Effets potentiels du dualisme du marché du travail au sein d'une union monétaire

Date01 December 2016
AuthorAnna KOSIOR,Kamil WIERUS,Michał RUBASZEK
Published date01 December 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12034
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 4
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
Effets potentiels du dualisme du marché
du travail au sein d’une union monétaire
Anna KOSIOR*, Michał RUBASZEK** et Kamil WIERUS*
Résumé. Les auteurs examinent l’inuence de l’emploi temporaire sur le chômage
au sein de l’Union économique et monétaire (UEM). Ils effectuent pour cela une
analyse par régression dynamique en panel qui porte sur onze pays (1995-20 13)
et repose sur des indicateurs des institutions du marché du travail. Celle-ci fait
apparaître un effet robuste et signicatif du travail temporaire sur la dynamique
du chômage, qui réagit de façon plus intense mais moins persistante aux chocs
sur la production en cas de dualisme prononcé. Les auteurs proposent d’évoluer
vers un système de contrat unique pour renforcer la stabilité à l’échelon des pays
et de la zone euro.
Avant la création de l’Union économique et monétaire (UEM)1, on
s’est beaucoup demandé si les pays qui envisageaient d’adopter l’euro
n’étaient pas trop différents pour pouvoir fonctionner correctement avec une
monnaie unique. Le débat portait principalement sur le rôle de la exibilité
du travail et du marché des produits en tant que moyen de faciliter l’ajuste-
ment face à des chocs asymétriques. On s’est moins intéressé au rôle de la
réglementation du marché du travail et au risque que les différences entre
pays sur ce plan ne conduisent à des réactions asymétriques face à des chocs
communs – par exemple une modication de la politique monétaire. Or cette
* Banque nationale de Pologne, courriels: anna.kosior@nbp.pl et kamil.wierus@nbp.pl.
** Banque nationale de Pologne et École d’économie de Varsovie, courriel: michal.rubaszek@
nbp.pl. Les auteurs ont déjà présenté cette étude lors de la conférence «European labour markets
and the euro area during the Great Recession: Adjustment, transmission, interactions», organisée
à Bratislava (Slovaquie) en 2014, de la 18eAnnual International Conference on Macroeconomic
Analysis and International Finance, tenue à Réthymnon (Grèce) et d’un séminaire interne de la
Banque nationale de Pologne. Ils remercient Stephen Bond et Christian Merkl, l’évaluateur anonyme
de la Revue et les participants aux réunions mentionnées ci-dessus pour leurs remarques et sugges-
tions, qui leur ont été d’une grande utilité. Les opinions exprimées dans le présent article sont celles
des auteurs et ne reètent pas nécessairement le point de vue de la Banque nationale de Pologne.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Par commodité, nous parlerons indifféremment dans cet article de «pays de l’UEM» et de
«pays de la zone euro», tout en rappelant que seuls les États membres de l’Union européenne (UE)
qui sont passés à la troisième étape de l’UEM ont adopté l’euro comme monnaie nationale ou doivent
le faire à un stade ultérieur. Le Danemark et le Royaume-Uni sont au bénéce d’une exemption.
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hétérogénéité peut avoir des conséquences potentiellement importantes sur
le fonctionnement de l’union monétaire, y compris l’hétérogénéité liée à un
«dualisme» plus ou moins marqué du marché du travail, concept que nous dé-
nissons ici comme la coexistence entre des travailleurs temporaires, liés par
un contrat de durée déterminée (CDD), et des travailleurs «permanents», liés
par un contrat de durée indéterminée (CDI).
Le recours massif aux contrats de durée déterminée (CDD) observé dans
certains pays de l’UEM découle d’une évolution des institutions du marché
du travail qui remonte au début des années 1970. Comme l’ont relevé Blan-
chard, Bean et Münchau (2006), la hausse du taux de chômage dans l’UE-15,
qui passe entre le début et la n des années 1970 de 2pour cent environ à
quelque 5pour cent (mais plus de 10 pour cent en Espagne) sous l’effet de
la hausse du prix du pétrole, a poussé les gouvernements à réformer large-
ment les institutions du marché du travail, notamment en durcissant la légis-
lation sur la protection de l’emploi (LPE). Les taux de chômage n’en ont pas
diminué pour autant, conservant des niveaux élevés même quand l’effet de la
crise s’est estompé. Il a bien fallu admettre que les réformes avaient pu contri-
buer parfois à entretenir le chômage, et certains ont réclamé leur retrait. Ces
demandes n’ont pas été entendues à proprement parler. On a observé plutôt
une polarisation nouvelle entre deux types de contrats de travail, à savoir des
contrats permanents très protégés et des contrats temporaires qui l’étaient
beaucoup moins (voir également De Grip, Hoevenberg et Willems, 1997, pour
une analyse de l’emploi atypique). On trouve une illustration particulièrement
frappante de cette évolution en Espagne, où le taux d’emploi temporaire dans
l’emploi total est monté jusqu’à 30pour cent environ sous l’effet des réformes
de 1984 (Bentolila, Dolado et Jimeno, 2011). Le recours aux CDD n’est pas
aussi massif dans les autres pays de l’UEM, mais, depuis trente ans, il a aussi
connu dans la plupart d’entre eux un essor considérable.
Dans le présent article, nous tentons de compléter la littérature existante
en examinant les effets potentiels de ce dualisme du marché du travail dans des
pays réunis au sein d’une union monétaire. Nous utilisons des données longi-
tudinales sur les pays de l’UEM pour montrer que la réaction dynamique du
chômage face à un choc sur la production dépend des institutions du marché du
travail, notamment de la part du travail temporaire, soit la proportion des tra-
vailleurs en CDD par rapport à l’emploi total. En d’autres termes, les différences
entre les pays de l’UEM pour ce qui touche aux institutions du marché du tra-
vail se traduisent par des réactions asymétriques face à des chocs communs, ce
qui contribue à accroître l’instabilité macroéconomique. Nous estimons que ces
résultats sont particulièrement importants alors qu’un débat vient de s’ouvrir
sur la réforme des institutions de l’UEM, certains préconisant notamment une
harmonisation partielle des institutions du marché du travail. Qui plus est, nos
résultats pourront être utiles pour les pays qui envisagent de passer à l’euro. Ils
montrent par exemple qu’un pays comme la Pologne, qui présente un taux de
travail temporaire record à l’échelle de l’UE, devrait envisager de réformer son
marché du travail an de réduire cette proportion avant de rejoindre l’UEM.

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