Le non‐respect des dispositions relatives au salaire minimum en Europe centrale et orientale

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12124
Date01 June 2019
AuthorPiotr LEWANDOWSKI,Karolina GORAUS‐TAŃSKA
Published date01 June 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Faculté des sciences économiques de l’Université de Varsovie; kgoraus@wne.uw.
edu.pl. ** Institute for Structural Research (IBS); piotr.lewandowski@ibs.org.pl. Les auteurs
remercient Szymon Górka, qui les a assistés avec talent dans les travaux de recherche nécessaires
à cette étude, ainsi qu’Andrea Garnero, qui a relu une version préliminaire de leur manuscrit. Ils
remercient aussi de leurs observations bienvenues les participants aux conférences suivantes: le
colloque intitulé Jobs Conference organisé par l’IBS à Varsovie en 2015, les rencontres écono-
miques internationales de Varsovie (Warsaw International Economic Meeting – WIEM) de 2016,
la 28econférence de l’association européenne des économistes du travail (European Association of
Labour Economists – EALE) tenue à Gand, en 2016 également, et la conférence «Jobs and Devel-
opment» organisée à Washington, toujours la même année. Leurs remerciements vont enn à Attila
Bartha, Vera Czesaná, Katarina Gandzalova, Peter Goliáš, Bogusław Gruzewski et Lija Luste qui
leur ont fourni des informations sur la législation relative au salaire minimum dans certains pays.
Les données utilisées proviennent d’Eurostat mais les auteurs restent entièrement responsables
des résultats et des conclusions présentés dans leur article. Ils soulignent qu’ils ont bénécié de
l’appui nancier du Network for Jobs and Development, sous les auspices de la Banque mondiale.
Les dénis de responsabilité habituels sont applicables.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Le non-respect des dispositions
relatives au salaire minimum
en Europe centrale et orientale
Karolina GORAUS-TAN
´SKA* et Piotr LEWANDOWSKI**
Résumé. L’étude porte sur l’inobservation du salaire minimum dans dix pays
d’Europe centrale et orientale dotés de cette institution. Les auteurs estiment la
fréquence et la gravité des infractions à partir des données de l’EU-SILC (2003 -
2012), en reprenant la méthode de Bhorat, Kanbur et Mayet (2013). Ils tiennent
compte dans leurs régressions des caractéristiques individuelles, des caractéris-
tiques de l’emploi et des données macroéconomiques. Les infractions restent rela-
tivement peu fréquentes mais touchent d’abord les groupes que les politiques de
salaire minimum devraient protéger. Par ailleurs, la hausse du rapport entre sa-
laire minimum et salaire moyen dans le temps s’accompagne d’une hausse de la
fréquence des infractions.
L’effet des politiques de salaire minimum intéresse beaucoup les cher-
cheurs et les responsables de l’action publique dans les pays dévelop-
pés comme dans le monde en développement. Dans les économies qui ont
connu une croissance rapide du PIB par habitant, les travailleurs réclament
souvent une revalorisation de ce plancher. Les politiques de salaire minimum
Revue internationale du Travail324
sont parfois à l’honneur aussi dans les économies marquées par de fortes dis-
parités salariales ou confrontées à des problèmes de pauvreté laborieuse. Avec
l’arrivée de la crise de 2008, on observe un regain d’intérêt pour cette institu-
tion dans le monde (OCDE, 2015). Dans les débats comme dans la littérature
économique sur la question, l’accent est mis principalement sur l’incidence des
salaires minima sur l’emploi (Neumark et Wascher, 2006), et également, mais
dans une moindre mesure, sur leur effet sur les disparités salariales (Autor,
Manning et Smith, 2010) et sur la pauvreté, que ce soit dans les pays dévelop-
pés (Saget, 2001) ou dans les pays en développement (MaCurdy, 2015). Alors
que les observateurs expriment des inquiétudes tout autant que des attentes
quant à l’effet potentiel des dispositions législatives instituant de tels seuils
salariaux sur les marchés du travail, il ne faut pas oublier que les politiques de
salaire minimum ne portent leurs fruits que si elles sont véritablement mises
en œuvre et respectées. Pour évaluer l’incidence du salaire minimum dans des
contextes nationaux donnés, il faut donc parvenir à mesurer le degré d’obser-
vation (ou d’inobservation) des règles en question et détailler les stratégies uti-
lisées par les agents pour les contourner. Ashenfelter et Smith (1979) utilisent
pour ce faire un modèle de maximisation du prot dans lequel le non-respect
est mis en relation avec la probabilité de se faire prendre et la lourdeur des
sanctions encourues. Basu, Chau et Kanbur (2010) ont établi que, par prag-
matisme, les gouvernements acceptent parfois une application lacunaire de la
législation si cela permet de limiter les coûts liés au contrôle et à la sanction
des infractions. Bhorat, Kanbur et Stanwix (2015a) proposent un modèle de
conformité partielle qui montre que les employeurs peu respectueux du droit
tendent à rapprocher les salaires qu’ils versent à leur personnel des seuils en
vigueur, car la probabilité d’être démasqué dépend de l’importance du sous-
paiement. Danziger (2009) estime que, si les travailleurs ont une aversion pour
le risque de revenu et n’agissent pas en fonction d’un principe de prudence, la
hausse des minima légaux élève le coût de la protection sociale même lorsque
les règles sont mal appliquées. Cependant, les études empiriques sur les at-
teintes aux dispositions relatives au salaire minimum restent rares, notamment
celles qui portent sur plusieurs pays à la fois. En outre, la question est envisa-
gée principalement dans le contexte du monde en développement (voir Rani
et coll., 2013; Bhorat, 2014; Bhorat, Kanbur et Stanwix, 2015b; Ye, Gindling et
Li, 2015; Marinakis, 2016), même si l’on trouve une analyse sur l’inapplication
du droit (ainsi que sur les situations de défaut de couverture) dans les pays de
l’Union européenne (UE) dans Garnero, Kampelmann et Rycx (2015).
