Non‐respect du salaire minimum en Amérique latine: l'incidence des facteurs institutionnels

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12005
Date01 March 2016
AuthorAndrés MARINAKIS
Published date01 March 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 1
Copyright © Organisation internationale du Travail 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* BIT, Santiago, Chili; courriel: marinakisa@ilo.org. Cet article est en grande partie fondé
sur une étude antérieure, publiée par le BIT en 2014 et réalisée par le Bureau sous-régional de
l’OIT à Santiago sous la direction de l’auteur (Marinakis, 2014).
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Non-respect du salaire minimum
en Amérique latine:
l’incidence des facteurs institutionnels
Andrés MARINAKIS*
Résumé. En s’appuyant sur des données provenant d’enquêtes auprès des ménages,
l’auteur calcule, pour seize pays d’Amérique latine, le niveau du salaire minimum
par rapport à divers indicateurs (salaire du marché, PIB par habitant, seuil de
pauvreté et pouvoir d’achat). Il estime ensuite le degré de non-respect de la légis-
lation et sa corrélation avec le salaire minimum rapporté au salaire moyen. Enn,
il analyse la situation dans quatre pays (Chili, Costa Rica, Pérou et Uruguay) et
conclut que, hormis pour les rapports extrêmes, la bonne application des salaires
minima dépend du cadre institutionnel et de la qualité de l’inspection du travail,
pour laquelle il formule quelques suggestions d’amélioration.
Les pays d’Amérique latine possèdent une longue tradition de salaires
minima. Dans les législations qu’ils ont adoptées, ils se sont xé des
objectifs ambitieux, les seuils légaux devant permettre aux travailleurs de
subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Or, en raison des cycles
économiques et des crises successives, cet objectif n’a pas été atteint dans bien
des cas, les salaires minima établis ne sufsant pas à couvrir ces besoins.
Le constat n’est pas nouveau, et la révision du salaire minimum donne
lieu à des débats généralement passionnés dans les pays de la région. Cepen-
dant, dès lors qu’une revalorisation est effectuée, le sujet passe au second plan,
jusqu’au réajustement suivant. On pourrait en déduire que le salaire minimum
ne pose pas de problèmes d’application particuliers. Or ce n’est pas le cas. Il
ressort en effet de l’examen des indicateurs disponibles que la législation n’est
pas toujours respectée en la matière.
Certains estiment que, si le salaire minimum n’est pas bien appliqué, c’est
parce qu’il est xé à un niveau très élevé pour certains segments de l’économie.
En vertu de ce raisonnement, le niveau élevé du salaire minimum par rapport
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au salaire moyen est un des facteurs qui contribue à l’ampleur de l’emploi in-
formel dans bon nombre de pays (OCDE, 2014) et, par conséquent, si le salaire
minimum était xé à un niveau plus bas, le marché du travail fonctionnerait
mieux1. Cette approche, toutefois, comporte un risque: si le salaire minimum
était xé à un niveau très bas, il perdrait toute utilité en tant que moyen de
garantir un minimum salarial digne aux travailleurs.
La convention (n
o
131) de l’OIT sur la xation des salaires minima, 1970,
tente de concilier ces deux dimensions: pour déterminer le niveau de cette ins-
titution, y est-il précisé, il convient de prendre en considération aussi bien «les
besoins des travailleurs» que «les facteurs d’ordre économique, y compris les
exigences du développement économique, la productivité et l’intérêt qu’il y a
à atteindre un haut niveau d’emploi».
Cela étant, pour apprécier la mesure dans laquelle le salaire minimum
est appliqué, on peut aussi prendre en compte les facteurs institutionnels et,
notamment, l’inspection du travail. Comme toute législation ou réglementa-
tion, celle relative au salaire minimum est tributaire d’un système d’inspections
sufsamment complet, débouchant sur des amendes et des sanctions effectives,
ayant un effet dissuasif pour les employeurs. Dans un article pionnier en la ma-
tière, Ashenfelter et Smith (1979) ont évalué l’impact économique du non-res-
pect du salaire minimum pour les entreprises aux États-Unis, en comparant le
coût attendu (qui est fonction de la probabilité que l’infraction soit décelée et
du montant de l’amende encourue) avec le bénéce attendu si l’infraction n’est
pas détectée (qui est fonction de la probabilité d’être inspecté et des économies
dérivées du fait de verser une rémunération inférieure au salaire minimum).
Les auteurs de cette étude, ainsi que d’autres qui ont poursuivi dans la même
ligne (Weil, 2005), concluent à la nécessité d’un cadre institutionnel efcace
(avec un système d’inspection, des amendes et des sanctions et leur applica-
tion effective) pour améliorer le respect du salaire minimum, même dans un
pays comme les États-Unis, où ce salaire est xé à un niveau relativement bas.
Dans le présent article, nous conduisons une analyse comparée de quatre
pays d’Amérique latine (Chili, Costa Rica, Pérou et Uruguay) possédant des
systèmes et des niveaux de salaire minimum différents et représentatifs de
diverses structures du marché du travail, an de vérier si le degré de res-
pect de la législation est uniquement fonction du niveau auquel a été xé le
salaire minimum ou bien si les facteurs institutionnels entrent aussi en ligne
de compte. À cet effet, nous calculons le niveau du salaire minimum par rap-
port aux salaires médian et moyen, ainsi que par rapport au PIB par habitant
et au seuil de pauvreté, en nous appuyant sur des données de 2011 provenant
d’enquêtes auprès des ménages. Nous estimons ensuite la corrélation entre le
rapport salaire minimum/salaire moyen et le degré estimé de non-respect du
salaire minimum dans les entreprises privées. Pour mieux cerner le cas des
1 C’est ce principe implicite qui est appliqué pour la pondération du salaire minimum dans
les indicateurs du rapport Doing Business de la Banque mondiale. Toutefois, lors d’une révision
récente de ces indicateurs, il a été établi que l’absence de salaires minima ou leur non-application
constituait un «excès de exibilité» (voir Lee, 2012).

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