Libéralisation du commerce et emploi dans les services
| Published date | 01 March 2019 |
| Date | 01 March 2019 |
| DOI | http://doi.org/10.1111/ilrf.12116 |
| Author | Pierre SAUVÉ,Anirudh SHINGAL |
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 1
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Libéralisation du commerce
et emploi dans les services
Anirudh SHINGAL* et Pierre SAUVÉ**
Résumé. Dans cette analyse novatrice consacrée à l’effet de la libéralisation du
commerce et des investissements relatifs aux services sur la répartition des gains,
les auteurs mettent l’accent sur le rôle de caractéristiques comme le mode de four-
niture et la nature de la branche d’activité. Ils complètent les statistiques descrip-
tives par une analyse économétrique effectuée à partir des données de l’OCDE
sur les restrictions aux échanges de services pour 2014-2016 . Les résultats ne font
apparaître aucune association entre la libéralisation unilatérale des services et une
éventuelle perte d’emplois nette. Cependant, des études empiriques reposant sur des
données plus exhaustives seraient nécessaires pour en savoir plus.
Les spécialistes de l’économie du travail et des échanges internationaux se
préoccupent depuis longtemps déjà des effets de la libéralisation du
commerce des biens sur les marchés du travail et sur la répartition des gains,
à la fois dans une perspective théorique et sur le plan empirique. Après l’ap-
port déterminant du théorème Stolper-Samuelson1, mis au point en 1941 et
décliné et perfectionné par la suite en toute une série de modèles reposant sur
différents biens et facteurs de production, ils ont notamment fait porter leurs
* Indian Council for Research on International Economic Relations, New Delhi, et Insti-
tut universitaire européen, Florence (auteur référent); ashingal@icrier.res.in. ** Macroeconomics,
Trade and Investment Global Practice, Groupe de la Banque mondiale; psauve@worldbank.org.
Les auteurs remercient Christian Viegelahn et l’évaluateur anonyme qui a relu leur manuscrit de
leurs remarques et suggestions. Ils remercient également les participants à l’atelier organisé par le
Council on Economic Policies (CEP) à Genève en 2015 sous le titre «Employment effects of ser-
vices trade reforms» (Effets de la réforme du commerce des services sur l’emploi), au cours duquel
ils ont présenté une version préliminaire de cet article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Le théorème Stolper-Samuelson a connu plusieurs applications. Il a notamment alimenté
le débat sur l’effet du commerce sur les salaires, en montrant dans quelle mesure la mondialisation
en général et l’essor des importations en provenance de pays à bas salaire en particulier (mais aussi
d’autres évolutions telles que le changement technologique «biaisé» en faveur des qualications)
ont contribué à creuser l’écart salarial entre main-d’œuvre qualiée et main-d’œuvre non qualiée
qui peut être observé dans les pays développés (Stolper et Samuelson, 1941). Dans une version sim-
pliée du modèle, avec pour facteurs la main-d’œuvre qualiée et la main-d’œuvre non qualiée, la
hausse des disparités salariales qui ressort des faits est conrmée.
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travaux sur l’effet des droits de douane et de la modication de la politique en
la matière sur les rendements réels des divers facteurs de production (Ethier,
1974; Jones et Scheinkman, 1977).
En revanche, ils se sont beaucoup moins intéressés à l’effet sur les mar-
chés du travail des réformes axées sur les services, y compris de celles qui
visent à modier la politique relative au commerce et à l’investissement dans
ce secteur2. Face à la profonde transformation de la structure des économies
nationales et à l’évolution tout aussi sensible de la composition des échanges
et des investissements transfrontaliers, Feenstra (1998), Leamer (1998) et Jones
(2000) ont proposé les premières analyses théoriques visant à évaluer la va-
lidité du théorème Stolper-Samuelson dans un monde caractérisé par l’essor
des échanges de biens intermédiaires. Dans ce nouvel environnement, les pro-
grès des communications et la baisse du coût des transports et du commerce
permettent aux grandes entreprises de morceler le processus de production,
en répartissant ses différentes étapes sur différents sites et en délocalisant les
tâches moins qualiées et à plus forte intensité de main-d’œuvre dans les pays
à bas salaire, qui disposent d’une abondance de main-d’œuvre non qualiée.
Cette évolution a un effet dépressif sur les salaires des travailleurs non qua-
liés dans les pays développés, et elle augmente les salaires des travailleurs
qualiés dans les pays en développement.
Les modèles des échanges internationaux utilisés pour établir l’effet de
la libéralisation des marchés sur la répartition des gains sont plutôt axés sur le
commerce des marchandises et sur les conséquences des réformes des droits
de douane sur le rendement des facteurs. Grossman et Rossi-Hansberg (2008)
vont plus loin en élaborant un cadre théorique qui permet de tenir compte
de l’évolution vers des échanges de «tâches», processus qui réduit considéra-
blement le lien entre la spécialisation de la main-d’œuvre et la concentration
géographique et qui met en évidence le rôle central joué par l’existence d’une
panoplie de services aux entreprises dans la délocalisation de la production. Ces
évolutions se sont traduites par une tertiarisation croissante de l’économie mon-
diale (Lodefalk, 2014; Kommerskollegium, 2012). Les travaux de Grossman et
Rossi-Hansberg ont donné lieu à un corpus important de travaux théoriques et
empiriques sur la dynamique de la délocalisation sur le marché du travail, ali-
mentant un débat animé, toujours d’actualité, sur les travers et les avantages de
la mondialisation.
Les travaux empiriques portant sur des questions relatives au commerce
international envisagent toujours le problème essentiellement par rapport aux
échanges de marchandises, notamment à cause de la rareté relative des don-
nées sur le commerce et les investissements transfrontaliers dans les services.
Dans le présent article, nous contribuons à remédier à cette lacune de la re-
cherche en mettant en évidence l’effet éventuel sur l’emploi des réformes visant
2 On recense cependant des études portant sur des branches particulières des services. Ainsi,
Bloomeld et coll. (2017) ont montré que l’harmonisation des normes comptables avait eu un effet
positif sur la circulation transfrontalière des spécialistes du domaine par rapport à d’autres pro-
fessions apparentées.
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