Les disparités salariales entre effectifs permanents et effectifs temporaires chez les jeunes, dans trois pays européens

AuthorAntonella D'AGOSTINO,Thomas GRANDNER,Dieter GSTACH,Andrea REGOLI
Date01 June 2019
Published date01 June 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12125
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Les disparités salariales entre effectifs
permanents et effectifs temporaires
chez les jeunes, dans trois pays européens
Andrea REGOLI*, Antonella D’AGOSTINO*,
Thomas GRANDNER**, Dieter GSTACH***
Résumé. Les auteurs étudient les disparités salariales chez les jeunes (25-40 ans)
dans trois pays européens (Allemagne, France et Italie) en utilisant les statistiques
de l’EU-SILC (2010). La méthode fait appel à des régressions fondées sur la fonc-
tion d’inuence recentrée et à des techniques d’estimation par repondération. Elle
vise à faire apparaître le rôle des caractéristiques relatives à l’individu et au poste
de travail aux différents points de la répartition des salaires. La part de l’écart qui
reste inexpliquée est considérable en Italie, pour tous les centiles. En France, elle
s’atténue dans le haut de la répartition. En Allemagne, elle n’est jamais signicative.
La stabilité de l’emploi et l’autonomie nancière sont les premiers indica-
teurs de la transition vers l’âge adulte dans l’opinion commune. Cepen-
dant, à l’heure actuelle, les jeunes qui parviennent à prendre pied sur le marché
du travail sont de plus en plus exposés au travail temporaire et aux contrats de
durée déterminée (CDD) dans la suite de leur parcours, des formes d’emploi
qui se sont développées de façon particulièrement rapide au début de la crise
économique. On peut considérer les CDD comme une construction sociale,
qui dépend du régime de protection sociale et de la réglementation du marché
du travail1. Dans de nombreux pays membres de l’OCDE, les réformes de la
législation protectrice de l’emploi (LPE) adoptées depuis une trentaine d’an-
nées ont facilité le recours au travail temporaire en introduisant différentes
formules de CDD exibles, qui permettent aux employeurs de se séparer de
* Faculté de gestion et d’études quantitatives, Université de Naples-Parthenope; andrea.
regoli@uniparthenope.it et antonella.dagostino@uniparthenope.it. ** Institut pour l’étude de la
théorie et des politiques du marché du travail, Wirtschaftsuniversität Wien; thomas.grandner@wu.
ac.at. *** Institut d’économie quantitative, Wirtschaftsuniversität Wien; dieter.gstach@wu.ac.at.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Dans deux études empiriques dans lesquelles ils analysent les différences institutionnelles
entre l’Espagne, la France, le Royaume-Uni et la Suède, parues au tout début des années 200 0, des
auteurs ont montré que le niveau de travail temporaire et la précarité associée à cette formule dé-
pendent de deux dimensions institutionnelles principales: les régimes de protection contre le chô-
mage (Gallie et Paugam, 2000) et les relations professionnelles (IRES, 2000).
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leur main-d’œuvre sans frais ou à moindre coût. Dans ce nouveau cadre, la
part des travailleurs au bénéce d’un CDD dans la population active salariée
totale a connu une croissance régulière, alors que les inégalités entre effectifs
permanents et effectifs temporaires tendaient à se creuser, posant la question
d’une éventuelle segmentation du marché du travail (Doeringer et Piore, 1971;
Reich, Gordon et Edwards, 1973, Cazes et de Laiglesia, 2015)
2
. Les travailleurs
au bénéce d’un contrat temporaire semblent lésés à divers égards. Leur po-
sition dans le rapport de force est moins favorable (ce qui se traduit par des
salaires plus faibles et des prestations non salariales moins avantageuses), leur
emploi est moins stable (c’est-à-dire qu’ils sont plus susceptibles de se retrou-
ver au chômage), ils ont moins accès aux prestations de chômage en cas de
rupture du contrat de travail, aux activités de formation en cours d’emploi, à
la couverture de sécurité sociale et au crédit, ils ont un degré de satisfaction
professionnelle moins élevé et, enn, leur taux de fertilité est plus faible (voir
notamment Booth, Francesconi et Frank, 2002; OCDE, 2002; OCDE, 2004;
Bentolila et coll., 2010; Carrieri et coll., 2012). La faiblesse de la mobilité in-
tergroupe accroît encore le risque de segmentation du marché du travail, no-
tamment si le CDD agit comme un piège – en maintenant le travailleur dans
une précarité perpétuelle –, plutôt que comme un tremplin facilitant l’accès à
l’emploi stable (Boeri et Garibaldi, 2007; Picchio, 2008).
