Mesurer la vulnérabilité au travail en Europe

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12019
Published date01 June 2016
AuthorOana CALAVREZO,Cristina BOBOC,Rémi BAZILLIER
Date01 June 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 2
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Laboratoire d’économie d’Orléans (LEO-CNRS, UMR 7322), Université d’Orléans,
courriels: remi.bazillier@univ-orleans.fr; oana.calavrezo@gmail.com. ** Faculté de statistique et
d’économétrie de l’Académie d’études économiques de Bucarest, courriel: cristina.boboc@csie.ase.ro.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Mesurer la vulnérabilité au travail
en Europe
Rémi BAZILLIER*, Cristina BOBOC** et Oana CALAVREZO*
Résumé: La progression des formes de travail atypiques et l’augmentation du
nombre d’emplois occupés au cours d’une vie professionnelle sont deux tendances
marquantes de l’évolution du marché du travail en Europe. Après un tour d’hori-
zon des perspectives sur la question, dont celle de l’OIT, les auteurs s’appliquent
à mesurer cette nouvelle «vulnérabilité au travail» en s’appuyant sur une analyse
des correspondances multiples et des données de l’Enquête sociale européenne
de 200 8. Ils proposent ainsi deux indicateurs inédits, un indice de la vulnérabilité
liée à l’employeur et un indice de la vulnérabilité liée au poste, qui constituent pris
ensemble un indice global de vulnérabilité au travail.
Les institutions du marché du travail, qui sont indissociables du contexte
culturel et issues de processus historiques anciens, présentent des traits
très différents selon le pays. Cependant, deux tendances communes émergent
depuis quelques décennies sur l’ensemble du territoire européen en réponse
à certaines évolutions sociales et économiques. Ces tendances sont la progres-
sion des formes d’emploi atypiques et l’augmentation du nombre des emplois
occupés par les individus au cours de leur carrière. Il est de plus en plus rare
en effet que l’on conserve à vie un même poste à plein temps et à durée indé-
terminée. Parallèlement, les modalités de la relation de travail se sont beau-
coup diversiées et englobent aussi bien des contrats à durée déterminée que
des emplois à temps partiel, parfois cumulés, ou des missions temporaires.
Le concept de «vulnérabilité au travail» semble approprié pour carac-
tériser ces tendances. Si la notion de «vulnérabilité» a été utilisée principa-
lement en association avec l’idée de «risque de pauvreté» (Cheli et Lemmi,
1995, Qizilbash, 2003, Ligon et Schechter, 2003), la précarisation croissante de
l’emploi justie qu’on l’applique dorénavant à l’analyse de l’évolution du mar-
ché du travail en Europe.
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La littérature sur la vulnérabilité au travail est axée avant tout sur la
situation dans les pays en développement. À cet égard, l’Organisation inter-
nationale du Travail (OIT) dénit l’«emploi vulnérable» comme l’activité des
indépendants et celle des travailleurs familiaux cumulées (BIT, 2010). Boc-
quier, Nordman et Vescovo (2010) proposent différents indicateurs de la vul-
nérabilité au travail en examinant la situation dans sept capitales économiques
de l’Afrique de l’Ouest. Pour eux, la précarité au travail est l’un des principaux
problèmes des populations démunies, et les liens avec la pauvreté sont nom-
breux (Banque mondiale, 2001).
Dans les pays développés, l’accent a été mis plutôt sur certains aspects
de la vulnérabilité au travail et sur les traitements préjudiciables au travailleur.
Hudson (2006), Pollert et Charlwood (2009) et la Commission sur l’emploi vul-
nérable du Congrès des syndicats britannique (TUC) (TUC, 2008) s’intéressent
avant tout au niveau de rémunération. O’Regan, Hill et Neathey (2005) et
Taylor (2008) analysent l’évolution du marché du travail en termes de «traite-
ments inappropriés» et de «capacité des travailleurs» de s’en prémunir. Saunders
(2003) propose une approche multidimensionnelle pour examiner la question
de la vulnérabilité sur le marché du travail dans le contexte canadien. Dans la
même veine, Bewley et Forth (2010) afrment dans une étude sur la vulnéra-
bilité des travailleurs face aux traitements «inappropriés» (adverse treatment,
soit les traitements contraires aux règles écrites ou non écrites inhérentes à une
relation de travail donnée) que la fréquence de tels traitements peut avoir une
composante cyclique, puisque cette vulnérabilité est manifestement liée à la faci-
lité plus ou moins grande de retrouver un emploi. Ainsi, la fréquence des traite-
ments inappropriés est a priori supérieure lorsque la demande de main-d’œuvre
est faible et que les travailleurs sont moins susceptibles de se faire embaucher
ailleurs. Dans un article paru récemment, Bardhan et Tang (2010) s’intéressent à
la «vulnérabilité professionnelle», dénie comme le risque de perdre son emploi
à la suite d’un choc économique. Cependant, ces auteurs axent leur réexion sur
la profession plutôt que sur le travailleur. Plus généralement, les études sur la
vulnérabilité au travail font écho aux analyses sur la qualité de l’emploi1, à ceci
près que l’accent porte dans ce dernier cas sur les conditions de travail plutôt
que sur la sécurité de l’emploi et le risque de chômage.
L’apport principal de notre article, c’est que nous y proposons une dé-
nition plus précise de la vulnérabilité au travail, ainsi que plusieurs nouveaux
indicateurs, applicables aux pays européens, que nous construisons en utilisant
des données de la vague 4 de l’Enquête sociale européenne (ESS), menée
à bien en 2008. Nous utilisons pour méthode l’analyse des correspondances
multiples (ACM) an de créer un indice de la vulnérabilité liée à l’employeur
et un indice de la vulnérabilité liée au poste. En conjuguant ces deux indices,
nous créons un indice global de la vulnérabilité au travail à l’échelon du pays.
1
On trouvera dans Green (2006), Fernández-Macías et Hurley (2008) et Guergoat-Larivière
(2011) un récapitulatif des différentes approches en la matière et dans Davoine, Erhel et Guergoat-
Larivière (2008) une analyse des indicateurs européens de la qualité de l’emploi.

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