Dynamique industrie‐services et développement économique

AuthorDavid KUCERA,Leanne RONCOLATO
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12015
Published date01 June 2016
Date01 June 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 2
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
* Économiste principal, Département des politiques de l’emploi, Service du développement
et des investissements, BIT, courriel: kucera@ilo.org. ** Professeur assistant en économie, Fran-
klin and Marshall College, Lancaster (États-Unis), courriel: leanne.roncolato@fandm.edu.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Dynamique industrie-services
et développement économique
David KUCERA* et Leanne RONCOLATO**
Résumé. Le rôle des services dans la croissance fait débat chez les économistes, qui
y voient tantôt un substitut, tantôt un complément de l’industrie. Après un rappel
des études empiriques sur la question, les auteurs décomposent la croissance dans
dix-huit pays d’Asie et d’Amérique latine pour la période 1980-2 005 , en mettant
l’accent sur les activités qui reposent sur les technologies de l’information et de la
communication. Ils recherchent ensuite les caractéristiques structurelles communes
aux pays les plus performants et les moins performants en matière d’emploi et de
productivité du travail et s’interrogent sur la viabilité de la croissance axée sur les
services, en Inde notamment.
En économie du développement, l’industrie manufacturière a longtemps
été considérée comme le moteur principal de la croissance et le secteur
clé pour le développement économique (Szirmai, 2012). Ces dernières années
toutefois, un certain nombre d’auteurs ont remis en cause cette idée et défendu
la viabilité d’une «croissance tirée par les services», en mettant l’accent sur le
rôle des plus perfectionnés d’entre eux, ou «services de pointe», qui font un
usage intensif des technologies de l’information et de la communication (TIC).
Les avis divergent sur la prééminence à accorder à l’industrie par rapport aux
services, ces derniers étant présentés selon les études comme:
un substitut possible de l’industrie, permettant aux pays de passer direc-
tement de l’agriculture aux services de pointe, en sautant dans une large
mesure l’étape de l’industrialisation;
un complément «d’aval» de l’industrie, qui se développe avec celle-ci, la
demande de services de pointe provenant pour une bonne part des acti-
vités industrielles;
un complément «d’amont» de l’industrie, qui se développe avec celle-ci, les
services de pointe pouvant créer de nouvelles activités manufacturières
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et autres. Dans cette optique, les services peuvent jouer un rôle clé, mais
une base industrielle solide reste indispensable.
La première thèse est défendue notamment par Bhagwati (2011) et par Ghani
et Kharas (2010). Pour ces derniers, l’expérience de l’Inde montre que les ser-
vices peuvent se substituer à l’industrie comme principal catalyseur de la crois-
sance économique, car ils sont de plus en plus échangeables et offrent, à l’instar
de l’industrie, des possibilités de rendements d’échelle croissants. Cette voie de
croissance axée sur les exportations est viable, argumentent-ils, car le marché
mondial des services possède un vaste potentiel encore largement inexploité.
L’idée que les services sont un complément «d’aval» de l’industrie est défen-
due par Kaldor (1966, 1967 et 1968) et par Chang (2011). Comme l’afrme ce
dernier, «la plupart des activités les plus dynamiques du secteur des services
sont tributaires du secteur manufacturier». Comme les tenants de la première
thèse, les partisans de la troisième prêtent un rôle moteur aux services, mais
ils soulignent l’importance des liens intersectoriels au sein de chaque pays et
des effets d’entraînement, et afrment que l’industrie manufacturière et même
l’agriculture restent primordiales pour la croissance durable. Parmi les repré-
sentants de ce courant de pensée gurent Joshi (2004), ainsi que Dasgupta et
Singh (2005 et 20 06), qui écrivent à propos de l’Inde: «Dans le cas des TI [tech-
nologies de l’information], notamment, il semble que les services entraînent la
croissance de l’industrie, et non l’inverse» (Dasgupta et Singh, 2005, p. 1055).
Loin de s’exclure mutuellement, les deuxième et troisième thèses peuvent se
compléter dans la mesure où l’industrie et les services peuvent être conçus
comme complémentaires et se développant en parallèle, chacun des secteurs
offrant de nouveaux débouchés à l’autre (Guerrieri et Meliciani, 2005; An-
dreoni et Lopez Gomez, 2012).
Le débat porte au fond sur la pertinence des travaux de référence de
Kaldor et de Baumol –parus bien avant la révolution des TIC– pour les pays
en développement aujourd’hui (Kaldor, 1966, 1967 et 1968; Baumol, 1967).
Les économistes s’interrogent particulièrement sur les lois de Kaldor, qui pos-
tulent qu’une augmentation rapide de la part de la production manufacturière
dans l’économie totale contribue à une croissance rapide du PIB et induit des
gains rapides de productivité dans l’industrie manufacturière mais aussi dans
l’agriculture. Historiquement du moins, le processus de développement écono-
mique s’est accompagné le plus souvent du déplacement de la main-d’œuvre de
l’agriculture vers l’industrie manufacturière, c’est-à-dire d’un secteur à produc-
tivité moyenne faible à un secteur à productivité moyenne forte. Cette trans-
formation structurelle a eu des effets positifs sur la productivité à l’échelon de
l’économie tout entière. Il s’agit là d’un exemple d’effet de redéploiement, qui
rend compte de l’évolution de la productivité agrégée résultant de la redistri-
bution de l’emploi ou de la production entre des secteurs ayant des niveaux
de productivité différents. Cet effet ne doit pas être confondu avec l’effet intra-
sectoriel, qui rend compte de l’évolution de la productivité agrégée résultant
de l’évolution de la productivité au sein des différents secteurs (voir plus bas
pour une dénition détaillée de ces effets).

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