Minorités ethniques en marge et détermination du salaire en Chine

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12133
AuthorReza HASMATH,Andrew W. MACDONALD
Date01 September 2019
Published date01 September 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 3
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Université Duke Kunshan; andrew.mcdonald@dukekunshan.edu.cn. ** Université de
l’Alberta; rhasmath@gmail.com (auteur référent). Les auteurs souhaitent remercier toutes les
personnes qui leur ont fait part de leurs commentaires sur de précédentes versions de cet ar-
ticle, présentées au Centre of Development Studies de l’Université de Cambridge, à l’assemblée
annuelle2015 de l’Academy of Management (Vancouver, Canada) et à l’assemblée annuelle2015
de l’American Sociological Association (Chicago, États-Unis).
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Minorités ethniques en marge
et détermination du salaire en Chine
Andrew W. MACDONALD* et Reza HASMATH**
Résumé. Dans la littérature existante, les conclusions sur l’effet de l’appartenance
à une minorité ethnique sur le salaire en Chine urbaine sont contrastées. Pour en
savoir plus, les auteurs décident d’examiner la situation en tenant compte plus pré-
cisément du groupe d’appartenance, exploitant pour ce faire une volumineuse série
de données sur les minorités chinoises. Après contrôle de l’effet de différentes va-
riables, ils font apparaître une pénalité salariale importante aux dépens de groupes
«en marge» (tibétains et turciques notamment), mais pas par rapport aux minorités
considérées dans leur ensemble. Les résultats, robustes à différentes spécications,
sont riches d’enseignements sur le plan théorique comme pour l’action publique.
Les membres des minorités ethniques vivant dans les villes chinoises esti-
ment souvent que leur origine les empêche de trouver un emploi faci-
lement ou de s’intégrer pleinement dans le monde du travail (Hasmath, 2008
et 2011a; Hasmath et Ho, 2015). Pourtant, la plupart des études quantitatives
consacrées à ces populations en Chine concluent à l’absence d’écart de rému-
nération signicatif entre les Han, qui forment l’ethnie majoritaire, et les mino-
rités. Nous tentons d’expliquer cette contradiction en nous appuyant sur une
nouvelle et volumineuse série de données sur les minorités ethniques vivant
dans les villes chinoises, à partir de laquelle nous avons pu procéder à une
décomposition ne selon le groupe d’origine.
La Chine abrite des minorités ethniques fort différentes les unes des
autres par leurs pratiques culturelles, leur prol démographique et la manière
dont elles sont perçues par la majorité han (Hasmath, 2010; Maurer-Fazio et
Hasmath, 2015). L’éventail est large, depuis la minorité coréenne, stéréoty-
pée comme industrieuse, dans le nord-est de la Chine (Jeong, 2014), jusqu’au
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peuple dai (ou thaï), volontiers représenté comme exotique, dans le sud du
pays (Gladney, 1994), en passant par les «redoutables» minorités occiden-
tales (Gladney, 2004). Ces diverses représentations et l’image des minorités
ethniques ont varié au l du temps. En milieu urbain, les groupes ethniques
qui ne sont pas perçus comme une menace pour les Han (par exemple l’eth-
nie zhuang) sont relativement bien intégrés dans le monde du travail chinois
contemporain. En revanche, aujourd’hui encore, les peuples les plus éloignés
des Han sur le plan culturel et les plus facilement identiables comme diffé-
rents, par exemple les minorités tibétaines et turciques (comme les Ouïgours,
les Kazakhs, les Salar, les Kirghizes et les Tadjiks), sont perçus comme des po-
pulations qui vivent en marge de la société, lorsqu’ils ne sont pas considérés
comme inassimilables (Hasmath, 2014).
À l’évidence, l’État et le Parti communiste chinois (PCC) considèrent
parfois ces minorités en marge comme potentiellement menaçantes pour leur
légitimité parce qu’elles ont le pouvoir de déclencher une dynamique de dés-
intégration nationale (Hasmath, 2019). Ces dernières années, les médias ont
relayé cette représentation négative à la suite d’actions menées dans le pays
dans le cadre de mouvements sociaux ayant une racine ethnique. Ainsi, les
troubles sociaux qui se sont produits à plusieurs reprises et ont été attribués
aux Ouïgours et aux Tibétains ont fait l’objet d’une couverture médiatique
critique. Les minorités appartenant à ces groupes et vivant en milieu urbain
déclarent avoir des difcultés à s’entendre avec les Han (Baranovitch, 2003;
Hasmath, 2014 et 2019), tandis que les Han les décrivent comme celles, parmi
les cinquante-cinq ethnies minoritaires vivant en Chine, qui leur ressemblent
le moins (Mercille, 2005). Ces attitudes ont suscité un vif intérêt parmi les so-
ciologues, les anthropologues et les médias qui tentent de comprendre la dyna-
mique à l’œuvre dans le rapport entre majorité et minorités (Kolås, 2008). En
revanche, les écarts socio-économiques concrets qui résultent de cette «alté-
rité» culturelle perçue ont été beaucoup moins explorés (voir cependant Wu
et Song, 2014).
Pour combler cette lacune et analyser la situation sur le marché du travail
de ces groupes en marge, nous commençons par examiner si cette situation dif-
fère de celle des autres minorités (que nous appelons dans la suite de l’article
«minorités intégrées») en tenant compte des autres variables qui inuent sur
la situation des individus sur le marché du travail; nous cherchons ensuite à
savoir si la situation professionnelle des minorités, qu’elles soient intégrées ou
en marge, présente des différences signicatives par rapport à celle de la majo-
rité han. Les résultats de ces comparaisons permettront de mieux comprendre
ce que vivent les minorités ethniques urbaines sur le marché du travail et de
résoudre les contradictions existant entre les diverses études quantitatives et
qualitatives menées jusqu’à présent.
La suite de l’article est organisée en six parties. Après un tour d’horizon
des travaux menés dans ce domaine et des questions qu’ils soulèvent, nous dé-
crivons notre méthodologie dans la deuxième partie. Dans la troisième partie,
nous présentons une analyse des statistiques récapitulatives de notre série de

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