Effets du cycle économique sur la stabilité de l'emploi en Europe

Date01 September 2018
AuthorRahel FELDER,Ronald BACHMANN
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12099
Published date01 September 2018
Revue internationale du Travail, vol. 157 (2018), no 3
Droits réservés © auteur(s), 2018.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2018.
* Institut Leibniz de recherche économique (Institut für Wirtschaftsforschung – RWI) d’Es-
sen, Institut de recherche sur la concurrence de Düsseldorf (DICE), Université Heinrich-Heine de
Düsseldorf et Institute of Labour Economics (IZA); ronald.bachmann@rwi-essen.de. ** Institut
Leibniz de recherche économique (Institut für Wirtschaftsforschung – RWI) d’Essen et Univer-
sité de la Ruhr à Bochum (RUB); rahel.felder@rwi-essen.de. Cet article se fonde sur le projet
de recherche «Labour market transitions in turbulent times», mené par le RWI pour le compte de
la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound). Les
auteurs remercient Donald Storrie et Carlos Vacas-Soriano, d’Eurofound, qui leur ont apporté
leur soutien tout au long du projet. Ils remercient également Hanna Frings, Matthias Giesecke et
Sylvi Rzepka de leurs précieuses observations et suggestions. Les opinions exprimées dans le pré-
sent article sont celles des auteurs et ne reètent pas nécessairement le point de vue d’Eurofound.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Effets du cycle économique
sur la stabilité de l’emploi en Europe
Ronald BACHMANN* et Rahel FELDER**
Résumé. Les auteurs examinent l’évolution de l’ancienneté au travail dans l’Union
européenne entre 2002 et 2 012, en exploitant les microdonnées de l’enquête sur les
forces de travail (EFT-UE) d’Eurostat. Ils observent une légère hausse des valeurs
moyennes en la matière, imputable au fait que les suppressions de postes pendant
la crise ont touché principalement les travailleurs les plus récemment embauchés.
Une tendance à la baisse de l’ancienneté moyenne apparaît toutefois lorsqu’on
tient compte de l’évolution démographique de la main-d’œuvre. Les fortes dispa-
rités observées entre pays avant et pendant la crise montrent l’importance du cadre
institutionnel, et surtout de la législation protectrice de l’emploi (LPE).
Les mutations économiques de ces dernières décennies font craindre pour
la stabilité de l’emploi. La raréfaction des emplois de longue durée
(«l’emploi à vie») a été abondamment traitée dans la littérature et dans les
médias (Hall, 1982, a fait date). Le marché du travail se serait transformé sous
l’effet de la mondialisation et du progrès technologique, et notamment de l’es-
sor du numérique, exigeant davantage de exibilité de la part des salariés. Les
travailleurs doivent dès lors se préparer à changer plus souvent d’emploi et à
alterner périodes d’emploi et de chômage. Ces mutations du marché du travail
ont des répercussions sur la satisfaction et le bien-être des salariés (Commis-
sion européenne, 2001). À cet égard, l’ancienneté, c’est-à-dire la durée d’em-
ploi d’un salarié au sein d’une même entreprise, est d’une importance cruciale
Revue internationale du Travail536
pour les travailleurs, dans la mesure où elle peut être considérée comme un
indicateur de la stabilité de l’emploi (Neumark, 2000).
En dehors de ces tendances de fond, on constate que la récente crise
nancière et économique mondiale a eu une forte incidence sur le taux de
rotation de la main-d’œuvre, ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences
sur la stabilité de l’emploi (Bachmann et coll., 2015). La crise a provoqué une
hausse importante et persistante du chômage dans de nombreux pays euro-
péens, mais aussi une évolution divergente des marchés du travail au sein de
l’Union européenne (UE). Puisque la rotation de la main-d’œuvre est étroite-
ment liée au temps passé par les travailleurs auprès d’un même employeur, on
peut supposer que la crise de 2008 a également eu un effet sur l’ancienneté.
Dans cette optique, nous analysons l’évolution de l’ancienneté, dénie
comme la durée d’emploi continu d’un salarié au sein de la même entreprise1,
sur la période 2002-2012, dans un grand nombre de pays européens en nous
appuyant sur les données de l’enquête sur les forces de travail de l’Union eu-
ropéenne (EFT-UE). Ce faisant, nous apportons des indications à la fois sur
les tendances à long terme et sur les changements qui se sont produits durant
la crise de 2008. Nous offrons notamment un tableau général de l’évolution
de l’ancienneté à l’échelle européenne, mais aussi dans les États membres de
l’UE. La richesse des données de l’EFT-UE nous permet en outre d’étudier
l’hétérogénéité des caractéristiques des travailleurs et de l’emploi. Enn, nous
analysons les variations d’un pays à l’autre, en relevant l’importance du cadre
institutionnel, et notamment de la législation sur la protection de l’emploi
(LPE). Nous exploitons les nombreuses microdonnées de l’EFT-UE pour la
période 2002 -2012 an d’examiner comment l’ancienneté dans l’emploi a évo-
lué dans les pays de l’UE dans les années précédant la crise et durant la crise.
