Former ses travailleurs seniors pour ne pas les perdre? Illustration par le cas allemand

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12069
AuthorChristopher J. RUHM,Mary K. HAMMAN,Peter B. BERG,Matthew M. PISZCZEK
Date01 December 2017
Published date01 December 2017
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 3-4
Droits réservés © auteur(s), 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
* Faculté des ressources humaines et des relations professionnelles, Université d’État du Mi-
chigan; bergp@msu.edu. **
Faculté d’économie, Université du Wisconsin à La Crosse; mhamman@
uwlax.edu. *** Département de la gestion d’entreprise et des ressources humaines, Université du
Wisconsin à Oshkosh; piszczem@uwosh.edu. **** Frank Batten School of Leadership and Public
Policy, Université de Virginie; ruhm@virginia.edu. La présente étude se fonde sur des données du
panel des établissements de l’IAB (vagues 2002 , 2006 et 2008). Les auteurs ont eu accès aux don-
nées d’abord sur place, dans les locaux du centre de données pour la recherche (FDZ) de l’Agence
fédérale allemande pour l’emploi (BA), au sein de l’Institut pour la recherche sur l’emploi (IAB),
puis à distance, dans le cadre du projet numéro fdz426. Pour plus de précisions sur le panel des éta-
blissements de l’IAB, on se reportera à Fischer et coll. (2009) et à Ellguth, Kohaut et Möller (2014).
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Former ses travailleurs seniors
pour ne pas les perdre?
Illustration par le cas allemand
Peter B. BERG*, Mary K. HAMMAN**, Matthew M. PISZCZEK***
et Christopher J. RUHM****
Résumé. Une vague de départs à la retraite s’annonce en Allemagne, qui privera
les entreprises d’une main-d’œuvre parfois difcile à remplacer. Dans ce contexte,
les auteurs s’intéressent à l’apport de la formation en entreprise, recherchant une
corrélation entre formation, salaire et probabilité de départ. Ils montrent que cette
probabilité diminue lorsque l’établissement propose des programmes de forma-
tion spéciques pour les seniors mais seulement au sein des effectifs féminins – et
surtout parmi les bas salaires –, sans doute sous l’effet de la progression salariale.
Les formations ciblées pourraient donc encourager les femmes faiblement rémuné-
rées à rester actives plus longtemps, améliorant ainsi leurs perspectives de carrière.
L
e vieillissement démographique touche toutes les économies développées,
sous l’effet conjugué de l’allongement de l’espérance de vie et du échis-
sement des taux de natalité (Danson, 2007). Le phénomène a des conséquences
majeures sur le marché du travail et sur la structure par âge des effectifs au
sein des organisations. L’Allemagne, où le processus est plus avancé qu’ail-
leurs, sera un cobaye à l’échelle européenne, dans un test à grande échelle qui
donnera une indication des problèmes auxquels il faut se préparer. En effet,
le pays devrait perdre cinq millions de ses actifs pour cause de vieillissement
d’ici à quinze ans (soit un recul de 12,5 pour cent), décit que les migrants et
Revue internationale du Travail550
les primo-demandeurs d’emploi ne devraient compenser que très partiellement
(Elliott et Kollewe, 2011, p. 1). En outre, la population allemande totale devrait
décroître de 18,8 pour cent d’ici à 2060 (Eurostat, 2011), et le recul devrait at-
teindre 35 pour cent pour la seule population en âge de travailler (15-64 ans)
(Wanger, Weber et Fuchs, 2013). D’ici à la n de la décennie, les plus de 50 ans
représenteront 40 pour cent de la population active allemande (Buss et Kuhl-
mann, 2013). Or la prospérité du pays, principale économie européenne, est
décisive pour le continent et le monde en général. Dans un contexte national
où le taux de chômage ne dépasse pas 6 pour cent, et face à une population
vieillissante et toujours moins active, les entreprises allemandes doivent réé-
chir à la façon de développer et exploiter au mieux les connaissances, les com-
pétences et les aptitudes de leurs travailleurs en n de carrière.
Le vieillissement de la population soulève par ailleurs des questions sur
l’effet macroéconomique du «décit démographique» (Harper, 2014). Cette
évolution, qui met les régimes de prévoyance sous pression, peut aussi se sol-
der par une diminution de la capacité productive de la main-d’œuvre si les
jeunes sont plus productifs que leurs aînés. Des études médicales ont effec-
tivement fait apparaître une perte de capacités physiques et cognitives avec
l’âge à l’échelon individuel (voir van Ours, 2009, par exemple), mais des tra-
vaux plus récents montrent que l’effet du vieillissement sur la productivité
varie d’un établissement à l’autre et que les effectifs plus âgés ne sont pas tou-
jours moins productifs (Börsch-Supan et Weiss, 2016; Göbel et Zwick, 2013).
