Instantanés de la situation des jeunes générations sur le marché du travail aux Pays‐Bas

• Date: 01 June 2020
• Author: Ioana POP,Sonja BEKKER
• Published date: 01 June 2020
• DOI: http://doi.org/10.1111/ilrf.12158

Droits réservés © auteur(s), 2020.

Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.

Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 2

* Faculté de droit du travail et de politique sociale, Université de Tilbourg; s.bekker@tilburg

university.edu (auteure référente). ** Université de Tilbourg; i.a.pop@tilburguniversity.edu.

Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,

et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.

Instantanés de la situation

des jeunes générations sur

le marché du travail aux Pays-Bas

Sonja BEKKER* et Ioana POP**

Résumé. La relation de travail «typique» perd du terrain aujourd’hui. Les jeunes

sont particulièrement touchés par cette évolution. Dans ce contexte, les auteures

examinent dans le détail le parcours d’insertion des générations arrivées sur le

marché du travail des Pays-Bas entre 1985 et 2014, en procédant sur le modèle de

l’analyse séquentielle des parcours de vie. Avec deux indicateurs spécifiques (ni-

veau d’entropie et de turbulence), elles montrent que la trajectoire des cohortes qui

s’insèrent après 2000, notamment en 2008, est effectivement plus accidentée, et ce

malgré la politique de flexisécurité à l’honneur dans le pays. Les transitions vers

l’emploi stable sont l’exception plutôt que la règle.

Mots-clés: emploi des jeunes , flexibilité du tra vail, instabilité du ma rché du tra-

vail, tran sitions sur le marché du trava il, analyse des parcou rs de vie, Pays-Bas.

1. Introduction

Les relations de travail «typiques» tendent à se raréer dans de nombreux

pays de l’ Union européenne (Eurofound, 2018). Dans la région, il est de moins

en moins fréquent en eet de travailler à plein temps, d’être au bénéce d’un

contrat de durée indéterminée (CDI) et de conserver son emploi à vie (Schmid,

2010; Kalleberg, 2011). En outre, les jeunes ont de plus en plus de mal à trouver

leur place sur le marché du travail, et ils connaissent des périodes de chômage

et de travail atypique prolongées (Ayllón et Ramos, 2019; de Lange, Gesthuizen

et Wolbers, 2014; Brzinsky-Fay, 2007). Face à cette évolution, les chercheurs se

sont employés à mieux comprendre la nature des nouvelles modalités d’emploi

et leurs conséquences, notamment sur le bien-être des personnes (Kalleberg,

2011). Cependant, les études rendant compte de façon détaillée de l’intégralité

des transitions sur le marché du travail sont encore rares, en particulier pour ce

qui est des transitions d’un emploi vers un autre emploi (Berloa et coll., 2015

et 2016; Schmid, 2010). Pour y voir plus clair, il faudrait disposer d’analyses très

précises et longitudinales donnant les séquences de transitions sur l’ensemble du

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parcours individuel. De telles analyses permettraient aussi de repérer les tran-

sitions qui nuisent à la bonne insertion de l’individu sur le marché du travail à

plus long terme (transitions «excluantes») et celles qui la favorisent au contraire

(transitions «intégratrices») (Schmid, 2010).

Pour recenser les transitions chez les jeunes, nous avons eu recours à une

méthode très populaire dans la littérature sur l’analyse séquentielle des par-

cours de vie (Bras, Liefbroer et Elzinga, 2010). Notre question de départ était la

suivante: quel est le parcours d’insertion habituel des jeunes aux Pays-Bas sur la

période 1985-2014? En outre, nous voulions faire l’analyse compte tenu du cadre

législatif néerlandais, marqué par l’adoption, en 2000, 200 6 et 2015, de plusieurs

réformes importantes des règles applicables aux contrats de durée déterminée

(CDD) et à la protection contre le licenciement. Ces réformes sont survenues le

plus souvent en réponse aux attentes et aux évolutions du marché. La dernière

d’entre elles, à savoir l’introduction de la loi sur l’équilibre du marché du travail

(Wet arbeidsmarkt in balans – WAB), entrée en vigueur en 2020 , visait ainsi à

limiter les eets néfastes du travail atypique et à encourager les employeurs à

recruter leur personnel sous des modalités plus traditionnelles. Le modèle néer-

landais a souvent été présenté comme celui de la «exisécurité», ce par quoi il

faut entendre un cadre réglementaire visant à promouvoir le recours au ex

work ou travail exible (à savoir, essentiellement, le travail en CDD et le travail

intérimaire), associé à des mesures de protection pour les travailleurs en ques-

tion (Bekker et Mailand, 2019; Bovenberg, Wilthagen et Bekker, 2008).

En outre, en choisissant comme fenêtre d’observation une période marquée

par plusieurs réformes législatives, nous pouvons repérer d’éventuelles dié-

rences systématiques dans la trajectoire professionnelle des individus selon le

moment de l’entrée dans la vie active. Nos données sont issues d’une étude pros-

pective sur les Pays-Bas, qui fournit des informations sur le marché du travail

sous l’angle de l’ore. Celles-ci sont collectées tous les deux ans et disponibles

sur la période 1985-2016. La dernière vague utilisée dans notre étude est celle

de 2014. Nous avons pu suivre ainsi douze cohortes d’individus qui viennent de

terminer leurs études et se portent sur le marché du travail entre 1985-1986 et

2008 en principe. Chaque cohorte est suivie sur une durée de six ans. Notre ana-

lyse montre que le marché du travail néerlandais s’est largement exibilisé et

que les parcours d’insertion sont plus accidentés pour les générations qui com-

mencent leur vie active après 2000 et, plus encore, après 2008. Les transitions

vers l’emploi stable sont l’exception plutôt que la règle, même six ans après l’en-

trée sur le marché du travail.

Cette introduction étant faite, nous préciserons le cadre conceptuel de notre

étude dans une deuxième partie, en faisant la synthèse de la littérature consa-

crée à la exibilisation du marché du travail et en revenant notamment sur les

approches interdisciplinaires utilisées dans le domaine. Dans la partie suivante,

nous analysons la situation néerlandaise, en tant qu’étude de cas permettant

d’approfondir cette question. Dans notre quatrième partie, nous décrivons nos

données et nos méthodes. Dans la cinquième, nous exposons notre méthode

d’analyse. Dans la sixième, nous présentons nos résultats, avant de donner les

conclusions que nous pouvons en tirer dans la septième. Une dernière partie

sera consacrée aux enseignements pouvant être tirés de notre étude pour l’ac-

tion à mener.