La dimension économique de la législation protectrice de l'emploi, y compris sous ses modalités différentes: analyse sur un panel de 117 pays, 1990–2013

AuthorLouise BISHOP,Zoe ADAMS,Giudy RUSCONI,Simon DEAKIN,Colin FENWICK,Sara MARTINSSON GARZELLI
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12109
Published date01 March 2019
Date01 March 2019
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 1
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
* Centre for Business Research, Université de Cambridge; zla20@cam.ac.uk; lebishop42@
gmail.com; s.deakin@cbr.cam.ac.uk (auteur référent). ** BIT, Genève; fenwick@ilo.org; sara86
martinsson@hotmail.com. *** Evidence for Policy Design India, Institute for Financial Mana-
gement and Research, Chennai; giu.rusconi@gmail.com. Les auteurs remercient de leur appui le
Bureau international du Travail (BIT) et le fonds conjoint pour la recherche sur la réduction de
la pauvreté de l’Economic and Social Research Council (ESRC) et du ministère du Développe-
ment international (DFID) du Royaume-Uni (nancement ES/J019402/1, projet sur la législation
du travail et la réduction de la pauvreté dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire).
Cette étude s’inscrit dans la continuité d’une analyse déjà présentée au chapitre 4 du rapport pu-
blié par le BIT sous le titre World Employment and Social Outlook 2015: The changing nature of
jobs (BIT, 2015b). Son contenu ne reète pas nécessairement le point de vue des organismes dont
les auteurs dépendent.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
La dimension économique
de la législation protectrice de l’emploi,
y compris sous ses modalités différentes:
analyse sur un panel de 117 pays,
1990-2013
Zoe ADAMS*, Louise BISHOP*, Simon DEAKIN*, Colin FENWICK**,
Sara MARTINSSON GARZELLI**, Giudy RUSCONI***
Résumé. Les auteurs replacent l’évolution de la législation protectrice de l’emploi
(y compris de durée déterminée, intérimaire et à temps partiel) dans une perspective
économique en utilisant un indice de la rigueur de la réglementation établi par le
Centre for Business Research de l’Université de Cambridge pour 117 pays (1970-
2013). L’analyse économétrique repose sur des méthodes pour données de panel
non stationnaires. Elle fait apparaître un renforcement de la protection, associé à
une hausse de la part salariale dans le revenu national, une progression des taux
d’activité et d’emploi et une baisse du chômage, des relations qui restent faibles
cependant au regard de la tendance économique globale.
Le débat sur les effets économiques de la législation du travail est loin
d’être clos. Au sein de l’Union européenne (UE), notamment, la légis-
lation protectrice de l’emploi est souvent considérée comme un frein pour
l’économie, une perception qui a contribué à l’adoption des réformes structu-
relles lancées après 2008 en réponse à la crise de la dette souveraine (Escande
Revue internationale du Travail2
Varniol et coll., 2012). Cependant, à bien des égards, la perspective euro-
péenne semble perdre du terrain. Sur le plan théorique, la thèse d’une législa-
tion bonne uniquement à perturber le marché n’est plus d’actualité. En 2015,
dans son rapport Doing Business, la Banque mondiale change de discours,
n’afrmant plus, comme par le passé, que «les lois destinées à protéger les
travailleurs font souvent plus de mal que de bien» (Banque mondiale, 2007,
p.19), mais plutôt que «la réglementation du travail est nécessaire, incontesta-
blement», qu’elle «sert l’intérêt des travailleurs comme celui des entreprises»
et qu’elle est susceptible de nuire à la compétitivité et à la croissance non pas
seulement quand elle est «excessive», mais aussi quand elle est «trop peu dé-
veloppée» (Banque mondiale, 2014, p.231).
Ce revirement reète un consensus croissant sur l’idée que les institu-
tions du marché du travail sont nécessaires parce qu’elles facilitent la coor-
dination et répartissent les risques entre les parties aux relations de travail,
notamment en fournissant des systèmes d’assurance et de lissage du revenu
qui ne seraient pas faciles à obtenir sur le marché privé, en raison des asymé-
tries d’information et des coûts de l’action collective. Si cette façon de voir les
choses est fondée, la législation du travail peut avoir un effet net positif sur
le bien-être des travailleurs. Mais tout dépend du degré de protection fourni,
ainsi que de l’interaction avec un certain nombre d’autres facteurs qui inuent
aussi sur la situation socio-économique dans les pays. Sur le plan théorique, le
débat laisse donc plus de place à la nuance, mais plus de place au doute aussi.
Sur le plan empirique, les résultats de la recherche évoluent également,
sans que l’on puisse formuler de conclusions catégoriques là non plus. En
2012, dans une synthèse des études récentes sur la question, la Banque mon-
diale estime que la législation du travail a généralement des effets «relative-
ment modestes en dénitive» et que, dans l’ensemble et dans la plupart des
pays, «les politiques et institutions du travail ne sont ni un obstacle majeur ni
une solution miracle pour qui veut créer des emplois de qualité et promou-
voir le développement» (Banque mondiale, 2012, p.258). Une telle afrmation
marque un tournant par rapport à la situation des années précédentes, pen-
dant lesquelles les résultats des études empiriques tendaient plutôt à inrmer
la thèse d’un effet favorable de la législation protectrice de l’emploi (Banque
mondiale, 2007), même si de nombreuses zones d’ombre demeurent.
Dans cet article, nous présentons de nouvelles données empiriques sur
la relation entre l’évolution de la législation du travail et l’évolution d’indica-
teurs économiques tels que les niveaux d’emploi, de chômage, de productivité
et d’inégalités. Pour retracer l’évolution de la législation, nous avons utilisé l’in-
dice de la réglementation du travail (Labour Regulation Index) compilé par le
Centre for Business Research de l’Université de Cambridge (CBR-LRI) (voir
Adams, Bishop et Deakin, 2017). Cet ensemble de données fournit une série
chronologique sans équivalent, qui permet de suivre les modications appor-
tées à la législation du travail dans un grand nombre de pays développés ou
en développement, et ce dès le début des années1970. Il a déjà été utilisé au-
paravant (voir Deakin, Lele et Siems, 2007; Deakin et Sarkar, 2008; Deakin,
La dimension économique de la législation protectrice de l’emploi 3
Malmberg et Sarkar, 2014; Deakin, Fenwick et Sarkar, 2014), mais seulement
pour des échantillons de pays de taille restreinte. En outre, il a été largement
enrichi depuis. Dans notre étude, nous pouvons donc présenter des résultats
sur la relation entre évolution législative et évolution économique dans un
panel de 117pays, pour une période allant du début des années1990 à 2013.
Nous nous intéressons, d’une part, à la législation sur la protection des formes
d’emploi «différentes»1, catégorie dans laquelle nous englobons le travail non
salarié, le travail à temps partiel, les contrats de durée déterminée et le travail
intérimaire, et, de l’autre, à la législation relative à la protection de l’emploi
en général. Dans la suite du texte et dans les tableaux, nous désignerons ces
deux types de protection par les sigles LPED (législation protectrice de l’em-
ploi différent) et LPE (législation protectrice de l’emploi).
Nous organisons la suite de notre exposé en cinq parties. Après un bref
panorama des études théoriques sur l’effet de la législation protectrice de l’em-
ploi et des textes connexes (dont les conclusions restent contradictoires), nous
décrivons les méthodes que nous avons suivies pour construire notre série de
données. Dans la troisième partie, nous décrivons les tendances qui se dégagent
de ces données. Dans la quatrième, nous présentons notre méthode économé-
trique et les résultats obtenus par ce moyen. Notre cinquième et dernière par-
tie contient nos conclusions.
Panorama théorique et questions de recherche
S’il faut dégager un enseignement de l’abondante littérature déjà consacrée
aux effets économiques de la législation du travail, c’est que «l’effet de la pro-
tection contre le licenciement sur les niveaux d’emploi est difcile à établir sur
le plan théorique» (Autor, Donohue et Schwab, 2006, p.214). Sur un marché du
travail sans frictions, la protection supplémentaire octroyée aux travailleurs par
la législation contraignante s’accompagne en principe d’un désavantage pour le
travailleur, par exemple un salaire moins élevé ou l’absence de certaines pres-
tations liées à l’emploi, ce qui empêche toute inefcacité (Gruber, 1994). Si le
marché du travail n’est pas parfaitement concurrentiel, hypothèse qui semble
plus réaliste (Manning, 2003), la mise en place de dispositifs juridiques visant à
équilibrer le rapport de force entre les parties pourrait induire des distorsions
ou des imperfections dans l’allocation des ressources, en rendant plus coûteux
le licenciement (et donc l’embauche) pour les entreprises (Lazear, 1990). La
hausse du prix de l’embauche et du licenciement ne se traduira pas nécessai-
rement par une perte d’emplois nette, car les deux effets peuvent s’annuler
(Bentolila et Bertola, 1990), mais le ralentissement des ux sur le marché du
travail peut avoir un impact défavorable plus large, parce qu’il décourage les
jeunes entreprises d’innover, par crainte des indemnités de licenciement trop
lourdes qu’il leur faudrait acquitter en cas d’échec de leurs projets (Grifth et
1 Ces modalités d’emploi sont parfois appelées «atypiques» ailleurs, notamment dans la
base de données ILOSTAT.

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