Effet des institutions du marché du travail sur la sécurité de l'emploi chez les jeunes: une perspective dynamique

AuthorPaola VILLA,Eleonora MATTEAZZI,Alina SANDOR,Gabriella BERLOFFA
Date01 December 2016
Published date01 December 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12039
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 4
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
*
Faculté d’économie et de gestion, Université de Trente, Italie, courriels: gabriella.berloffa@
unitn.it; eleonora.matteazzi@unitn.it; alinamihaela.sandor@unitn.it; paola.villa@unitn.it. Le pré-
sent article repose sur des travaux de recherche réalisés dans le cadre du projet intitulé Strategic
Transitions for Youth Labour in Europe (STYLE), qui a bénécié d’un nancement relevant du
septième programme-cadre de recherche et développement technologique de la Commission eu-
ropéenne (subvention no613256). Pour de plus amples informations sur le projet STYLE, voir à
l’adresse ch.eu>.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Effet des institutions du marché
du travail sur la sécurité
de l’emploi chez les jeunes:
une perspective dynamique
Gabriella BERLOFFA*, Eleonora MATTEAZZI*,
Alina SANDOR* et Paola VILLA*
Résumé. Considérant qu’aujourd’hui la sécurité des parcours professionnels im-
porte plus que la stabilité dans le poste, les auteures décident d’analyser la situa-
tion des jeunes Européens sur le marché du travail cinq ans après la n de leurs
études en se fondant sur les changements de statut d’activité mensuels et sur la
durée d’emploi effective. Elles montrent que près de 40 pour cent des jeunes dits
«précaires» connaissent en réalité une «sécurité de l’emploi» puisqu’ils ne restent
jamais très longtemps au chômage. Elles préconisent en conséquence un durcisse-
ment de la législation protectrice des travailleurs temporaires et un renforcement
des politiques actives du marché du travail.
Le débat qui s’est amorcé au début des années 1990 sur la part de res-
ponsabilité des institutions du marché du travail dans les piètres perfor-
mances de l’économie européenne faisait de la exibilité et de la sécurité deux
concepts diamétralement opposés. Dans un premier temps, l’idée qu’il fallait
accroître la exibilité du marché du travail en assouplissant la législation sur
la protection de l’emploi (LPE), en d’autres termes en adoptant des règles
moins contraignantes en matière d’embauche et de licenciement, l’a emporté.
Cependant, au milieu des années200 0, les inquiétudes de plus en plus vives
suscitées par la montée de la précarité liée à la déréglementation du marché
du travail conduisirent la Commission européenne à recommander l’adoption
Revue internationale du Travail714
d’un ensemble de mesures visant à accroître la exibilité du marché du travail
– ce qui suppose de réduire la «stabilité de l’emploi»– tout en garantissant une
sécurité des parcours professionnels, ou «sécurité de l’emploi», – ce qui doit
pousser à améliorer l’employabilité des individus par des services publics de
l’emploi et des formations de meilleure qualité et à offrir un soutien nancier
sufsant en cas de chômage1. Désignée par le terme «exicurité», cette stra-
tégie consistait à assouplir les règles relatives à l’emploi permanent et tempo-
raire et à augmenter les dépenses au titre des politiques actives du marché du
travail (PAMT) pour accroître l’employabilité, mais aussi à mieux calibrer les
prestations de chômage an d’assurer le maintien du revenu tout en réduisant
le risque d’installation d’une dépendance à l’égard des prestations.
L’adoption de cette approche par les responsables de l’action publique
a d’importantes implications pour les concepts et indicateurs utilisés par les
chercheurs lorsqu’ils évaluent la situation du marché du travail. La première
de ces implications est la nécessité, pour analyser la sécurité individuelle, d’éta-
blir une distinction claire entre sécurité de l’emploi et sécurité économique
(ou sécurité des revenus), puisqu’à ces deux dimensions correspondent deux
catégories d’interventions différentes: l’amélioration de la sécurité de l’em-
ploi passe par des politiques actives du marché du travail, tandis que la sécu-
rité nancière est garantie par les politiques passives du marché du travail.
En deuxième lieu, les chercheurs doivent admettre que stabilité de l’emploi
et sécurité de l’emploi ne sont pas synonymes. De fait, la exibilité se traduit
par des changements d’emploi fréquents, parfois séparés par des épisodes de
chômage. La sécurité de l’emploi doit donc être dénie comme une situation
dans laquelle, au cours d’une période relativement longue, les personnes tra-
vaillent pendant la majeure partie du temps, même si elles peuvent connaître
de courts épisodes de chômage entre deux emplois.