Notre article s’inscrit dans plusieurs courants d’analyse. Ainsi, Auer et
Cazes (2000) et Cazes et Tonin (2010) ont étudié la question de l’ancienneté
au travail dans une perspective internationale. Ces auteurs, qui se sont penchés
respectivement sur les années 1990 et sur la période 1996 -2006, montrent que
l’ancienneté moyenne est restée relativement stable dans la plupart des pays
européens et qu’elle n’a progressé que très légèrement dans quelques pays au
cours de la période étudiée. Ils décèlent néanmoins des écarts notables entre
pays, qu’ils imputent à l’hétérogénéité des institutions du marché du travail et
des comportements des travailleurs sur le marché du travail. Dans un article
dans lequel il compare huit pays de l’UE, le Japon, la Fédération de Russie
et les États-Unis, à partir de données portant sur le milieu des années 1990,
Burgess (1999) constate que le Royaume-Uni et les États-Unis présentent des
niveaux d’ancienneté relativement faibles. Ses résultats semblent indiquer que
l’ancienneté est généralement limitée dans les pays qui se caractérisent par la
exibilité de leur marché du travail. Ils donnent également à penser que la
LPE a un effet positif sur l’ancienneté moyenne. Par ailleurs, Boockmann et
1 L’ancienneté est ici dénie comme le temps passé par un salarié auprès de son employeur
actuel, sans considération des changements de poste (voir par exemple Auer et Cazes, 2000).
Stabilité de l’emploi en Europe 537
Steffes (2010) constatent que les institutions du marché du travail jouent un
rôle essentiel, car elles limitent la mobilité professionnelle et allongent de ce
fait l’ancienneté.
Certains auteurs se sont également intéressés à la relation entre l’ancien-
neté et des caractéristiques de l’emploi telles que la proportion de contrats à
durée déterminée, un élément qui revêt un grand intérêt pour l’analyse de la
stabilité de l’emploi alors que cette formule gagne du terrain au sein de l’UE.
Cela n’a toutefois pas nécessairement d’effet direct sur l’ancienneté moyenne,
puisque les conditions de durée et de renouvellement des contrats temporaires
varient d’un pays à l’autre. Auer et Cazes (2000) ne décèlent aucun lien de
causalité nette entre travail temporaire et ancienneté.
Des auteurs ont mis en évidence, pour les années précédant la crise, plu-
sieurs comportements types et tendances dans la relation entre caractéristiques
sociodémographiques et ancienneté moyenne, qui se vérient pour la plupart
des pays de l’UE. Cazes et Tonin (2010) n’observent pas de diminution systé-
matique de l’ancienneté des jeunes travailleurs au l du temps, sauf dans les
pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Cependant, quand ils tiennent
compte de l’âge, ils constatent une certaine baisse de l’ancienneté moyenne
dans la majorité des pays de l’UE. Dans ces conditions, nous nous intéressons
expressément aux effets de l’évolution démographique sur l’ancienneté.
Comme nous l’avons vu plus haut, l’ancienneté dans les pays européens a
été analysée en détail pour la période précédant la crise de 2008. En revanche,
aucune étude ne porte sur son comportement durant les années de cette crise.
Les travaux consacrés à la période d’avant la crise montrent que l’ancienneté
est plutôt anticyclique et qu’elle évolue avec le taux de chômage (Auer et
Cazes, 2000). Elle recule durant les phases d’expansion, avec la baisse du taux
de chômage et la hausse des créations d’emplois, qui se traduisent par de nou-
velles embauches et des passages volontaires d’un emploi à un autre (pour les
États-Unis, voir Shimer, 2005; pour l’Allemagne, voir Bachmann, 2005). On
observe le phénomène inverse en période de récession, où les ux de sortie
de l’emploi augmentent avec les suppressions de postes. Résultat, le chômage
progresse, et l’ancienneté tend à augmenter (Eurofound, 2014). Fait impor-
tant, les travailleurs sont diversement touchés selon la tranche d’ancienneté à
laquelle ils appartiennent, les salariés récemment embauchés étant plus sus-
ceptibles de perdre leur emploi au cours d’une récession que ceux possédant
davantage d’ancienneté (Abraham et Medoff, 1984; Jovanovic, 1979).
On peut supposer que les tendances à long terme et des événements plus
récents comme la crise de 2008 ont contribué à réduire l’ancienneté de diffé-
rentes catégories de travailleurs, ce que ne permet pas de vérier une analyse
au niveau agrégé. Nous étudions donc aussi l’évolution de l’ancienneté pour
différents groupes de travailleurs et types d’emplois. Nous analysons ces va-
riations au niveau de l’ensemble de l’UE et pour certains pays en particulier,
en comparant d’abord l’ancienneté moyenne selon les pays et les groupes de
travailleurs. Notre étude vient donc compléter la littérature existante en don-
nant une vision d’ensemble de l’évolution de la stabilité de l’emploi par pays

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT