Face à la prolifération des stages: quel encadrement pour des pratiques conformes aux principes du travail décent?

AuthorRosemary OWENS,Andrew STEWART
Published date01 December 2016
Date01 December 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12040
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 4
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Professeur honoraire à la faculté de droit de l’Université d’Adélaïde, courriel: rosemary.
owens@adelaide.edu.au. ** Professeur de droit, titulaire de la chaire John Bray à l’Université
d’Adélaïde, courriel: andrew.stewart@adelaide.edu.au. Cet article s’appuie sur la communica-
tion présentée par les auteurs à la Conférence de l’OIT sur la régulation pour le travail décent
qui s’est déroulée à Genève du 8au 10juillet 2015. Les travaux présentés s’inscrivent dans le
cadre d’un projet plus général sur le thème «Expérience professionnelle: la législation du travail
à l’intersection de l’emploi et de la formation» (Discovery Project DP150104516), pour lequel
les auteurs ont reçu un nancement du Conseil de la recherche australien, qu’ils remercient.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Face à la prolifération des stages:
quel encadrement pour des pratiques
conformes aux principes du travail décent?
Rosemary OWENS* et Andrew STEWART**
Résumé. La multiplication des stages et autres formes non rémunérées d’expé-
rience préprofessionnelle constitue une caractéristique importante – mais souvent
ignorée – du marché du travail actuel. Les stages répondent au désir compréhen-
sible des demandeurs d’emploi de s’insérer sur des marchés du travail extrêmement
compétitifs. Ils peuvent néanmoins être source d’exploitation, s’ils sont utilisés à la
place d’emplois salariés, et entraver la mobilité sociale. Les auteurs examinent les
mesures adoptées dans ce contexte par certains pays développés et s’appliquent à
jeter les bases d’une stratégie plus adaptée face à une évolution qui compromet
manifestement la réalisation des objectifs en matière de travail décent.
Il n’existe pas de dénition universelle du terme «stage». L’équivalent
anglais de cette expression, internship, est apparu dans le contexte de la
formation médicale, et l’on parle encore aujourd’hui d’«internat» pour dési-
gner la période assez précoce du cursus médical pendant laquelle les étudiants
en médecine travaillent dans un hôpital pour une rémunération relativement
faible. Aux États-Unis, le mot est utilisé dès les années 1930 pour décrire
des programmes permettant aux jeunes de travailler, d’abord dans des orga-
nismes publics puis au sein d’organisations politiques. Aujourd’hui, la pratique
du stage explose un peu partout dans le monde développé, et l’on trouve des
stagiaires dans tous les secteurs et à tous les postes, aussi bien au sein des
entreprises, des organisations à but non lucratif que des administrations pu-
bliques (Perlin, 2012).
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Dans le présent article, nous nous intéresserons donc aux dispositifs
par lesquels un étudiant, un jeune diplômé ou toute autre personne à la re-
cherche d’un emploi passe de quelques jours à quelques mois dans une en-
treprise ou une autre organisation pour se familiariser avec un poste, une
profession ou un secteur. La notion plus ancienne et mieux dénie d’appren-
tissage désigne généralement une alternance structurée entre expérience pra-
tique sur un lieu de travail et périodes de formation théorique ou pratique
dans un établissement d’enseignement général ou professionnel. Cet appren-
tissage s’étend généralement sur un certain nombre d’années et il faut, pour
valider ces acquis et obtenir leur certication, répondre à certaines exigences
(Hadjivassiliou et coll., 2012, pp. 50-53). Dans le cas du stage, «l’expérience»
est acquise de manière moins systématique et par des moyens plus divers,
en effectuant des tâches ou des missions effectives ou simulées, avec ou sans
encadrement, en observant un travailleur plus expérimenté ou encore en exé-
cutant des opérations parfois très élémentaires, voire subalternes, pour des
salariés déjà installés dans la profession que le stagiaire souhaite exercer.
