Mesurer et comprendre les échanges de tâches dans le secteur des services

Published date01 March 2019
Date01 March 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12115
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 1
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Direction générale de la recherche économique, Banque du Mexique; dchiquiar@
banxico.org.mx (auteur référent); martin.tobal@banxico.org.mx; renato.yslas@banxico.org.mx. Les
opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne sont pas représentatives de l’avis
de la Banque du Mexique ou de son conseil d’administration. Les auteurs remercient Pedro Mar-
tins, Pierre Sauvé, Lucian Cernat, Huong Dinh, Stijn Vanormelingen, Christian Viegelahn, Anirudh
Shingal, Karishma Banga et Johannes Schwarzer pour leurs précieux commentaires.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Mesurer et comprendre les échanges
de tâches dans le secteur des services
Daniel CHIQUIAR*, Martín TOBAL* et Renato YSLAS*
Résumé. Avec la révolution numérique, la délocalisation guette les tâches parti-
culièrement échangeables dans le domaine des services. Les auteurs font la syn-
thèse des études sur la mesure de l’échangeabilité des services, en analysant les
effets de la délocalisation sur l’emploi dans ce secteur et les approches théoriques
en la matière. L’intensité en qualication et l’échangeabilité sont des déterminants
des effets de la délocalisation des services sur le salaire et l’emploi. Cependant, des
problèmes de dénition, l’absence de données de qualité et la difculté à mesurer
précisément la concurrence des importations freinent les progrès de la recherche,
ouvrant les pistes pour les travaux à venir.
E
n généralisant l’utilisation de technologies telles qu’Internet, la téléphonie
mobile et la technologie des visioconférences, la révolution des techno-
logies de l’information et de la communication (TIC) a facilité la fourniture
de travail par voie électronique. Devenue de ce fait moins coûteuse, la délo-
calisation des activités de service a connu une forte expansion. Comme elle
consiste à déplacer des emplois de service d’un pays à l’autre, on peut en toute
logique s’attendre à ce qu’elle ait des retombées sur les salaires et l’emploi dans
divers pays. Par ailleurs, les échanges de services ont apriori des conséquences
importantes sur le marché du travail, non seulement sur les statistiques glo-
bales, mais aussi à travers la création d’emplois et des effets de redistribution
salariale dans les pays concernés.
Des études récentes consacrées aux conséquences des échanges de ser-
vices sur l’emploi mettent en lumière leur impact sur la situation du marché
du travail en général. Ces études montrent notamment que les exportations
de services sont un important vecteur de création d’emplois (Martins, 2016;
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Rueda-Cantuche, Cernat et Sousa, sous presse). En outre, d’autres travaux ré-
cents révèlent que la diminution des obstacles au commerce des services dans
un pays crée des emplois dans les pays partenaires sans nécessairement entraî-
ner de destruction d’emplois dans le pays importateur (Shingal et Sauvé, sous
presse; Kühn et Viegelahn, sous presse).
Par ailleurs, selon toute vraisemblance, la forte accélération de la délo-
calisation des services qui se produit depuis peu à la faveur de la révolution
des TIC a eu et continue d’avoir des effets de redistribution non négligeables.
La baisse du coût de la délocalisation des activités de service induite par cette
révolution a en effet été plus forte pour certaines tâches que pour d’autres,
ce qui signie que certains travailleurs sont désormais davantage exposés à la
concurrence mondiale. Il est donc probable que les conséquences de la délo-
calisation varient selon le degré d’échangeabilité des services. Autrement dit,
la nature plus ou moins échangeable des services est désormais le facteur qui
inuence le plus les effets du commerce mondial sur le salaire et l’emploi.
C’est pourquoi les chercheurs s’attachent depuis quelque temps à construire
une série d’outils de mesure de l’échangeabilité des services. Toutefois, comme
nous l’expliquerons plus précisément, ils se heurtent à un problème de taille, à
savoir que le concept d’échangeabilité est extrêmement difcile à dénir, no-
tamment à cause de l’absence de consensus sur les caractéristiques d’un em-
ploi de service qui rendent la production qui en est issue plus ou moins facile
à délocaliser. Les études proposent à cet égard trois déterminants potentiels de
l’échangeabilité des services: Levy et Murnane (2006) avancent que les services
sont d’autant plus échangeables qu’ils comportent des tâches routinières, Blinder
(2006 et 2 009) estime que les services les plus échangeables sont ceux qui n’im-
pliquent pas d’interactions interpersonnelles directes et Garner (2004) afrme
que les emplois qui reposent sur les TIC sont généralement délocalisables parce
que leur production peut être envoyée très loin à peu de frais1.
L’importance qu’a acquise l’échangeabilité des services pose également la
question de savoir si la distinction classique consistant à différencier les groupes
qui composent la population active en fonction de leur niveau de qualication
mériterait d’être complétée par des informations sur le caractère plus ou moins
échangeable des tâches exécutées. À noter que la réponse à cette question dé-
pend de la nature de la corrélation entre intensité en qualication et échangea-
bilité: dans l’hypothèse d’une corrélation parfaite entre ces deux dimensions,
toute information supplémentaire sur le caractère échangeable d’une activité
ferait double emploi, et il ne serait pas utile de compléter la distinction reposant
sur le niveau de qualication de la population active traditionnellement utilisée
dans les études sur le commerce mondial.
Suivant cette logique, les travaux existants explorent le signe et la force
de la corrélation entre intensité en qualication et échangeabilité. D’éminents
1 Comme nous le verrons plus loin, ces caractéristiques de l’emploi ont été utilisées pour
construire les outils de mesure de l’échangeabilité des services. Ces indicateurs peuvent être rattachés
à deux dimensions selon selon qu’ils reposent ou non sur un jugement personnel et selon le nombre
de caractéristiques examinées: ils peuvent être: i)objectifs ou subjectifs et ii)simples ou composés.

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