Les dispositions relatives au travail des accords commerciaux de l'UE: un support possible pour le renforcement des capacités dans le domaine du travail?

Date01 September 2016
AuthorFranz Christian EBERT
Published date01 September 2016
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12026
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 3
Les dispositions relatives au travail
des accords commerciaux de l’UE:
un support possible pour le renforcement
des capacités dans le domaine du travail?
Franz Christian EBERT*
Résumé. Les dispositions relatives au travail contenues dans les accords commer-
ciaux européens n’ont pas été capables véritablement d’assurer l’application effec-
tive des principes qu’elles consacrent sur le territoire des parties. Pour l’auteur, si
elles peuvent servir cet objectif, ce serait plutôt en tant que support pour la réalisa-
tion d’activités de renforcement des capacités dans le domaine du travail, dans le
cadre des instruments européens relatifs à la coopération pour le développement.
L’auteur examine les possibilités en la matière et recommande de revoir la concep-
tion de ces dispositions, notamment an que leur application ne repose plus autant
sur le bon vouloir des parties.
Ces dernières années, des progrès notables ont été enregistrés vers une
meilleure prise en compte des aspects sociaux dans la politique commer-
ciale. Après le rejet de la «clause sociale» multilatérale devant gurer dans la
Déclaration de Singapour adoptée par l’OMC en 19961, l’idée d’inscrire dans
les instruments commerciaux des dispositions faisant valoir certains principes
dans le domaine du travail (ci-après «dispositions relatives au travail») sem-
blait devoir être abandonnée; si le projet a ressurgi, c’est par des voies détour-
nées2. En effet, l’impasse de la discussion à l’échelon multilatéral a favorisé
*
Chargé de recherche, Institut Max-Planck de droit public comparé et de droit international,
Heidelberg, courriel: ebert@mpil.de. L’auteur s’est appuyé pour certaines parties de ce texte sur des
travaux menés dans le cadre d’un projet du Bureau international du Travail sur la dimension sociale
des accords de libre-échange. Il remercie Raffaela Kunz, Claire La Hovary, Desiree LeClercq, Axel
Marx, Myriam Oehri, Rafael Peels, Ximena Soley, Lore Van den Putte, Jeffrey Vogt et deux éva-
luateurs anonymes de leurs commentaires et suggestions sur des versions préliminaires du texte.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Voir la Déclaration ministérielle de Singapour adoptée le 13 décembre 1996 (document
WT/MIN(96)/DEC).
2 Voir, par exemple, Maupain (2012, pp. 153 et suivantes), Peels et Fino (2015) et Agustí-Pa-
nareda, Ebert et LeClerq (2015, pp. 349-352). Pour plus de précisions sur le sens à donner à «dispo-
sitions relatives au travail», nous renvoyons à Ebert et Posthuma (2009, p.68-69).
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l’apparition de dispositions relatives au travail dans toute une série d’accords
commerciaux bilatéraux ou régionaux (voir BIT, 2013, pp.19-21; Siroën, 2013,
pp. 95-10 0)3. On trouve ces dispositions en nombre dans les accords commer-
ciaux de l’UE4, souvent regroupées au sein d’un chapitre intitulé «Commerce
et développement durable» (Burgoon, 2009; BIT, 2013 et 2016; Van den Putte
et Orbie, 2015). La question de l’effet concret de ces dispositions et de leur
inuence véritable sur le niveau des normes relatives au travail dans les pays
concernés mérite d’être posée cependant.
À ce jour, l’essentiel du débat a porté sur la capacité de ces dispositions
de faire respecter les obligations relatives au travail, notamment au moyen
de mécanismes de traitement des plaintes ou de règlement des différends, de
régimes de sanctions économiques ou de systèmes de contrôle mutuel (voir
notamment Hepple, 2005; Greven, 2005; Vogt, 2014). D’autres rôles possibles
de ces dispositions sont restés au second plan. Ainsi, on a peu traité l’effet po-
tentiel de ces accords sur la constitution et le renforcement des capacités des
institutions du travail et des acteurs de la société civile dans les pays parte-
naires (à quelques exceptions près: voir Polaski, 2004; BIT, 2013; Oehri, 2015a
et 2015b). Cet aspect mérite un examen plus attentif cependant, car l’amélio-
ration des conditions de travail ne dépend pas que de la bonne volonté des
responsables politiques mais aussi d’autres facteurs, notamment de la capacité
des pouvoirs publics d’assumer certaines activités de gouvernance, dont l’ins-
pection du travail et la gestion efcace des conits du travail (voir Polaski,
2004, p.22; voir aussi Geref et Mayer, 2005, p.56; Kolben, 2011, pp. 427-428;
Banks, 2011, p.64). En outre, les mécanismes destinés à assurer l’application
des dispositions relatives au travail contenues dans les accords commerciaux
sont rarement mis à prot (voir, par exemple, Scherrer et coll., 2009, pp. 14-15;
BIT, 2013, pp. 43 et 51; Oehri, 2015b, pp. 742-744). On conviendra par consé-
quent qu’il faut s’attacher à mieux comprendre les autres dimensions des dis-
positions relatives au travail des accords commerciaux.
Celles que l’on retrouve dans les traités conclus par les États-Unis ou le
Canada ont souvent contribué de façon sensible au renforcement des capa-
cités des pays aux ns de la bonne application des principes consacrés dans
le domaine du travail, sous l’effet d’efforts relevant de la coopération pour
le développement (BIT, 2013, pp. 80-84)5. Qu’en est-il des accords commer-
3 La question du travail s’est posée également dans le cadre de la négociation des accords
commerciaux dits «mégarégionaux» comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investis-
sement (TTIP) et l’Accord de partenariat transpacique (TPP); voir notamment Lee (2015, pp. 5-6).
4 Parmi ces accords européens, beaucoup couvrent aussi en réalité nombre de questions qui
ne sont pas purement commerciales. Cependant, par commodité, nous avons choisi de les désigner
eux aussi comme des «accords commerciaux», ou «accords», de l’UE. De même, nous utilisons uni-
formément le terme «accord de l’UE», ou la formule «accord UE» suivie du nom du territoire ou
de l’État partenaire, même si certains de ces traités ont été conclus par ce qui était alors la Com-
munauté européenne.
5 Dans le cadre de l’accord de libre-échange États-Unis-Amérique centrale-République do-
minicaine, les fonds alloués au renforcement des capacités dans le domaine du travail atteignaient
quelque 85 millions de dollars des États-Unis pour la période 2005 -2010 (ministère du Travail des
États-Unis, 2009, annexe 2).

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