Que faut‐il voir dans les écarts de rémunération entre les travailleurs immigrés des pays du Golfe: l'effet d'a priori patronaux ou la simple conséquence de coûts d'opportunité différents?

Date01 June 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12123
Published date01 June 2019
AuthorUsamah F. ALFARHAN,Samir AL‐BUSAIDI
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Que faut-il voir dans les écarts
de rémunération entre les travailleurs
immigrés des pays du Golfe:
l’effet d’a priori patronaux
ou la simple conséquence
de coûts d’opportunité différents?
Usamah F. ALFARHAN* et Samir AL-BUSAIDI*
Résumé. Les auteurs s’intéressent aux disparités salariales entre les différents
groupes de migrants qualiés qui travaillent en grand nombre pour le secteur privé
dans les États du Conseil de coopération du Golfe. Ils se demandent notamment
si la prime salariale des Occidentaux (par rapport aux travailleurs venus d’Asie
ou d’autres États arabes) découle d’éventuels a priori des employeurs. L’analyse,
qui repose sur des données de 2012-2014 et sur deux méthodes de décomposi-
tion classiques, inrme l’hypothèse: les caractéristiques observables relatives à la
productivité expliquent entre un tiers et trois quarts des écarts; le coût d’opportu-
nité de la migration, supérieur pour les Occidentaux, explique la portion restante.
La question des disparités salariales sur les marchés du travail des États
membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) est très peu traitée
dans la littérature en économie du travail. Selon les statistiques de la Banque
mondiale, les migrants représentaient en 2015 plus de 50pour cent de la po-
pulation des pays du CCG1. De même, selon les statistiques récapitulatives
du programme sur les marchés du travail et la migration dans les pays du
Golfe (Gulf Labour Markets and Migration Programme ou GLMM) (état en
2014), les travailleurs immigrés, généralement employés en vertu d’un contrat
de durée déterminée, dans le cadre de différents programmes de parrainage
* Faculté de sciences économiques et de gestion nancière, Université Sultan Qaboos;
ualfarhan@squ.edu.om et samir.albusaidi@squ.edu.om.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Données tirées des indicateurs du développement dans le monde de la Banque mondiale
(2015).
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(kafala), représentaient plus de 70pour cent de l’ensemble de la main-d’œuvre
2
et 90 pour cent des effectifs du secteur privé au sein du CCG à l’époque (Al-
farhan et Al-Busaidi, 2018). Parmi les migrants, les disparités salariales sont
fortes et persistantes, notamment si l’on considère les trois principaux groupes
démographiques qui composent cette main-d’œuvre, à savoir des personnes
originaires d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale ou encore
d’Océanie (groupe «Occident» dans la suite du texte); d’autres qui viennent de
pays arabes non membres du CCG (groupe «États arabes») et d’autres encore
qui ont émigré depuis le sous-continent indien et l’Asie du Sud-Est (groupe
«Asie»). Ces disparités peuvent nuire à la productivité des intéressés3, et elles
n’ont jamais été expliquées formellement.
Dans les pays du CCG, les travailleurs pouvant être rattachés à notre
groupe Occident sont nettement mieux payés que les autres. Certains ex-
pliquent cet avantage par l’existence de préjugés patronaux, les employeurs
ayant tendance à juger les Occidentaux plus compétents. Cette idée ressort
clairement d’articles parus dans la presse généraliste pendant la période sur
laquelle portent nos données. Ainsi, en 2012, nous trouvons, sous la plume d’un
journaliste du Telegraph que ces travailleurs sont considérés comme «plus mo-
dernes et plus capables, du fait de leur bagage culturel, de leur histoire en ma-
tière d’innovation technique et de leur capacité à sortir des sentiers battus»4.
Dans un autre article paru dans le Gulf Business en 2013, il est dit aussi que,
selon les spécialistes, les «entreprises locales sont toujours prêtes à payer plus
cher pour embaucher des expatriés occidentaux qui ne viennent pas de la ré-
gion, parce qu’elles considèrent qu’ils présentent des compétences spéciques
impossibles à trouver sur place»5.
L’existence de tels a priori vis-à-vis des différents groupes qui composent
la main-d’œuvre immigrée peut constituer une discrimination statistique de la
part des employeurs, pour qui certaines caractéristiques observables consti-
tuent une variable indicatrice d’autres caractéristiques non observables sus-
ceptibles d’inuer sur la productivité (Fang et Moro, 2010). Comme Phelps l’a
souligné dans un article qui a fait date (1972), un employeur rationnel trai-
tera différemment des travailleurs comparables en tous points, si ce n’est pour
l’appartenance à un groupe, s’il pense que cette dernière caractéristique est
associée à un niveau de performance supérieur ou au contraire inférieur par
rapport aux autres. Dans notre contexte, si les milieux patronaux croient que
les Occidentaux sont plus productifs que les autres travailleurs immigrés, cette
2 Statistiques disponibles à l’adresse http://gulfmigration.org/percentage-of-nationals-and-
non-nationals-in-employed-population-in-gcc-countries-national-statistics-latest-year-or-period-
available/ [consulté le 18février 2019].
3 Nous renvoyons à cet égard à l’étude de Lloyd-Ellis (2003) sur l’effet des inégalités sur
la productivité.
4
Voir à l’adresse http://www.telegraph.co.uk/nance/personalnance/expat-money/9598599/
Western-expats-in-Middle-East-earn-the-most.html [consulté le 22 janvier 2019].
5 Voir à l’adresse http://gulfbusiness.com/revealed-gcc-asian-expats-earn-26-less-than-
western-peers/ [consulté le 22 janvier 2019].

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