La réforme du droit du travail en Turquie: entre emprunts, transpositions et statu quo
Author | Umut Riza Ozkan |
Date | 01 June 2017 |
Published date | 01 June 2017 |
DOI | http://doi.org/10.1111/ilrf.12059 |
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 2
Droits réservés © auteur, 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
* École de relations industrielles, Université de Montréal, Québec; umut.riza.ozkan@umon
treal.ca.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
La réforme du droit du travail en Turquie:
entre emprunts, transpositions et statu quo
Umut Riza Ozkan*
Résumé. Dans la lignée des travaux récents sur les idées «nomades», leur circu-
lation et leur transposition, l’auteur montre comment les normes du travail consa-
crées par l’OIT et l’UE ont été introduites en Turquie et adaptées au contexte
national. Il revient sur les raisons qui ont poussé les partenaires sociaux et la com-
mission chargée de rédiger la nouvelle loi sur le travail de 2003 à partir de cette
base et analyse l’issue du processus de réforme législative correspondant, notant
que les normes internationales ont parfois été modiées dans l’exercice, alors que
certains éléments de l’ancien code du travail ont perduré, notamment le régime
d’indemnisation du licenciement.
À
l’heure de la mondialisation, les organisations internationales jouent un
rôle clé dans la diffusion des orientations, normes et institutions qu’elles
dénissent ou défendent. Tout au long des années 1990, des institutions telles
que l’OCDE, la Banque mondiale et le FMI ont fait valoir des idées et des po-
litiques néolibérales qui tendaient à amoindrir la portée des législations protec-
trices de l’emploi (encadrement du licenciement par exemple). Ces législations
induisaient, de leur point de vue, des coûts salariaux indirects élevés, néfastes
pour la croissance et pour l’emploi. De leur côté, l’UE et l’OIT ont cherché
à défendre un autre point de vue en afrmant que la protection sociale était
nécessaire pour atténuer les effets pervers de la exibilité.
Comme il fallait s’y attendre, de nombreux pays ont suivi les recom-
mandations néolibérales, réformant dans la foulée leur législation du travail,
mais avec quelques aménagements. Certains ont appliqué en effet les mesures
protectrices préconisées par l’UE et par l’OIT, étant entendu que les normes
NOTES ET DÉBATS
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du travail adoptées par ces deux organisations sont contraignantes pour leurs
États membres. Ainsi, les membres de l’UE (et les pays candidats à l’adhésion)
sont tenus de mettre leur législation du travail en conformité avec les objectifs
ou les principes édictés dans les directives européennes, et les États Membres
de l’OIT qui ont ratié une convention doivent en transposer les dispositions
dans leur droit.
La Turquie gure parmi les pays où les textes de l’OIT et de l’UE ont
permis de contrebalancer (jusqu’à un certain point) l’inuence de la théorie
néolibérale sur la réforme du droit du travail. En 2003, la loi no 4857 sur le
travail est venue abroger et remplacer la loi no1475, qui régissait les relations
de travail depuis le début des années 1970. Or, si cette nouvelle loi comprend
des dispositions relatives à l’emploi exible, elle prévoit aussi des mesures pro-
tectrices préconisées par l’UE et l’OIT.
Dans cet article, nous nous inspirons de la littérature récente sur les
«idées nomades» et leur transposition pour examiner ce qui a conduit les ac-
teurs nationaux en Turquie à importer le concept de «exicurité», déni dans
les instruments juridiques internationaux de l’OIT et de l’UE, et à l’adapter
au contexte national (Campbell, 2004; Djelic et Sahlin-Andersson, 2006; Grin-
valds, 2008).
En règle générale, les laboratoires d’idées sur les politiques publiques
jouent un rôle de premier plan dans l’importation dans le débat national de
concepts issus des réseaux transnationaux de connaissances. Ces think tanks
font partie des communautés épistémiques constituées de professionnels ayant
une expertise et une compétence reconnue dans un domaine particulier (Haas,
1992, p. 3). Quand ils sont ouverts sur l’extérieur, les think tanks empruntent
volontiers des idées aux réseaux transnationaux de connaissances auxquels
ils sont reliés, s’inspirant aussi des instruments juridiques et des programmes
qui y sont associés (Weyland, 2007). En Turquie, par exemple, les membres
de la Commission scientique, désignés par les organisations de travailleurs
et d’employeurs et par l’État, ont choisi de reprendre les principes consacrés
par l’OIT et l’UE en raison de leurs liens avec les milieux universitaires et les
réseaux internationaux d’experts du droit du travail.
Quand ils importent des idées «nomades», les think tanks ont tendance à
privilégier celles qui émanent d’organisations internationales et jouissent d’une
bonne réputation dans l’opinion publique. Ils peuvent aussi chercher à s’assurer
que ces idées et les normes qui en découlent emportent l’adhésion des acteurs
sociaux particulièrement inuents dans la vie politique nationale. En outre, des
laboratoires d’idées tels que la Commission scientique turque ont d’autant
plus de poids que les services de l’État ne possèdent pas l’expertise sufsante
dans un domaine d’action particulier, et qu’ils acceptent donc volontiers d’être
«conseillés et secondés par des universitaires» (Hall, 1989, p.9). Leur inuence
s’accroît nettement lorsque l’État et les partenaires sociaux leur délèguent la
tâche d’élaborer un projet de réforme institutionnelle. Cette délégation de
pouvoir permet aussi à ces think tanks de contribuer activement à la transpo-
sition d’une idée nomade et des normes qui y sont associées dans leur pays.
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