Du machisme au coparentage: pour une révolution des mentalités en Italie

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12130
AuthorMichel MARTONE
Date01 September 2019
Published date01 September 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 3
Droits réservés © auteur, 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Professeur de droit du travail et des relations professionnelles, Université La Sapienza de
Rome; michel.martone@uniroma1.it.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1
Pour une étude des difcultés rencontrées pour faire progresser l’égalité des sexes en Eu-
rope jusqu’aux années1950, voir Allen (2014).
Du machisme au coparentage:
pour une révolution
des mentalités en Italie
Michel MARTONE*
Résumé. Cet article décrit les processus législatifs et judiciaires complexes néces-
saires pour que le droit au coparentage s’impose dans le droit du travail italien.
Après avoir expliqué que le système juridique italien a jusqu’à présent assimilé la
protection de la famille à la seule protection de la femme et de la maternité, l’au-
teur décrit l’évolution législative qui a permis de reconnaître aux pères un rôle
fondamental dans l’éducation des enfants. Il montre ensuite que la jurisprudence,
en retenant une interprétation moderne des principes inscrits dans la loi, contri-
bue à vaincre la résistance à une telle évolution dans une société encore marquée
par la domination masculine.
Si l’on dénit le machisme comme «une attitude psychologique et
culturelle fondée sur une prétendue supériorité de l’homme sur la
femme et [comme] le comportement social qui en résulte» (Devoto et Oli,
2013), l’Italie demeure indéniablement un pays marqué par la domination
masculine et une vision androcentrique du monde, où l’égalité entre hommes
et femmes a bien des difcultés à se frayer un chemin depuis le début du
XXesiècle1.
Le fait que le suffrage universel soit un acquis relativement récent n’a
rien d’une coïncidence. L’Italie n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en
1946 et considérait jusqu’alors qu’elles n’avaient pas le moindre lien avec la vie
politique, économique et sociale du pays. C’est cependant dans le monde du
travail que l’écart entre les sexes s’est manifesté de la façon la plus agrante,
reétant l’idée profondément ancrée dans la société que l’homme devait être
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le seul apporteur de revenu du ménage, tandis que la prise en charge de la
famille et des enfants était le pré carré de la femme2.
Cette vision a inévitablement eu une incidence sur l’application ulté-
rieure des règles constitutionnelles. Alors que certains observateurs éclairés
avaient préconisé de promouvoir la protection de la famille considérée comme
un tout, conformément à l’article30 de la Constitution italienne3, le législateur
italien a préféré se borner à protéger les femmes dans le contexte du travail
en partant du postulat contenu dans l’article37 selon lequel les femmes rem-
plissent une «fonction familiale essentielle», qui impose d’assurer «à la mère
et à l’enfant» une «protection spéciale et adaptée» (Treu, 1979)4.
C’est la raison pour laquelle, pendant des décennies, les règles adoptées
en Italie en faveur des parents qui travaillent ont visé quasi exclusivement les
femmes. Toutefois, au l du temps, les mesures prises pour aider les femmes
actives à gérer plus sereinement la maternité ont été à l’origine de discrimina-
tions supplémentaires (Calafà, 2007). Ces règles, en particulier celles relatives
au congé de maternité (obligatoire ou facultatif), ont eu un effet pervers parce
qu’elles ont entraîné une hausse des contraintes organisationnelles et du coût
du travail pour les entreprises, qui a elle-même conduit les employeurs à pri-
vilégier, à chaque fois qu’ils le pouvaient, le recrutement d’une main-d’œuvre
masculine. Il n’y a donc rien de fortuit à ce qu’aujourd’hui encore, en Italie,
les femmes perçoivent, à travail égal, une rémunération inférieure à celle des
hommes: elles paient le prix d’«anomalies génétiques» de la loi, le législateur
ayant assimilé protection de la famille à protection des femmes, plus parti-
culièrement des mères. Pour les mêmes raisons, il n’est guère surprenant que
les principaux freins à l’emploi des femmes en Italie– en termes quantita-
tifs comme qualitatifs– soient liés à la garde des enfants et aux obligations
familiales.
2 Même les derniers travaux de recherche publiés avec le soutien de la Commission euro-
péenne classent l’Italie parmi les pays où le «modèle classique de M. Gagnepain et Mme Aufoyer»
reste dominant et où la prise en charge informelle des enfants et proches dépendants, essentielle-
ment assurée par les grands-parents et/ou d’autres membres de la famille, occupe une place impor-
tante (voir Mills et coll., 2014; Bosoni, 2014). Parmi les premiers travaux défendant la nécessité de
rompre avec ce modèle gurent ceux de Larossa (1988); Coltrane (1996); Lupton et Barclay (1997);
Levine et Pittinsky (1997) et Cabrera et coll. (2000). Sur le concept de machisme, également vivace
dans la société multiethnique que sont les États-Unis, voir Hodges et Budig (2010).
3
Pour les auteurs de la doctrine constitutionnelle, l’article 30 de la Constitution italienne, qui
dispose que «les parents ont le devoir et le droit d’entretenir, d’instruire et d’élever leurs enfants»,
a «pour premier effet, de manière implicite mais néanmoins absolue, d’établir le principe d’égalité
entre les parents» (Esposito, 1954, p.135).
4 L’article37 de la Constitution italienne– qui est une norme éminemment idéologique– est
ambigu et contradictoire. La raison en est qu’il est le fruit d’un compromis difcile entre la position
de l’église catholique, qui insistait sur «la mission essentielle des femmes au sein de la famille», et
celle de la gauche, qui entendait faire prévaloir une vision plus émancipée des femmes actives et
de la famille. L’interprétation proposée pour lever cette ambiguïté consiste à mettre l’accent sur
la promotion de l’égalité tout en soulignant que les femmes peuvent privilégier leur fonction fa-
miliale par rapport à l’exercice d’une activité professionnelle, étant entendu qu’elles ne pourront
proter des politiques de soutien mises en œuvre dans le pays que si elles sont actives (Treu, 1979).

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