Deux observations s’imposent encore à stade pour bien mettre en évi-
dence le problème social causé par la précarité de l’emploi. Tout d’abord, il
semble, d’après les chiffres disponibles, que la proportion de travailleurs en
CDD diminue avec l’âge à l’échelle européenne (Commission européenne,
2009). Ainsi, en 2008, quelque 40pour cent des salariés de 15 à 24ans étaient
employés en vertu de contrats temporaires, contre environ 20pour cent des
salariés de 25 à 29ans et à peine 10pour cent de la tranche 30-54ans. Ensuite,
si le travail temporaire est parfois un choix véritable, il est le plus souvent subi,
c’est-à-dire accepté uniquement à défaut de propositions plus stables. Selon le
BIT (2012), la croissance du travail temporaire que l’on peut observer au sein
de la population jeune ces dernières années, en particulier depuis la crise éco-
nomique mondiale, résulte toujours plus de l’incapacité de la tranche d’âge à
accéder à d’autres possibilités d’emploi.
Compte tenu de ces considérations, nous avons choisi dans cet article de
nous concentrer sur la situation des moins jeunes parmi les jeunes, c’est-à-dire
sur celle des travailleurs de la tranche des 25-40 ans, des personnes qui ont
terminé leurs études en principe mais qui n’ont pas toujours trouvé leur voie
professionnellement ni accédé à une autonomie complète. L’analyse vaut no-
tamment pour l’Italie, où la transition vers l’âge adulte est généralement plus
tardive que dans les autres pays européens (voir notamment Aassve, Iacovou
et Mencarini, 2006; Billari, 2001; D’Agostino et Regoli, 2013). Comme nous le
2 La segmentation du marché du travail peut se manifester de plusieurs façons. Il a été éta-
bli que la coexistence de deux types de contrat (CDI et CDD) était à l’origine de différences entre
les travailleurs sur le marché du travail et qu’elle nuisait à la mobilité entre travail temporaire et
postes permanents.
Écart salarial entre permanents et temporaires chez les jeunes 371
verrons dans la synthèse documentaire qui suivra, la question de la pénalité
salariale des travailleurs temporaires d’âge actif a déjà été traitée plusieurs
fois dans la littérature pour la population générale. En revanche, la situation
des jeunes adultes, un groupe particulièrement vulnérable sur le marché du
travail, n’a jamais été examinée de façon approfondie.
De même, on recense peu d’études encore qui analysent le rôle des ca-
ractéristiques personnelles dans l’écart de salaire entre effectifs permanents et
effectifs temporaires aux différentes strates de la distribution des salaires tout
en faisant appel à des modèles de régression quantile inconditionnelle. Dans
la plupart des études empiriques existantes, la méthode consiste plutôt à uti-
liser des modèles de régression par les moindres carrés ordinaires (MCO) et
des équations de salaire mincériennes dans lesquelles on introduit, entre autres
variables explicatives, une variable ctive indicatrice du type de contrat. Cette
façon de procéder permet certes d’établir les différences, mais seulement au
niveau des salaires moyens conditionnels.
Dans cet article, nous nous proposons de combler les lacunes énumérées
ci-avant en cherchant à savoir si l’écart de salaire entre deux groupes à dif-
férents quantiles de la répartition des salaires dépend plutôt des différences
dans certaines caractéristiques observées ou plutôt de différences dans le ren-
dement de ces caractéristiques. L’analyse est comparative et menée pour l’Al-
lemagne, la France et l’Italie. Elle repose sur les données de la vague 2010 des
Statistiques de l’Union européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-
SILC). Les trois pays retenus sont trois grandes économies de la zone euro,
qui afchent un taux de CDD similaire, mais se distinguent plutôt sur le plan
des institutions. Nous chercherons à vérier si cette hétérogénéité contribue
à expliquer les relations entre caractéristiques observables et répartition des
salaires mises en évidence par l’estimation.
Les estimations produites à partir des microdonnées montrent que, dans
les trois pays, l’écart de salaire entre effectifs permanents et effectifs temporaires
n’est pas uniforme sur l’ensemble de la distribution. Il se creuse en effet dans le
bas de l’échelle. Dans les strates supérieures, il reste important en Italie mais dis-
paraît en Allemagne et en France. Une analyse de décomposition révèle d’autres
différences. En Italie, la portion de l’écart qui reste inexpliquée est toujours pré-
pondérante, quel que soit le décile. Si elle est importante également en France,
c’est seulement dans la moitié inférieure de la distribution. En revanche, dans
le cas allemand, la partie non expliquée n’est jamais signicative.
Nous structurons le reste de notre article en cinq parties. Dans la pre-
mière, nous présentons des informations sur la législation relative à la protec-
tion de l’emploi applicable aux CDD dans les pays de l’échantillon. Dans la
deuxième, nous proposons une synthèse de la littérature empirique sur l’écart
salarial entre effectifs permanents et effectifs temporaires. Dans la troisième,
nous décrivons brièvement la méthode que nous avons suivie ainsi que les
données et variables que nous avons utilisées. Nous présentons nos résultats
dans une quatrième partie. Dans une cinquième et dernière partie, nous réca-
pitulons les apports de notre étude et présentons nos conclusions.

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