Le stage peut représenter une composante obligatoire ou un certain nombre
d’unités de valeur ou de crédits du cursus de l’étudiant. Il peut aussi être pro-
posé par une entreprise ou une organisation en fonction de ses propres objec-
tifs, sans lien direct avec un établissement pédagogique. Les stages peuvent
encore être organisés, nancés ou encouragés par les pouvoirs publics, dans
le cadre de politiques «actives» du marché du travail destinées à favoriser le
retour des chômeurs à l’emploi (ibid., pp. 4-5).
Les stages sont souvent perçus (en particulier pour les jeunes) comme
un moyen d’assurer la transition entre les études et le monde du travail. Il
peut toutefois être éclairant de considérer que ce type de dispositif se situe
à l’intersection non pas de deux mais de trois sphères de l’activité sociale
ou économique, qui se juxtaposent ici. La première de ces sphères, c’est l’en-
seignement général ou professionnel institutionnalisé (ou «formel»), qui per-
met d’acquérir des connaissances et des compétences (directement liées au
travail ou non), qui est dispensé par des établissements et des organismes
spécialisés et qui est généralement sanctionné par un titre ou un certicat
d’aptitude. La deuxième est l’emploi, qui mène à travailler pour une entre-
prise ou une organisation en échange d’un salaire ou d’un autre type de gra-
tication1. La troisième sphère est constituée par le bénévolat, qui conduit à
réaliser des tâches sans contrepartie nancière, généralement par solidarité,
pour défendre une cause ou pour faire valoir ses convictions. Les stages ré-
munérés peuvent aisément être assimilés à une forme d’emploi, même s’ils
correspondent à une composante obligatoire d’un parcours de formation.
Les stages non rémunérés relèvent par principe du bénévolat, puisque le sta-
1 Le terme «emploi» est utilisé ici au sens large pour désigner tout travail rémunéré, qu’il
soit effectué en tant que salarié, en tant qu’indépendant ou sous tout autre statut. Ce type de dis-
tinctions peut naturellement être important dans le contexte des dispositifs réglementaires abor-
dés plus loin dans l’article.
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giaire fournit ses services sans salaire, même s’il espère sans doute d’autres
types d’avantages, soit une expérience accrue, de nouveaux contacts ou un
curriculum vitae plus étoffé. D’ailleurs, nombre de stages se déroulent dans
des organisations à but non lucratif de l’économie dite sociale, où le stagiaire
accepte de travailler gratuitement, animé à la fois par le désir d’améliorer
son employabilité et par des raisons altruistes ou éthiques (voir, par exemple,
Leonard, Halford et Bruce, 2016).
Les recoupements entre ces trois sphères sont mis en image à la  gure 1.
L’apprentissage, tel que dé ni plus haut, est considéré comme relevant à la fois
de l’emploi et de l’enseignement général ou professionnel, mais pas du béné-
volat, selon l’hypothèse que a) tout travail accompli est nécessairement payé
par le «maître d’apprentissage» ou l’entité d’accueil et que b) l’apprenti reçoit
une formation en bonne et due forme. Par contre, nous considérons que, de
par leur périmètre, les stages peuvent relever de l’une, de deux ou de trois de
ces sphères. Selon ce schéma, travail bénévole et emploi ne s’excluent pas en-
tièrement: ils présentent une intersection correspondant à des formes de tra-
vail non rémunérées qui, tout en étant perçues par les personnes concernées
comme du bénévolat, ont des caractéristiques qui les font pencher du côté
de l’emploi, en particulier d’un point de vue réglementaire (Murray, 2006). Si
nous reviendrons plus loin sur ces questions de classi cation, nous ne cher-
cherons pas à explorer ici toutes les implications du chevauchement éventuel
entre travail bénévole et emploi. À ce stade, nous visons simplement à mettre
en lumière les différentes modalités des stages non rémunérés.
Figure 1. Les stages à l’intersection de l’emploi, de la formation et du bénévolat
Stages Apprentissage
Emploi
Travail bénévole
Enseignement
général
et professionnel
formel

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