Droit du travail, chômage et part salariale: l'expérience de six pays de l'OCDE, 1970–2010

Date01 March 2014
AuthorSimon DEAKIN,Prabirjit SARKAR,Jonas MALMBERG
DOIhttp://doi.org/10.1111/j.1564-9121.2014.00199.x
Published date01 March 2014
Revue internationale du Travail, vol. 153 (2014), no 1
Copyright © 2014. Les auteurs. Revue internationale du Travail publiée par John Wiley & Sons Ltd pour
l’Organisation internationale du Travail. Cet article est en accès libre selon les termes de la Licence
Creative Commons Attribution (CC-BY license), qui autorise l’utilisation, la distribution et la repro-
duction par tous moyens et sous tous formats, pour autant que le travail original soit cité correctement.
Droit du travail, chômage et part salariale:
l’expérience de six pays de l’OCDE,
1970-2010
Simon DEAKIN*, Jonas MALMBERG** et Prabirjit SARKAR***
Résumé. Utilisant des données sur le droit du travail dans six pays (Allemagne,
Etats-Unis, France, Japon, Royaume-Uni et Suède) entre 1970 et 2010, les auteurs
évaluent les effets de la réglementation du travail sur le chômage et la part du tra-
vail dans le revenu national. Leur méthode montre la différence entre les effets à
court et à long terme des changements de réglementation: la législation protectrice
des travailleurs n’est pas associée de façon systématique avec le chômage, mais est
corrélée positivement avec la part du travail dans le revenu national. Les dispo-
sitions relatives au temps de travail et la représentation des salariés ont des effets
bénéques tant sur l’efcacité que sur la répartition.
Dans cet article, nous présentons de nouveaux éléments factuels relatifs
aux effets de la législation du travail sur la part de la main-d’œuvre
dans le revenu national (part salariale) et sur le chômage, dans les économies
de marché développées. La question préoccupe les économistes et autres cher-
cheurs en sciences sociales depuis un certain temps, sans qu’aucun consensus
clair ne soit apparu. Dans les années 1990, les études sur l’emploi de l’OCDE
(voir OCDE, 1994) plaidaient pour la déréglementation du marché du tra-
vail dans le cadre d’une stratégie d’assouplissement de ce dernier en vue de
créer des emplois. Dans les années 20 00, des arguments du même ordre ont
été avancés par la Banque mondiale dans le cadre de son programme Doing
Business. La théorie économique, fondée sur des modèles d’équilibre général,
vient à l’appui de telles positions, mais l’observation des faits est beaucoup
plus équivoque (Skedinger, 2010). Un nombre croissant d’études donnent à
* Centre for Business Research (CBR), Université de Cambridge, courriel: s.deakin@cbr.
cam.ac.uk. ** Université d’Uppsala, courriel: lars.jonas.malmberg@gmail.com. *** Université
Jadavpur et CBR, Université de Cambridge, courriel: prabirjit@gmail.com. Les auteurs remercient
Aleksandra Polanska pour son assistance dans la recherche et les évaluateurs anonymes pour leurs
commentaires sur une version antérieure du présent article. La recherche a bénécié du soutien du
fonds commun DFID-ESRC pour la réduction de la pauvreté.
Les articles paraissant dans la RIT, de même que les désignations territoriales utilisées,
n’engagent que les auteurs, et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions
qui y sont exprimées.
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penser que les effets prétendument négatifs du droit du travail pourraient être
soit très faibles soit carrément inexistants (Blanchower, 2001; Baker et coll.,
2005), et qu’il pourrait même, de fait, avoir des effets bénéques sur la pro-
ductivité et l’innovation (Acharya, Baghai et Subramanian, 2012a et 2012b).
A la lumière de ces résultats, certains chercheurs en ont appelé à une rééva-
luation des hypothèses sous-jacentes des modèles d’équilibre du marché du
travail (Freeman, 2005).
La présente contribution au débat est d’ordre empirique, avec deux inno-
vations méthodologiques. Premièrement, nous utilisons une série de données
récemment élaborée, le Labour Regulation Index (Indice de réglementation
du travail) du Centre for Business Research (CBR), qui offre la présentation
la plus détaillée et la plus systématique sur l’évolution du droit du travail dans
les principales économies industrialisées. Ces données diffèrent de celles qui
sont le plus souvent utilisées (l’indice de la protection de l’emploi de l’OCDE
et l’indicateur «embauche des travailleurs» de la Banque mondiale) en ce
qu’elles donnent des séries chronologiques continues fondées sur un codage
cohérent de source juridique primaire couvrant l’ensemble des textes régissant
les relations individuelles et collectives de travail. Deuxièmement, nous analy
-
sons les effets du droit du travail sur l’économie au moyen de techniques éco-
nométriques qui font une distinction entre les effets à court et à long terme
des changements du droit et prennent en compte les interactions dynamiques
entre les variables juridiques et économiques. Ces techniques constituent un
progrès par rapport aux méthodes transversales plus statiques sans variation
temporelle qui ont été réalisées jusqu’à présent pour analyser les effets éco-
nomiques de la législation du travail.
Nous examinons les effets économiques de la législation du travail entre
1970 et 2010 dans six pays de l’OCDE: Allemagne, Etats-Unis, France, Japon,
Royaume-Uni et Suède. Cet échantillon est représentatif des grandes familles
juridiques (Common Law et droit civil), ainsi que des «variétés» de l’écono-
mie de marché (économies de marché libérales et économies de marché coor-
données). Nous procédons à une analyse dynamique des données de panel
qui montre que, sur la période et dans les pays considérés, la législation du
travail n’a pas eu d’effets systématiques clairs à long terme ou à court terme
sur le chômage. Lorsque nous désagrégeons notre analyse pour observer de
plus près certains types de dispositions du droit du travail, les faits montrent
nettement que les réglementations qui réduisent la durée du travail ont pour
effet de réduire aussi le chômage, et de façon moins nette il en va de même
de la législation qui garantit la représentation des travailleurs. Nous considé-
rons ensuite les effets du droit du travail sur la part de la main-d’œuvre dans
le revenu national. Il apparaît que la législation protectrice des travailleurs est
associée à une part supérieure de la main-d’œuvre et donc, de façon générale,
à une meilleure répartition du revenu, résultat qui découle des dispositions
relatives à la durée du travail et à la représentation des salariés.
La suite du présent article est divisée en cinq parties. Dans la première,
nous résumons brièvement l’état du débat sur l’arbitrage entre équité et ef-

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