Face à un marché du travail saturé: les compétences qui protègent

AuthorAndries de GRIP,Rolf van der VELDEN,Martin HUMBURG
Published date01 March 2017
Date01 March 2017
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12044
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 1
Droits réservés © auteurs, 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
Face à un marché du travail saturé:
les compétences qui protègent
Martin HUMBURG*, Andries de GRIP** et Rolf van der VELDEN**
Résumé. Les auteurs s’intéressent aux situations de surqualication et de chômage
chez les jeunes diplômés du supérieur dans dix-sept pays européens en analysant le
rôle à cet égard des compétences «spécialisées»et des compétences «universitaires
de base». Conformément à la thèse de l’éviction, les compétences spécialisées pro-
tègent davantage de la surqualication quand la surabondance de main-d’œuvre
s’accroît dans le secteur professionnel lié à la spécialisation du diplômé, et les com-
pétences de base davantage si c’est sur le marché du travail général que cet excé-
dent se renforce. En outre, si les compétences spécialisées protègent du chômage,
les compétences de base restent sans effet sur ce risque.
P
lusieurs études ont déjà été consacrées à la question de l’éviction conjonc-
turelle des travailleurs peu qualiés par des travailleurs très qualiés1.
Ces études montrent généralement que les diplômes protègent du chômage
quand le marché du travail est saturé: lorsque la demande de main-d’œuvre
diminue globalement, les travailleurs les mieux formés se saisissent des postes
auparavant occupés par des travailleurs moins bien formés, qui sont par contre-
coup davantage exposés au chômage. Cependant, ces études portent sur des
groupes de travailleurs ayant des niveaux de diplôme différents. Nous sommes
partis de notre côté du principe que les mêmes mécanismes conduisaient à
une concurrence pour l’emploi similaire entre des travailleurs qui présentent
le même niveau de diplôme mais pas le même prol de compétences. À niveau
de diplôme égal, les travailleurs les moins dotés en compétences seront moins
susceptibles de décrocher un emploi exigeant ce niveau d’études si la satura-
tion du marché du travail s’intensie.
*
ICF Consulting Services; martin.humburg@gmail.com. **
Institut de recherche sur l’édu-
cation et le marché du travail (ROA), Faculté de commerce et d’économie, Université de Maastricht;
a.degrip@maastrichtuniversity.nl et r.vandervelden@maastrichtuniversity.nl.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Voir, notamment, Gautier et coll. (2002), Devereux (2002), Gesthuizen et Wolbers (2010),
Keane et Prasad (1993), Pollmann-Schult (2005), Teulings et Koopmanschap (1989) et Van Ours
et Ridder (1995).
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À notre connaissance, notre étude est la première à braquer ainsi les pro-
jecteurs sur des individus présentant un même niveau d’études pour vérier
si l’effet protecteur des compétences vis-à-vis de la surqualication et du chô-
mage s’afrme en cas de hausse de l’excédent de travail. Pour les besoins de
notre analyse, nous avons utilisé des données provenant d’une enquête auprès
des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur2 menée dans 17pays euro-
péens; ces données donnent notamment des indications sur le niveau de com-
pétence et sur les variations de l’offre sur le marché du travail selon le pays et
la discipline de spécialisation. Nous pouvons ainsi faire la part entre des com-
pétences spéciques à la discipline de spécialisation, que nous désignerons ici
comme les «compétences spécialisées», et des compétences plus générales, re-
levant d’un socle commun à tout cursus du supérieur, que nous avons choisi
d’appeler ici «compétences universitaires de base». Nous sommes donc en
mesure d’évaluer dans quelle mesure l’effet protecteur des compétences spé-
cialisées et des compétences universitaires de base vis-à-vis des risques encou-
rus par les diplômés sur le marché du travail dépend du rapport entre offre et
demande de travail. En focalisant l’attention sur la situation des éléments les
plus diplômés à l’entrée sur le marché du travail, nous sommes en mesure de
distinguer deux risques associés à la surabondance de main-d’œuvre: un risque
de surqualication et un risque de chômage. Si nous nous intéressons ainsi aux
savoirs spécialisés et aux savoirs de base, c’est parce que c’est l’une des dicho-
tomies les plus importantes dans le domaine des compétences3.
Par notre étude, nous complétons la littérature existante à deux égards.
Tout d’abord, nous précisons la relation entre les compétences spécialisées et
les compétences universitaires de base et l’insertion professionnelle des diplô-
més. Ensuite, nous montrons dans quelle mesure l’effet protecteur de ces deux
types de compétences varie en fonction du rapport entre offre et demande de
main-d’œuvre. Conformément à la thèse de l’éviction, nous constatons que le
degré de protection offert par les compétences spécialisées contre le risque
de surqualication est supérieur lorsque l’excédent d’offre augmente dans le
secteur professionnel lié à la discipline de spécialisation. À l’inverse, les com-
pétences universitaires de base jouent un rôle protecteur plus sensible contre
2 Dans la suite du texte, nous parlerons simplement de «diplômés» pour désigner tous ceux
qui détiennent un titre délivré par un établissement d’enseignement supérieur, qu’il s’agisse d’une
université ou d’un institut supérieur de sciences et technologie.
3
La littérature économique fait généralement valoir une distinction entre compétences «spé-
ciques à l’entreprise» et compétences «générales», soit entre des compétences qui rendent plus
productif uniquement au sein d’une entreprise donnée et d’autres qui produisent le même effet au
sein d’une large gamme d’entreprises. Dans notre étude, nous avions pour unité d’analyse la disci-
pline de spécialisation plutôt que l’entreprise. Comme Heijke, Meng et Ris (2003) avant nous, nous
nous sommes donc écartés de la dichotomie habituelle en observant les compétences spéciques
au domaine d’études du diplômé plutôt que les compétences spéciques à une entreprise. Nous
dénissons ces «compétences spécialisées» comme celles qui rendent productif lorsque l’on occupe
un poste directement relatif à son domaine d’études, étant entendu que ces compétences ne sont
transférables aux secteurs professionnels associés à d’autres disciplines qu’au prix d’une dépré-
ciation importante. En revanche, les compétences «universitaires de base» sont productives dans
n’importe quel secteur professionnel et ne se déprécient pas lorsqu’on les transfère de l’un à l’autre.

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