L'architecture de la gouvernance mondiale du travail

AuthorAxel MARX,Glenn RAYP,Jan WOUTERS,Frank HENDRICKX
Date01 September 2016
Published date01 September 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12023
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 3
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Centre d’études sur la gouvernance mondiale, KU Leuven, courriels: frank.hendrickx@
law.kuleuven.be, axel.marx@ggs.kuleuven.be et jan.wouters@ggs.kuleuven.be. ** Université de
Gand, courriel: glenn.rayp@ugent.be.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
L’architecture de la gouvernance
mondiale du travail
Frank HENDRICKX*, Axel MARX*, Glenn RAYP**
et Jan WOUTERS*
Résumé: Dans ce texte destiné à introduire notre numéro spécial, les auteurs
replacent les différents éléments de la gouvernance mondiale du travail dans le
contexte de la mondialisation. Ils soulignent les limites d’un encadrement des droits
au travail par les seuls États-nations, ainsi que le potentiel des formes de régulation
«hybrides», mettant à contribution des partenaires privés, qui semblent propres à
étayer ou remplacer le droit international du travail au sens traditionnel. Ils ana-
lysent pour conclure les causes des lacunes dans l’application de ces droits dans le
monde, pointant du doigt le caractère «sélectif» des normes consacrées et la faible
efcacité des mécanismes de contrôle.
L
e 24 avril 2013, le monde entier apprenait avec stupeur qu’au Bangladesh
un immeuble abritant des ateliers de confection, le Rana Plaza, venait de
s’effondrer, faisant plus d’un millier de victimes. À la suite du drame, le «pou-
mon économique» bangladais – l’habillement – était montré du doigt et accusé
de n’avoir pas su offrir à ses travailleurs «une infrastructure et des conditions
minimales de sécurité au travail, ainsi que l’accès à des conditions de vie cor-
rectes» (Ahmed, Raihan et Islam, 2013, p. 68). Cet accident, un de plus dans
une longue série en quelques années, a mobilisé le monde et relancé le débat
sur la nécessité d’une réglementation des conditions de travail et d’une pro-
tection des travailleurs à l’échelon international.
La nécessité de mieux protéger les droits au travail a été mise en relief
en outre par des études empiriques montrant que ces garanties tendent à se
détériorer partout dans le monde, notamment sous l’effet de la mondialisa-
tion de l’activité économique. Ce constat ressort clairement d’un document de
référence établi en prévision du Rapport sur le développement dans le monde
2013, dans lequel les auteurs afrment, en se fondant sur un indicateur syn-
thétique des droits au travail mis au point par Mosley (2011) pour la période
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1985-20 02, que «[d]ans la plupart des régions, et de façon générale, la situation
des droits au travail ne s’est pas améliorée véritablement; le plus souvent, on
constate même une détérioration entre 1985 et 2002» (Levi et coll., 2012 , p. 7).
Alors que l’attention portée à la protection des travailleurs à l’échelon
international s’afrme, et que nous observons l’apparition d’un ensemble tou-
jours plus complexe de règles et règlements internationaux sur la question, ce
numéro spécial doit constituer un état des lieux de l’application des normes
relatives au travail telles qu’elles sont dénies et protégées par différents ou-
tils et instruments, et fournir des informations essentielles sur les différents
rouages de cette gouvernance mondiale du travail. Nous tenterons dans cette
introduction de replacer cette architecture dans son contexte, celui de la mon-
dialisation, et d’analyser le cadre juridique qui sous-tend pour l’heure les mé-
canismes internationaux destinés à assurer la protection des droits au travail, à
la lumière des accidents récents et des débats en cours. Nous présenterons ce
cadre juridique de façon synthétique, en nous attardant plus particulièrement
sur les normes, conventions et initiatives adoptées par l’Organisation inter-
nationale du Travail (OIT) et d’autres parties prenantes. On trouvera ensuite
dans les différents articles de ce numéro spécial une analyse plus précise de
certains des instruments qui pourraient améliorer la mise en œuvre des droits
au travail, qu’ils relèvent de la politique commerciale, de la politique d’aide
au développement ou encore d’initiatives privées.
La gouvernance mondiale du travail dans son contexte
La gouvernance mondiale du travail ne peut être dissociée de deux tendances
fondamentales intimement liées. La première, c’est la mutation du monde du
travail, évolution marquée avant tout par la mondialisation. La libéralisation
des échanges entre les pays, l’internationalisation de la production et des ser-
vices et les nouvelles technologies sont les vecteurs de ce changement, qui se
traduit par une interdépendance économique accrue entre les régions et les
pays. Comme le relève Bernard Hoekman, «le commerce international connaît
depuis les années 1950 un essor remarquable, d’une ampleur sans précédent
dans l’histoire. Le volume des échanges a été multiplié par vingt-sept entre
1950 et 2008, soit trois fois plus que l’augmentation du PIB mondial» (Hoek-
man, 2014, p. 13). Si la mondialisation – et l’apparition en conséquence d’un
«lieu de travail mondial» – légitime peut-être un encadrement international
des aspects relatifs au travail, elle pose aussi toutes sortes de difcultés aux
employeurs, aux travailleurs, aux syndicats et aux pouvoirs publics. En effet,
alors que les entreprises sont soumises à une concurrence économique, les gou-
vernements doivent faire face à une concurrence liée au cadre réglementaire,
alors que les travailleurs et les syndicats dans les pays sont dépendants de ré-
seaux d’entreprise et de processus décisionnels mondiaux. Tout cela s’accom-
pagne d’une incertitude accrue et d’une perte de contrôle, apparue au grand
jour lors de la dernière crise économique et nancière1.
1 On trouvera une analyse plus approfondie de cette évolution dans Hendrickx (2010).

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