La distribution des salaires selon la taille de l'entreprise: illustration par le cas des États‐Unis

Date01 September 2018
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12093
Published date01 September 2018
AuthorDamir COSIC
Revue internationale du Travail, vol. 157 (2018), no 3
Droits réservés © auteur, 2018.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2018.
La distribution des salaires
selon la taille de l’entreprise:
illustration par le cas des États-Unis
Damir COSIC*
Résumé. La hausse des disparités salariales aux États-Unis est abondamment do-
cumentée, et expliquée par divers facteurs. L’auteur s’intéresse au rôle en la matière
de la taille de l’entreprise, un aspect souvent négligé. Il décompose l’écart dans
l’évolution des distributions salariales estimées pour les différentes catégories d’en-
treprises (grandes, petites et moyennes) en isolant l’effet des caractéristiques obser-
vées, celui de leur rendement et les inégalités résiduelles. Il observe une convergence
entre les différents types d’entreprises sur la période 1992-2012 , ainsi qu’un ac-
croissement global des disparités, tiré par l’évolution dans le haut de la distribution
et dans les grandes entreprises, où le poids des inégalités résiduelles est majoré.
Dans les années 1980 et 1990, les disparités salariales sont montées en
èche aux États-Unis. Toute une série d’études sont parues sur la ques-
tion, dont la plupart mettent l’accent sur le rôle en la matière de l’offre de
travail (le prol des actifs ayant effectivement évolué sous l’angle du niveau
d’études et de l’expérience professionnelle), de la demande de travail (qui
subit l’effet du progrès technique) et des institutions du marché du travail (eu
égard notamment à l’évolution du taux de syndicalisation et aux réformes de
la réglementation)1. Cependant, une bonne partie de la hausse des inégalités
reste imputable à un facteur résiduel, inexpliqué, responsable des différences
de rémunération entre des travailleurs au prol identique. Dans certaines des
premières études sur la question, comme celle de Juhn, Murphy et Pierce
(1993) ou celle de Katz et Autor (1999), ce facteur résiduel est responsable
de plus de la moitié de la hausse des inégalités de salaire. Dans des études
plus récentes, Lemieux (2006) et Melly (2005) montrent que l’évolution de la
* Urban Institute, Washington; dcosic@urban.org.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Les études portant sur les effets de l’intensication des échanges sur les inégalités sala-
riales, comme celle de Borjas, Freeman et Katz (1997), montrent que le rôle de ce facteur particu-
lier est relativement limité.
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composition de la population active a des effets plus puissants. Selon leur ana-
lyse, qui fait appel à une méthode plus performante, et dans laquelle ils tiennent
compte des erreurs de mesure, la hausse des disparités salariales imputable à la
composante résiduelle représente autour de 20pour cent de la hausse brute, ce
qui reste considérable.
Un facteur demeure très peu documenté dans la littérature sur les inéga-
lités de salaire. Ce facteur, c’est la taille de l’entreprise. L’existence d’une prime
salariale en faveur des salariés des grandes entreprises est pourtant bien établie.
Brown, Hamilton et Medoff (1990) montrent ainsi que, dans les années 1980, les
grandes entreprises des États-Unis paient sensiblement mieux que les petites
à même niveau de responsabilité et pour des catégories professionnelles et des
caractéristiques observées similaires. En outre, les conditions de travail sont meil-
leures dans les grandes structures, et les prestations y sont plus généreuses. La
prime salariale observée dans les grandes entreprises est expliquée diversement
selon les auteurs, qui invoquent ainsi l’utilisation de technologies plus avancées,
une productivité accrue, des intrants meilleur marché ou encore un encadrement
plus efcace, sans parvenir cependant à des conclusions tranchées. En outre, la
littérature sur la relation entre niveaux salariaux et taille de l’entreprise (dont
Idson et Oi, 1999, font la synthèse) n’aborde pas la question plus vaste des iné-
galités de salaire ni l’inuence en la matière de l’effectif de l’entreprise.
Nous chercherons à compléter la littérature sur ce point particulier. Pour
cela, nous estimons la distribution salariale au sein des grandes entreprises et
au sein des petites entreprises
2
en 1992 et en 2012 et nous décomposons l’écart
observé entre les deux groupes, en faisant la part entre le rôle en la matière
des caractéristiques observées, celui du rendement de ces caractéristiques et
celui d’un facteur résiduel. Nous estimons nos distributions salariales en nous
fondant sur la rémunération de tous les salariés qui travaillent pour tel ou tel
type d’entreprise. Nous observons que la distribution est plus inégale parmi les
salariés des petites entreprises que parmi ceux des grandes. L’écart dans la dis-
tribution de ces deux groupes est particulièrement important en 1992, comme
le montre la comparaison des indices de Gini rendant compte de la disper-
sion des salaires pour l’un et l’autre. En effet, cet indice est de 0,399 pour les
structures de moins de 100salariés cette année-là, contre 0,343 (soit 0,05 de
moins) pour les structures de plus de 1 000salariés (voir tableau 1). On peut
ajouter à titre de comparaison que l’indice de Gini rendant compte cette fois
de la dispersion du revenu total avant impôt aux États-Unis connaît une aug-
mentation de même proportion entre 1984 et 2005, passant de 0,415 à 0,469,
dans une période marquée par une hausse rapide des inégalités de revenu3.
2 Dans le cadre de notre analyse, nous dénissions les petites entreprises comme celles qui
comptent entre 1 et 99salariés, les moyennes entreprises comme celles qui comptent entre 100 et
999salariés et les grandes comme celles qui comptent plus de 1 000salariés.
3 Ces chiffres proviennent du supplément socio-économique annuel 2017 de l’enquête sur
la population des États-Unis menée par le Bureau fédéral des recensements des États-Unis. Voir à
l’adresse https://www2.census.gov/programs-surveys/cps/tables/time-series/historical-income-house
holds/h04.xls [consulté le 21 juin 2018].

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