Réforme des régimes de propriété des entreprises et inégalités salariales dans la Chine urbaine

Published date01 March 2016
AuthorJohn WHALLEY,Chunbing XING
Date01 March 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12002
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 1
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
Réforme des régimes de propriété
des entreprises et inégalités salariales
dans la Chine urbaine
John WHALLEY* et Chunbing XING**
Résumé. En Chine, l’impact des inégalités de revenu urbaines sur les inégalités
d’ensemble s’accroît. En utilisant des enquêtes auprès des ménages réalisées en
1995, 20 02 et 20 07, les auteurs analysent l’effet de la réforme du régime de pro-
priété des entreprises – trait marquant de la transition économique chinoise – sur
les inégalités salariales des urbains. Ils constatent que, entre 1995 et 20 07, la dis-
persion des salaires est inférieure dans les entreprises d’État, où elle s’accroît plus
vite cependant, en raison, pour près de 50pour cent, d’un transfert de travailleurs
vers le secteur privé. Si ce redéploiement se poursuit, les inégalités salariales entre
urbains pourraient continuer de se creuser.
L
a Chine socialiste et collectiviste était très égalitaire. Au début des années
1980, aux prémices de la réforme économique, le pays afchait un coef-
cient de Gini de 0,3 environ (Banque mondiale, 2009). La situation a évolué
sous l’effet du processus de transition et d’une croissance économique rapide,
si bien que le coefcient de Gini a atteint 0,462 en 2015 (National Bureau of
Statistics of China, 2016).
Dans une économie dualiste, les disparités de revenu entre ruraux et ur-
bains sont un déterminant toujours plus important des inégalités de revenu
globales (Li et Sicular, 2014)1. Cependant, les écarts de revenu entre urbains
eux-mêmes y contribuent de plus en plus également, alors que les disparités
s’accroissent dans les villes et que les ruraux sont toujours plus nombreux à y
* Université de Western Ontario, Center for International Governance Innovation (CIGI), et
National Bureau of Economic Research, courriel: jwhalley@uwo.ca. ** École normale supérieure
de Beijing, courriel: xingchb@bnu.edu.cn. Les auteurs remercient le Fonds pour la recherche de
l’Ontario de son soutien, ainsi qu’Audra Bowlus, Chris Robinson, Terry Sicular et les participants
au séminaire organisé par l’Université de Western Ontario des remarques qu’ils ont bien voulu for-
muler sur une version précédente du présent article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Le rapport entre le revenu disponible par habitant des ménages urbains et celui des mé-
nages ruraux est de 3,33 pour 1 en 2009. En 2014, il n’est plus que de 2,92 pour 1. Voir à l’adresse
[consulté le 25janvier 2016].
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émigrer. Selon Meng, Shen et Sen (2013), le coefcient de Gini «urbain» est
passé ainsi de 0,23 à la n des années 1980 à près de 0,37 en 20 09 (voir no-
tamment Ravallion et Chen, 2007; Li et Sicular, 2014). Tandis que l’urbanisa-
tion se poursuit, les inégalités en milieu urbain semblent appelées à jouer un
rôle croissant dans les inégalités d’ensemble.
Pour les chercheurs, la forte hausse de la rémunération des qualications
est le principal déterminant de ce creusement des inégalités salariales (Meng,
Shen et Sen, 2013; Park et coll., 2008). Certains auteurs attribuent cette appré-
ciation au nouveau cadre institutionnel principalement (Zhang et coll., 2005;
Li et Ding, 2003). Il est plus difcile de trouver des études analysant l’effet des
changements institutionnels, et de l’évolution des régimes de propriété plus
particulièrement, sur les inégalités salariales.
Des études sont consacrées en revanche aux différences entre pratiques
salariales (soit aux différents mécanismes de la détermination des niveaux sala-
riaux) selon le régime de propriété de l’entreprise. Ainsi, Zhao (2002) montre,
à partir de données portant sur l’année 1996, que les salariés des entreprises à
participation étrangère gagnent bien moins que les salariés des entreprises d’État
s’ils ne sont pas qualiés, mais plus s’ils le sont. Chen, Démurger et Fournier
(2005) relèvent eux aussi que le rendement de l’éducation est plus élevé dans les
entreprises collectives ou à capitaux étrangers que dans les entreprises d’État.
Meng (2000), Xing (200 8) et Yang, Démurger et Li (2010) présentent des résul-
tats allant dans le même sens2.
Dans notre étude, nous vérions dans quelle mesure la réforme des ré-
gimes de propriété des entreprises a contribué à l’augmentation des inégalités
salariales dans la Chine urbaine. À partir de données provenant d’enquêtes
auprès des ménages urbains menées en 1995, 2002 et 200 7, nous montrons
pour commencer que la dispersion des salaires et la rémunération des qua-
lications sont plus élevées dans le secteur privé que dans le secteur public,
où la progression de ces deux variables est plus rapide cependant. Par des
exercices de décomposition, nous établissons que le processus de privatisation
–qui suppose un transfert de la main-d’œuvre du secteur public vers le secteur
privé– a joué un rôle déterminant dans l’augmentation des inégalités de sa-
laire chez les travailleurs urbains. Par ailleurs, l’augmentation de la dispersion
des salaires au sein de chaque catégorie d’entreprises (et notamment dans le
secteur public) contribue aussi dans une large mesure au creusement des iné-
galités. Des analyses contrefactuelles permettent de montrer que les inégalités
pourraient continuer de se creuser parmi les urbains si le redéploiement de la
main-d’œuvre vers le secteur privé se poursuit.
Nous organisons la suite de notre article en six parties. Dans la première,
nous fournissons des éléments de contexte sur la réforme des régimes de pro-
priété des entreprises en Chine et passons en revue les voies par lesquelles
cette réorganisation peut inuer sur les inégalités salariales. Nous présentons
2 On trouve une exception chez Dong et Bowles (2002), qui concluent au contraire qu’il n’y
a pas de différences signicatives dans le rendement de l’éducation selon le type de l’entreprise.

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