La peur de l'échec: les enjeux de l'emploi des jeunes en Chine

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12046
AuthorGünter SCHUCHER
Date01 March 2017
Published date01 March 2017
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 1
Droits réservés © auteur, 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
La peur de l’échec: les enjeux
de l’emploi des jeunes en Chine
Günter SCHUCHER*
Résumé. Les médias donnent de la situation de la jeunesse chinoise une image
contradictoire, faisant état d’un chômage des jeunes limité, mais aussi d’une préoc-
cupation croissante des autorités et de la population en général quant à l’insertion
professionnelle de la tranche d’âge. À l’issue d’une analyse approfondie, l’auteur
établit que les jeunes Chinois pâtissent moins d’une pénurie que d’une inadéqua-
tion de l’emploi, notamment les diplômés du supérieur parmi eux, soit la moitié
environ de ceux qui se portent sur le marché du travail chaque année. Ces diplômés
se plaignent également de salaires décevants et de possibilités de mobilité sociale
moins bonnes qu’auparavant.
Les informations diffusées par les médias sur la situation professionnelle
de la jeunesse chinoise sont quelque peu contradictoires. Si les autori-
tés comme la population semblent extrêmement préoccupées par le manque
d’emplois, notamment chez les jeunes (W. Xu, 2015), le taux de chômage of-
ciel reste relativement faible dans le pays, puisqu’il atteint 4,09pour cent seu-
lement en 2014 (ministère des Ressources humaines et de la Sécurité sociale,
2015a), et la population chinoise se déclare optimiste quant à la situation éco-
nomique actuelle et future du pays. À l’échelle des économies émergentes, c’est
en Chine que la pénurie de débouchés inquiète le moins (PewResearchCen-
ter, 2014). Si les étudiants et diplômés du supérieur en Chine1 sont moins de
50pour cent à se déclarer satisfaits de la politique du gouvernement en ma-
tière d’emploi, seuls 1pour cent des jeunes disent craindre de ne pas trouver
de travail (Yuan, Hui et Jianjian, 2013; Zhao, 2013).
* Maître de recherche, Département des études asiatiques, German Institute of Global and
Area Studies (GIGA); guenter.schucher@giga-hamburg.de. L’auteur a présenté une version pré-
liminaire de cet article à la conférence générale 2014 de l’European Consortium for Political Re-
search (ECPR) (Glasgow, 6septembre). Il remercie Maria Bondes ainsi que les participants à la
table ronde sur la politique de l’inégalité en Chine contemporaine organisée dans le cadre de cette
conférence de leurs remarques bienvenues.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Dans notre article, nous désignons comme «diplômés du supérieur» à la fois les étudiants
issus des universités (formation en quatre ans minimum) et ceux qui sortent des instituts de for-
mation supérieure (formation de type général, le plus souvent en trois ans).
Revue internationale du Travail82
Pour comprendre cette contradiction apparente, il convient d’examiner
plus attentivement la situation des jeunes au regard de l’emploi en Chine, un
sujet relativement négligé par les chercheurs à ce jour. Car, si les études consa-
crées aux difcultés d’insertion professionnelle des diplômés du supérieur sont
très nombreuses2, les études sur le chômage ne contiennent pas d’analyse par
cohorte en général (SWUFE, 2012; Zhang, 2012; Liang, 2013). En outre, le
chômage ne constitue que l’une des dimensions de la situation au regard de
l’emploi. Pour dresser un tableau exhaustif sur ce plan, il faut s’intéresser aussi
au cas particulier des inactifs et aux situations de sous-emploi ou encore de
sous-qualication et de surqualication. Si la question de l’inactivité (au sens
économique) est très peu traitée – Mei (2008) faisant exception –, toute une
série d’études ont déjà été consacrées à l’emploi atypique (F. Xu, 2008; Gong,
2012; Zhou, 2013; Smith et Chan, 2015; Swider, 2015). Toutefois, seuls Smith
et Chan (2015) et Gong (2012) ont directement fait porter leur attention sur
la situation des jeunes. D’autres études abordent plutôt la question du stress
découlant des problèmes d’insertion professionnelle des jeunes Chinois ou
celle des attitudes de cette population sur les questions sociales et politiques
(Rosen, 2009; Lu, 2012; Kan, 2013; Lian, 2013; Zhao, 2013; He et Mai, 2015;
Szablewicz, 2014).
La situation de la jeunesse chinoise face à l’emploi n’a donc encore jamais
fait l’objet d’une étude exhaustive, et c’est cette lacune que nous chercherons à
combler ici en analysant la question de l’emploi des jeunes sous toutes ses di-
mensions, soit le chômage mais aussi les formes d’emploi atypiques, l’inactivité,
les situations d’inadéquation entre emploi et qualications et le sous-emploi.
Nous nous fondons dans notre analyse sur des données recueillies dans des
travaux statistiques, des compilations de données, des articles scientiques, des
articles de presse ou des informations rassemblées dans le cadre d’entretiens
avec des spécialistes du marché du travail et des responsables des questions
relatives à l’emploi, menés depuis la n des années 1980. Puisque les statis-
tiques ofcielles fournies par le ministère du Travail (ministère des Ressources
humaines et de la Sécurité sociale)3 et par le Bureau national de statistique
ne donnent pas une vision complète de la réalité, nous nous fonderons prin-
cipalement dans notre analyse sur des données issues des recensements de la
population de 2000, 2005 et 2010, recensements qui ont touché la totalité des
jeunes, quelle que soit leur situation (Recensement, 2002; Minirecensement,
2007; Recensement, 2012). Ces chiffres montrent que la situation des jeunes
face à l’emploi en Chine est effectivement bien plus complexe que ce que dé-
voilent les chiffres du chômage ofciels. Les jeunes Chinois se plaignent moins
du chômage que de ne pas trouver de postes conformes à leur prol ou à leurs
aspirations, et le monde du travail est souvent bien éloigné de l’idée qu’ils s’en
2 Voir notamment MyCOS (2011 et 2014); Li (2012) et (2013); Wang, Guo et Men (2013);
Xiong (2014); Yue (2014).
3 Ce ministère n’a pas toujours porté le même nom, mais, par commodité, nous le désigne-
rons systématiquement de cette façon.

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT