Protection des travailleurs et emploi informel en Europe, 2004–2012

AuthorLuz Adriana FLÓREZ,Francisco PERALES
Published date01 December 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12038
Date01 December 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 4
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
Protection des travailleurs
et emploi informel en Europe, 2004-2012
Luz Adriana FLÓREZ* et Francisco PERALES**
Résumé. L’emploi informel nuit à la productivité, réduit l’assiette scale, freine la
croissance. On s’attache partout à le combattre, alors qu’il semble paradoxalement
renforcé par les mesures de lutte contre le chômage à l’honneur dans beaucoup de
pays européens depuis 2008 , à savoir des dispositions visant à limiter la protection
de l’emploi et restreindre les prestations sociales. Les auteurs tentent d’en savoir
plus et parviennent à établir, avec des méthodes sur pseudo-panel et des données
de l’Enquête sociale européenne pour 2004 -2012, que la protection contre le li-
cenciement, les prestations de chômage et les dépenses sociales contribuent effec-
tivement à réduire l’emploi informel salarié.
L’OIT entend par «“économie informelle” toutes les activités écono-
miques de travailleurs et d’unités économiques qui ne sont pas couverts
– en vertu de la législation ou de la pratique – par des dispositions formelles»1.
L’économie informelle est combattue dans les pays en développement comme
dans les pays développés. Les travailleurs de l’économie informelle ne sont pas
protégés par la loi et ne peuvent prétendre aux prestations de chômage, de
retraite ou d’assurance-maladie. Ils sont aussi moins productifs (Bernal, 2009;
Henley, Arabsheibani et Carneiro, 2009), ce qui nuit à la croissance écono-
mique, et ils ne paient pas d’impôts, ce qui réduit les recettes scales, diminuant
de ce fait les moyens dont l’État dispose pour assurer la protection des tra-
vailleurs. Les pouvoirs publics s’emploient depuis longtemps à juguler l’emploi
informel, à la fois dans les pays développés et dans les pays en développement.
Depuis quelques décennies, surtout depuis 2008 et la crise nancière
mondiale, on observe parallèlement dans plusieurs pays européens des mesures
* Groupe d’analyse du marché du travail, Banco de la República de Colombia, courriel:
lore@banrep.gov.co. ** ARC Centre of Excellence for Children and Families over the Life
Course, Institut de recherche en sciences sociales, Université du Queensland, courriel: f.perales@
uq.edu.au. Le Banco de la República de Colombia et son conseil d’administration ne souscrivent
pas nécessairement aux opinions exprimées dans le présent article. Les auteurs remercient Arturo
Martínez ls, Blendi Kajsiu et Tina Rampino de leurs commentaires et suggestions..
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Voir Conclusions concernant le travail décent et l’économie informelle, paragraphe 3 (BIT,
2002 a, p. 58); voir également BIT (2002b).
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visant à exibiliser le marché du travail et réduire le taux de chômage. Turrini
et ses collaborateurs (2014) ont examiné la portée des réformes ainsi mises en
place, montrant qu’elles se sont généralement traduites par un recul de la pro-
tection offerte aux travailleurs, notamment par une réévaluation à la baisse des
prestations de chômage (Acemoglu et Shimer, 1999a et 1999b; Cahuc, 2014).
Ce type de réformes est particulièrement caractéristique des pays d’Europe
occidentale et orientale. D’autres mesures ont visé à assouplir la réglementa-
tion sur la protection de l’emploi. On retrouve ces politiques plutôt dans les
pays afchant des taux de chômage élevés, en particulier des pays d’Europe
méridionale comme le Portugal ou l’Italie. Ces pratiques ne doivent pas sur-
prendre car la législation protectrice des travailleurs encadre le licenciement
et l’embauche, renchérissant les coûts de ces opérations pour l’employeur (Ja-
niak et Wasmer, 2014; Skedinger, 2010). Dans l’ensemble, il s’avère que ces ré-
formes ont effectivement eu un effet réducteur sur le chômage, y compris sur
le chômage de long terme (Martin, 2014).
Cependant, les politiques néolibérales adoptées dernièrement dans les
pays européens ont peut-être eu une incidence dans des domaines autres que
le chômage. Dans le présent article, nous afrmons que, en diminuant la pro-
tection des travailleurs, elles peuvent avoir joué sur l’importance de l’activité
informelle2. Deux points de vue s’affrontent sur l’effet que peut avoir sur le
taux d’emploi informel l’intervention de l’État dans les affaires économiques
en général et sur la protection des travailleurs en particulier. Dans une pers-
pective néolibérale, le travail informel est un choix pour les travailleurs et pour
les microentrepreneurs, qui y voient une façon de se soustraire au contrôle de
l’État en matière économique, c’est-à-dire de payer moins d’impôts et d’évi-
ter les cotisations sociales (Williams, 2013). L’investissement de l’État dans la
protection des travailleurs a un coût pour l’employeur, et il est généralement
nancé par des hausses d’impôt. Selon cette logique, les dernières réformes
visant à exibiliser le marché du travail en Europe auraient dû faire reculer
l’activité informelle. Dans une perspective structuraliste, l’idée est au contraire
que les travailleurs se tournent vers le secteur informel contre leur gré, parce
que l’intervention de l’État est trop limitée plutôt qu’excessive (ibid., 20 13).
L’activité informelle s’explique alors par un défaut de protection par l’État,
2 De leur côté, les études sur les effets macroéconomiques de la protection des travailleurs
parviennent à des conclusions partagées. Quelques-unes tendent à montrer que cette protection a
des effets défavorables: elle porterait préjudice à certaines catégories de travailleurs vulnérables
(les jeunes par exemple), elle accroîtrait le nombre des travailleurs temporaires, elle réduirait la
productivité et elle allongerait la durée des périodes de chômage (Bajada et Schneider, 2009; Ske-
dinger, 2010). D’autres études font apparaître au contraire des effets favorables. Ainsi, Janiak et
Wasmer (2014) montrent que la protection des travailleurs améliore le rapport capital-travail en
protégeant les qualications. De façon similaire, Boeri, Garibaldi et Moen (2013) estiment que les
indemnités de licenciement liées à l’ancienneté dans le poste élèvent la productivité en encoura-
geant les investissements dans la formation, en diminuant les renvois inefcaces et en favorisant
un déploiement optimal de la main-d’œuvre. D’autres études encore montrent que la protection
des travailleurs amortit les effets de la récession économique sur les plus vulnérables, y compris
sous l’angle de la santé psychique et du taux de mortalité et de suicide (Zivin, Paczkowski et Galea,
2011; Suhrcke et Stuckler, 2012; Perales et Plage, 2016).

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