La plupart des pays d’Europe qui ont réformé leur marché du tra-
vail ont assoupli la réglementation relative à l’emploi temporaire tout en
conservant une forte protection de l’emploi permanent. C’est pourquoi de
nombreuses études empiriques consacrées à la sécurité de l’emploi abordent
cette question sous l’angle du type de contrat de travail détenu. Beaucoup
de chercheurs étudient en particulier la transition entre contrat de durée dé-
terminée (CDD) et contrat de durée indéterminée (CDI), partant implici-
tement du principe que le premier est associé à une plus grande «précarité»
que le second (D’Addio et Rosholm, 2005; Ichino, Mealli et Nannicini, 2008;
Berton, Devicienti et Pacelli, 2011). La sécurité –et les autres conditions de
travail– dont bénécient les travailleurs «permanents» et temporaires varie
cependant beaucoup d’un pays à l’autre (Burchell, 2002; Paugam et Zhou,
2007; Commission européenne, 2003; Booth, Francesconi et Frank, 2002).
1 La Commission européenne (2007b) utilise pour désigner ces concepts les termes «sécu-
rité de l’emploi» (au sens de stabilité de la relation d’emploi) et «sécurité dans l’emploi» (au sens
d’emploi peut-être intermittent mais relativement continu). Nous avons préféré pour notre part
une opposition entre «stabilité de l’emploi» et «sécurité de l’emploi» – celle-ci étant comprise dans
un sens non traditionnel –, qui nous semble plus parlante (NDLR).
Les jeunes et la sécurité de l’emploi en Europe 715
Ainsi, l’absence de protection des travailleurs permanents dans les pays où
le marché du travail est peu réglementé passe pour l’une des principales
explications de la faible place qu’y occupe l’emploi temporaire. En consé-
quence, pour effectuer une comparaison de la sécurité de l’emploi entre pays,
il convient d’adopter une dénition fondée sur la durée d’emploi effective
plutôt que sur le type de contrat.
Dans le présent article, nous proposons une nouvelle dénition opéra-
tionnelle de la notion de «sécurité de l’emploi» individuelle. Cette dénition
repose sur les changements de statut d’activité («transitions») mensuels et
précise les conditions qui doivent être réunies pour que la trajectoire qui en
résulte présente une «sécurité sufsante». Nous adoptons en outre une déni-
tion dynamique du concept de «stabilité de l’emploi», examinant si les travail-
leurs conservent le même poste au cours d’une période donnée plutôt que la
nature du contrat qui les lie. Nous utilisons ces deux dénitions pour analyser
l’expérience professionnelle initiale des jeunes Européens. Plus précisément,
nous nous intéressons à leur situation en termes de stabilité de l’emploi et de
sécurité de l’emploi cinq ans après la n de leur scolarité secondaire ou de
leurs études supérieures, parce que nous considérons qu’à ce stade ils devraient
avoir surmonté les principaux obstacles à l’accès au marché du travail. Les sta-
tistiques d’Eurostat montrent en effet que, à partir de la troisième année sui-
vant la n de leur scolarité ou de leurs études, trois jeunes Européens (de 15
à 34ans) sur quatre occupent un emploi, et que cette proportion est identique
cinq ans ou plus après la n des études (Eurostat, 2015).
Dans notre analyse, nous poursuivons deux grands objectifs. Le premier
consiste à mesurer la proportion de jeunes bénéciant d’une stabilité ou d’une
sécurité de l’emploi environ cinq ans après leur entrée (potentielle) sur le
marché du travail et à évaluer dans quelle mesure cette proportion change en
fonction des dénitions adoptées. Le deuxième consiste à déterminer si, en
moyenne et après neutralisation des effets de certaines caractéristiques glo-
bales et individuelles, la LPE et les dépenses au titre des politiques actives
et passives du marché du travail inuent sur la probabilité de connaître une
stabilité ou une sécurité de l’emploi. Pour effectuer cette mesure, nous ana-
lysons séparément la LPE relative aux contrats permanents (LPEP) et celle
relative aux contrats temporaires (LPET). L’indicateur de LPEP rend compte
de la rigueur des règles qui régissent le licenciement des salariés permanents,
tandis que l’indicateur de LPET mesure la rigueur de la réglementation rela-
tive au recrutement de travailleurs temporaires (cette réglementation dénit
par exemple les situations dans lesquelles il est possible de faire appel à des
contrats temporaires, le nombre de renouvellements possibles ou encore la
durée cumulée maximale des contrats consécutifs).
La suite de l’article est composée de quatre parties. La première recense
les études consacrées à la problématique qui nous intéresse. La deuxième pré-
sente les dénitions retenues et les données utilisées et fournit une analyse
descriptive de la situation des jeunes Européens sur le plan de la stabilité et
de la sécurité de l’emploi. La troisième partie décrit le modèle économétrique

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT