La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012–2014), Alain SUPIOT

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12060
Published date01 June 2017
AuthorFrancis Maupain
Date01 June 2017
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 2
LIVRES
Droits réservés © Auteur, 2017.
Compilation des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014),
Alain SUPIOT, Fayard, 2015, 512 pages, ISBN 978-2-213-68109-2.
La crise du droit du travail est devenue le lieu commun de colloques, d’articles et
de livres innombrables. Alain Supiot, dans un livre qui prend ses sources dans des cours
donnés au Collège de France de 2012 à 2014, replace de manière pénétrante cette problé-
matique dans la perspective plus générale d’un effacement de la loi au prot de ce qu’il
appelle la gouvernance par les nombres, résurgence du vieux rêve occidental d’une har-
monie par le calcul. Depuis les temps modernes, la loi part de la prise de conscience des
limites de la raison mathématique pour gouverner les affaires humaines (p.117). Dans
la perspective mécaniciste, elle est conçue comme une machine destinée à corriger les
déséquilibres engendrés par le monde industriel. Mais cette perspective ne correspond
plus à «l’imaginaire cybernétique qui domine […] les esprits» (p.11), et qui écarte le
principe d’une norme hétéronome.
La démonstration est conduite en deux parties. La première distingue les diffé-
rentes étapes de la contamination puis de la subversion du règne de la loi hétéronome
fondée sur la raison au prot de la gouvernance par les nombres, et ce notamment parce
que la statistique est passée de la description des faits à la prescription (p.148). La dé-
monstration tire sa force et sa richesse d’une vaste érudition et d’un va-et-vient inces-
sant entre la pensée grecque, le droit romain, la pensée médiévale, le droit soviétique et
même la French Theory.
Ce va-et-vient permet de découvrir ce qui rapproche et différencie la planication
soviétique et l’ultralibéralisme, qui tous deux asservissent le droit à des calculs d’utilité; il
aide à mieux comprendre comment le Gosplan a pu représenter une étape qui non seule-
ment éclaire l’hybridation du communisme et du capitalisme dans l’expérience chinoise
actuelle, mais s’inscrit paradoxalement dans le mouvement qui conduit au «marché total».
Dans cette première partie, le chapitre consacré à la doctrine Law and Econo-
mics (chapitre7) présente un intérêt particulier pour l’OIT et sa fonction de régulation
de la concurrence à travers une action normative. Cette doctrine suppose une mise en
concurrence d’inspiration darwinienne des législations, sociales en particulier, dans le
cadre de la New comparative analysis et du marché du droit (p.206). La logique de cette
démarche – à laquelle les agences de notation sont venues apporter leur appui (p.239) –
se retrouve dans le programme Doing Business de la Banque mondiale ainsi que dans
certains aspects de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la logique commune qui relie la
gouvernance par les nombres à la résurgence des liens d’allégeance sur le modèle féodal.
Alain Supiot évoque d’abord «les effets de structure» de la gouvernance par les nombres.

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