En outre, certains employeurs mettent en place des systèmes efcaces pour
renforcer ou préserver la productivité de leurs effectifs vieillissants (Göbel et
Zwick, 2013). Les stratégies ainsi destinées à maintenir ou élever la produc-
tivité tout au long de la vie peuvent jouer un rôle décisif dans la bonne ges-
tion du décit démographique, que ce soit à l’échelon des établissements ou
à l’échelon macroéconomique.
Les employeurs allemands tentent par différents moyens d’encourager
leurs effectifs à rester actifs plus longtemps, que ce soit en renonçant à une
retraite anticipée ou en reportant la date à laquelle ils font valoir leurs droits
à la retraite. C’est le cas notamment de l’entreprise BASF, qui s’attaque à ce
projet par son programme «Generations@Work», axé sur la formation conti-
nue, la mise en valeur des ressources humaines, la promotion de la santé et de
l’ergonomie au travail, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée et
l’aménagement du temps de travail (Blau, 2011). Des accords négociés avec les
syndicats dans le secteur de la chimie prévoient dans le même esprit la créa-
tion d’un «Fonds démographique» destiné à nancer différentes mesures en
faveur des travailleurs seniors, notamment des programmes de formation. Ce-
pendant, les travaux de recherche consacrés aux mesures et pratiques mises en
place par les entreprises pour encourager ou décourager l’activité des seniors
et aux mécanismes pouvant expliquer leur efcacité sont encore peu nombreux
(Dietz et Walwei, 2011; Paullin et Whetzel, 2012; Schlick, Frieling et Wegge,
2013). Tout porte à croire que la formation tout au long de la vie joue un rôle
important en la matière, mais, comme nous le verrons ci-dessous, les travaux
Formation en entreprise et maintien en activité des travailleurs seniors 551
de recherche existants conduisent à des conclusions contradictoires sur l’efca-
cité de ce type de formations et l’accueil qui leur est réservé par les intéressés.
Alors que les entreprises et les pouvoirs publics sont confrontés au vieil-
lissement de la main-d’œuvre et à une évolution technologique toujours re-
nouvelée, ils doivent pouvoir s’appuyer sur des orientations plus précises sur
les programmes de formation à mettre en place. Nous axerons notre analyse
sur la relation entre les formations fournies par l’employeur et le salaire ainsi
que le comportement des effectifs en n de carrière. La décision de poursuivre
ou prolonger sa vie active retient notre attention ici parce que la plupart des
programmes visant à amortir le coût économique et social du vieillissement
démographique prévoient un allongement de la période d’activité. Si les pro-
grammes de formation permettent de retarder le départ à la retraite et d’aug-
menter la productivité en n de carrière, alors ils seraient de nature à répondre
à deux des problèmes liés au décit démographique. Dans notre étude, nous
utilisons des données appariées établissements-salariés pour l’Allemagne et
cherchons sur cette base à vérier empiriquement dans quelle mesure les pra-
tiques de formation au sein de l’entreprise inuent sur la probabilité de départ
à la retraite et sur le salaire des effectifs en deuxième partie de carrière. Nous
exploitons l’apport des théories économiques mais aussi psychologiques sur
la formation, et nous complétons les travaux empiriques existants dans le do-
maine en faisant la distinction entre l’effet des programmes de formation non
spéciques et celui des programmes de formation élaborés par l’employeur
précisément à l’intention de ses travailleurs plus âgés. Certains auteurs ont
souligné que les pratiques de gestion des ressources humaines spéciquement
destinées aux seniors étaient rares et que c’est pour cela que certains cher-
cheurs concluent à une moindre efcacité des dispositifs de formation dans le
cas de cette population particulière (Zwick, 2015). Les résultats de notre étude
présentent donc un intérêt pour ceux qui doivent adopter des politiques des
ressources humaines relatives au vieillissement et au capital humain, pour les
employeurs confrontés à des effectifs vieillissants et à une pénurie de compé-
tences et pour tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les résultats des
études existantes sur la formation et la productivité des travailleurs âgés.
Synthèse bibliographique
La formation des travailleurs âgés:
conclusions des travaux précédents
Si les études sur des échantillons tous âges confondus font apparaître une
relation positive entre formation et délisation du personnel (Hausknecht et
Trevor, 2011; Heavey, Holwerda et Hausknecht, 2013), les travaux sur la si-
tuation des travailleurs âgés sont plus contradictoires. À partir de données du
Panel communautaire des ménages (PCM) de la Communauté européenne
portant sur 7257 individus et sur la période 1996-2001, Picchio et van Ours
(2013) font apparaître un effet particulièrement favorable de la formation sur

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