE); martin.chevalier@insee.fr. **** Cnam, Laboratoire
interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action (Lirsa), CEET; christine.erhel@lecnam.net
(auteure de correspondance). ***** Université de Lille, Centre lillois d’études et de recherches
sociologiques et économiques (Clersé), CEET; heloise.petit@univ-lille.fr. ****** Université
Paris-Diderot – Paris 7, laboratoire Dynamiques sociales et recomposition des espaces (LADYSS);
antoine.reberioux@gmail.com. Cette recherche a bénécié d’un nancement de la Direction de
l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère français du Travail,
dans le cadre de l’exploitation de l’enquête REPONSE. Les auteurs remercient par ailleurs la Dares
pour l’accès aux données de l’enquête REPONSE et le UK Data Archive, organisme britannique
de gestion des données de recherche en sciences sociales, pour l’accès aux données de l’enquête
WERS. Ils remercient également John Forth de son aide dans l’utilisation de l’enquête WERS.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Il s’agit de la croissance du PIB réel en volume. En 200 8, cet indicateur a crû faiblement
(de 0,3pour cent) en France.
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Royaume-Uni, selon les données d’Eurostat. Cette dégradation de l’activité
économique s’est accompagnée d’une nette hausse du taux de chômage (au
sens du Bureau international du Travail) dans les deux pays, celui-ci étant passé
de 7,7pour cent en 200 7 à 8,7 pour cent en 2009 en France, et de 5,3pour
cent en 2007 à 7,6pour cent en 2009 au Royaume-Uni, toujours selon Euros-
tat. Les entreprises qui ont survécu y sont souvent parvenues au prix d’ajuste-
ments importants, de leur production bien sûr, mais aussi de leur organisation
et de leur force de travail. Le choix des modalités d’ajustement se fait en rela-
tion avec de multiples facteurs, tels que la structure capitalistique et la taille
de l’entreprise, le degré d’exposition à la crise du marché sur lequel elle opère
et le type de relations sociales en son sein. Par sa simultanéité et son ampleur,
la Grande Récession offre une expérience naturelle remarquable pour étudier
plus avant le rôle des relations sociales dans la différenciation des pratiques
d’ajustement des entreprises selon les pays. C’est l’objectif de cet article.
Si l’on adopte le cadre analytique des «variétés du capitalisme» (Hall et
Soskice, 2001; Amable, 2003), on peut s’attendre à des réactions différentes des
économies française et britannique à la Grande Récession. En effet, suivant
cette approche, le modèle «libéral» britannique s’oppose au capitalisme «coor-
donné» à la française. Sur le marché du travail, cette opposition se traduit par
une régulation forte côté français, impliquant l’État et des partenaires sociaux
structurés, tandis qu’en Grande-Bretagne
2
les stratégies individuelles dominent,
avec une plus faible coordination des acteurs. Si l’on fait l’hypothèse que l’in-
tensité des relations sociales constitue un frein à la mise en œuvre d’ajuste-
ments, notamment par les salaires, touchant le noyau des salariés stables, on
peut s’attendre à ce que ce type d’ajustements ait été moins fréquent en France
qu’en Grande-Bretagne.
Pour l’heure, quelques divergences entre les deux pays semblent appa-
raître, même si la comparaison est difcile du fait de différences de calendrier
et d’intensité de la crise. Ainsi, il est établi, au niveau macroéconomique, que
la Grande-Bretagne a connu un niveau de exibilité interne (par les salaires)
et externe (par l’emploi) relativement important (van Wanrooy et coll., 2013;
Bryson et Forth, 2016): les salaires réels ont diminué dans un contexte d’ina-
tion élevée3 et la durée du travail a baissé4 alors que l’emploi total était égale-
ment affecté; en France, si les ajustements par l’emploi ont été importants, ils
se sont focalisés sur l’emploi temporaire. On peut a priori lire ces observations
2 Nous signalons que nous nous concentrons dans notre étude sur la situation en Grande-
Bretagne (plutôt qu’au Royaume-Uni dans son ensemble). En effet, les données de l’enquête WERS
que nous utilisons ne sont pas collectées sur la totalité du territoire du Royaume-Uni, mais en
Grande-Bretagne uniquement (elles portent sur l’Angleterre, l’Écosse et le Pays de Galles, mais
pas sur l’Irlande du Nord).
3 Selon Eurostat, l’indice des prix à la consommation harmonisés a progressé en France de
3,2pour cent en 200 8, puis 0,1pour cent en 2009 et 1,7pour cent en 2010, contre 3,6pour cent,
puis 2,2pour cent, et ensuite 3,3pour cent au Royaume-Uni. Le différentiel s’est encore accru en
2011 avec respectivement 2,3et 4,6pour cent.
4 Selon les données de l’OCDE, la durée annuelle moyenne du travail passe de 1 677 heures
en 2007 à 1 625 heures en 2011.

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