Dans notre article, nous cherchons à compléter cette littérature naissante
en évaluant les atteintes aux dispositions relatives au salaire minimum dans
les dix pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ayant adhéré à l’UE en
2004 ou par la suite, en déterminant quels sont les travailleurs les plus expo-
sés aux infractions et en faisant émerger les tendances en matière de non-res-
pect dans le temps. Les PECO se prêtent particulièrement bien à une étude
transnationale sur la question. Tous sont dotés d’un système de salaire mini-
mum national légal, qui couvre la totalité des salariés, et leurs niveaux de
Les atteintes au salaire minimum en Europe centrale et orientale 325
développement sont comparables. En outre, tous ont adhéré à l’UE récem-
ment, rejoignant un ensemble dans lequel le salaire offert aux travailleurs les
moins qualiés est souvent plus élevé que sur leur propre territoire. La litté-
rature sur le rôle des salaires minima dans les PECO reste relativement peu
abondante, et la question y est envisagée essentiellement sous l’angle des effets
sur l’emploi1. À notre connaissance, nous sommes donc les premiers à aborder
la question du non-respect des dispositions relatives au salaire minimum en
Europe centrale et orientale2.
Cette introduction étant faite, nous organisons la suite de notre texte en
cinq parties. Dans la première, nous présentons les dispositions sur les salaires
minima et leur évolution dans les pays d’Europe centrale et orientale de notre
échantillon. Dans une deuxième partie, nous détaillons la méthode proposée
par Bhorat, Kanbur et Mayet (2013), que nous avons utilisée pour analyser la
fréquence des infractions aux règles en question et leur gravité (en l’espèce la
valeur pécuniaire du moins-perçu). Dans cette partie, nous fournissons aussi
des informations sur nos données. Dans la troisième partie, nous rapportons les
estimations de nos différents indicateurs du non-respect sur la période 2003-
2012, ainsi que les estimations des relations entre ces mesures et les variables
individuelles ou relatives à l’emploi, telles qu’elles ressortent d’une analyse
reposant sur des modèles probit, de même que les résultats des régressions
de panel à l’échelon des pays. Dans la quatrième partie, nous présentons les
politiques adoptées dans les différents PECO de notre échantillon en nous
demandant si les particularités institutionnelles de chacun peuvent expliquer
les résultats précédents. Dans une cinquième et dernière partie, nous résumons
nos résultats et indiquons les enseignements que l’on pourra en tirer dans la
perspective de l’action publique.
Les salaires minima en Europe centrale et orientale
Sur les vingt-huit États membres que comptait l’UE en 2015, vingt-deux étaient
dotés d’une législation instituant un salaire minimum au niveau national. Parmi
eux, onze étaient des pays d’Europe centrale et orientale ayant adhéré à l’UE
en 2004 ou par la suite (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Litua-
nie, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et République tchèque). Dans
notre étude, l’analyse porte sur ces pays3, exception faite de la Croatie, que
nous avons dû écarter pour cause de données manquantes. Nous désignerons
1
Voir Hinnosaar et Room (2003), Eriksson et Pytlikova (2004), Fialová et Mysíková (2009),
Baranowska-Rataj et Magda (2015), Kamińska et Lewandowski (2015), Gouvernement de la Slo-
vénie (2017).
2
Dans notre étude, nous utilisons les termes «infraction», «non-respect», «atteinte» et «man-
quement» de façon indifférenciée pour désigner les situations dans lesquelles un travailleur qui au-
rait droit au salaire minimum selon la loi reçoit moins que ce montant dans les faits.
3 Selon les données d’Eurostat, les autres pays de l’UE qui étaient dotés d’un salaire mi-
nimum national légal en 2015 étaient les suivants: Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce,
Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni. En Allemagne, l’introduction de
ce salaire date du 1er janvier 2015.

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