Les dispositifs de gouvernance sociale privés et leur système de contrôle: quelles réformes pour quel effet

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12027
AuthorJan WOUTERS,Axel MARX
Date01 September 2016
Published date01 September 2016
Copyright © Auteur(s) 2016
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2016
Revue internationale du Travail, vol. 155 (2016), no 3
Les dispositifs de gouvernance sociale
privés et leur système de contrôle:
quelles réformes pour quel effet
Axel MARX* et Jan WOUTERS*
Résumé. Certains dispositifs privés constituent désormais une forme de gouver-
nance sociale mondiale qui contribue à la mise en œuvre des normes internatio-
nales du travail. Cependant, l’effet véritable de ces dispositifs sur les conditions
faites aux travailleurs dans la chaîne d’approvisionnement est parfois contesté,
et les systèmes d’audit utilisés dans ce cadre pour vérier la bonne application
des normes parfois jugés inadéquats. Les auteurs se demandent par conséquent
comment réformer ces systèmes, en s’intéressant notamment aux mécanismes qui
mettent à contribution les parties prenantes, à savoir en particulier les mécanismes
de traitement des plaintes, dont ils détaillent les atouts et les limites.
La protection internationale des droits au travail n’est pas chose nouvelle1.
Les premières mesures visant à améliorer les conditions de travail à
l’échelon international datent de la n du XIXe siècle. La constitution, à Bâle,
de l’Association internationale pour la protection légale des travailleurs a suivi
en 19012. L’année 1919 marque un tournant décisif avec la création de l’Orga-
nisation internationale du Travail, institution multilatérale chargée d’adopter
des normes internationales sur toutes les questions relatives au monde du tra-
vail. Plus généralement, l’Organisation devait contribuer à la paix mondiale
en œuvrant pour la justice sociale et en empêchant un nivellement par le bas
des droits au travail à l’échelon international, dans une époque marquée par
* Centre d’études sur la gouvernance mondiale, KU Leuven, courriels: axel.marx@ggs.
kuleuven.be et Jan.Wouters@ggs.kuleuven.be. Les auteurs remercient l’évaluateur anonyme de
la Revue internationale du Travail pour ses remarques très pertinentes sur une version prélimi-
naire de l’article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Dans la littérature, les termes «droits au travail», «droits des travailleurs», «droits sociaux»
ou encore «conditions de travail» ont pu être utilisés pour désigner la même notion. Nous parlerons
plutôt pour notre part de «droits au travail», que nous dénirons – ce qui n’est pas la règle – comme
l’ensemble des règles qui sont applicables aux travailleurs et à leurs organisations, quelle que soit
la source de droit dont elles émanent.
2 L’adoption à Berne, en 1906, de la Convention internationale sur l’interdiction de l’emploi
du phosphore blanc (jaune) dans l’industrie des allumettes marque une autre étape importante.
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l’essor des échanges et l’intensication de la concurrence (Mahaim, 1934; Ser-
vais, 2011). En effet, ces évolutions semblaient susceptibles de porter atteinte
à certains droits au travail tels que la limitation de la durée du travail ou la
protection de la sécurité sur le lieu de travail.
Depuis quelques décennies, ces thématiques sont revenues sur le devant
de la scène. Plusieurs études empiriques ont analysé les liens entre le dévelop-
pement des échanges et les droits au travail, montrant que la mondialisation
pouvait parfois menacer certaines de ces garanties. Au moyen d’un indicateur
composite sur la protection des droits au travail, Mosley (2011) démontre que
celles-ci reculent dans presque toutes les régions du monde entre 1985 et 2002.
L’auteure analyse également la relation entre intensication des échanges (vue
sous l’angle de l’internationalisation de la production) et investissement étran-
ger direct, et elle montre que la sous-traitance se traduit par une moindre pro-
tection des travailleurs. Dans ces circonstances, des mouvements politiques
et citoyens se sont mobilisés, demandant par divers moyens la subordination
de toute nouvelle libéralisation des échanges internationaux au respect des
normes internationales du travail (Cuyvers et De Meyer, 2012).
Malgré l’existence des normes et procédures internationales instituées par
l’OIT, plusieurs syndicats et mouvements citoyens ont fait du respect effectif de
principes sociaux une priorité, dénonçant la passivité des institutions gouverne-
mentales internationales en la matière (Keck et Sikkink, 1998). Des multinatio-
nales ont aussi été attaquées, les militants ayant compris que l’image de marque
fait partie des actifs de l’entreprise et qu’il est facile d’y porter atteinte. Cette
prise de conscience a donné lieu à toute une série d’initiatives dont la campagne
CCC (Clean Clothes Campaign, c’est-à-dire «Campagne pour des vêtements
propres»), qui interpelle directement les entreprises (Bartley, 2003 et 2007; Es-
benshade, 2004; Geref, Garcia-Johnson et Sasser, 2001). Des marques en vue
ont notamment été prises à partie, Nike et Levi Strauss par exemple, et accusées
de violer un certain nombre de droits fondamentaux au travail.
Plus tard, au début des années 1990, ces mouvements ont donné lieu à
l’émergence de nouvelles formes de gouvernance privée destinées à assurer l’ap-
plication des normes internationales du travail tout au long de la chaîne de va-
leur (Abbott et Snidal, 2009; Mattli et Woods, 2009). De nombreuses entreprises
se sont alors dotées de «codes de conduite» ou «codes de bonne conduite». En
2003, la Banque mondiale recensait plus de mille de ces recueils, dont le nombre
n’a cessé d’augmenter depuis. Cependant, certains d’entre eux, jugés trop timides,
ou uniquement destinés à faire bonne impression, ont essuyé le feu de la critique
(Wells, 2007). D’autres formes de gouvernance privée associant les différentes
parties prenantes sont alors apparues. Aux côtés des programmes émanant d’or-
ganisations internationales, dont le Pacte mondial des Nations Unies (voir Kay-
ser, Maxwell et Toffel, 2014), on a vu apparaître une multitude de programmes,
tels que la Fair Labour Association (FLA), le Worldwide Responsible Apparel
Production Program (WRAP) ou encore la norme SA 8000 (Social Accounta-
bility 8000 Standard) (voir Fransen, 2012). Ces initiatives d’un genre nouveau
associaient entreprises, organisations non gouvernementales (ONG), syndicats,
administrations publiques et organisations internationales, autant de partenaires

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