Les déterminants du chômage des jeunes en Europe: facteurs économiques et autres causes

Published date01 September 2018
Date01 September 2018
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12095
AuthorIva TOMIĆ
Revue internationale du Travail, vol. 157 (2018), no 3
Droits réservés © Auteur, 2018.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2018.
* Collaboratrice scientique, The Institute of Economics, Zagreb; itomic@eizg.hr. L’auteure
a reçu le prix Olga Radzyner 2015, décerné par la Banque centrale autrichienne (OeNB), pour une
version antérieure du présent article. L’étude a été menée dans le cadre du projet ZAMAH («Effet
de la récession sur la structure et les ux du chômage des jeunes en Croatie»), qui a bénécié d’un
nancement du Fonds social européen. Les opinions exprimées dans le présent article sont celles
de l’auteure et ne reètent pas nécessairement celles des institutions susmentionnées.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Les déterminants du chômage
des jeunes en Europe:
facteurs économiques et autres causes
Iva TOMIC
´ *
Résumé. L’auteure recherche les déterminants du chômage des jeunes en Europe
entre 200 2 et 2014 en estimant des modèles sur données de panel pour les 28États
membres de l’UE. Face à l’hétérogénéité entre les pays, elle constitue deux sous-
échantillons (groupes «taux élevé» et «taux faible»), selon le niveau de chômage.
L’analyse permet d’associer le chômage des jeunes à une faible croissance du PIB,
un faible poids du secteur de la construction et une dette publique élevée. Parmi
les autres déterminants importants gurent la faible mobilité résidentielle (pour
cause de propriété du logement), la corruption, les transferts de fonds et la rési-
dence au domicile parental.
En 2014, on dénombrait plus de 5 millions de chômeurs chez les jeunes
(15-25 ans) dans les 28 États membres de l’Union européenne (UE),
ce qui représente presque 10pour cent de la tranche d’âge et plus de 20pour
cent de la population de chômeurs totale au sein de l’Union. Le chômage des
jeunes, qui tend à dépasser le chômage global même en période de croissance
économique, a augmenté bien plus vite que celui-ci avec la crise économique
de 2008. Dans certains pays de l’UE, notamment en Grèce et en Espagne, le
taux de chômage des jeunes gagne plus de 20points de pourcentage entre 2008
et 2014, dépassant alors les 50pour cent; dans d’autres, en Allemagne en par-
ticulier, il diminue au contraire au cours de la même période.
La question du chômage des jeunes est bien documentée dans la littéra-
ture. Cependant, les auteurs s’intéressent surtout à l’effet de la récession en la
matière, oubliant que certains pays sont confrontés au problème depuis bien
plus longtemps. Nous chercherons ici à compléter l’état des connaissances, en
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examinant les principaux déterminants du chômage des jeunes en Europe
dans une perspective à plus long terme, c’est-à-dire sur la période 2002-2014,
qui englobe la crise de 2008 (Great Recession dans la littérature en anglais).
À partir de données relatives aux 28pays de l’UE (UE-28) et au moyen de
modèles sur données de panel, nous tenterons d’isoler les principaux facteurs
susceptibles de contribuer au chômage des jeunes élevé et persistant observé
dans beaucoup de pays de l’UE. Par ailleurs, les études comparatives sur plu-
sieurs pays (Brada et Signorelli, 2012; Boeri et Jimeno, 2015) font apparaître
des différences importantes entre les États membres de l’UE. Nous tenons
compte de ce problème en estimant nos modèles sur deux sous-échantillons,
un premier groupe rassemblant les pays qui présentent un taux de chômage
des jeunes élevé (groupe «taux élevé») et un deuxième qui comprend ceux qui
présentent un taux de chômage des jeunes plus modéré (groupe «taux faible»).
En outre, en plus des indicateurs habituels (au niveau macro principalement),
dont l’effet sur le taux de chômage – des jeunes notamment – est déjà bien
établi, nous prenons en compte un certain nombre de facteurs institutionnels
et structurels, y compris non économiques, an de jeter un éclairage nouveau
sur la question qui nous intéresse.
Notre étude vient étayer la littérature existante à trois titres. Tout d’abord,
nous examinons les déterminants du chômage des jeunes dans les pays de
l’Union européenne sur une période prolongée, qui englobe la dernière crise
économique, dans l’idée de mettre en évidence le caractère éventuellement
persistant du problème dans certains États membres. Deuxièmement, nous
traitons dans notre étude le problème de l’hétérogénéité des pays, qui pré-
sentent des différences notamment pour ce qui a trait au marché du travail,
en estimant nos modèles séparément pour les pays qui présentent un taux de
chômage des jeunes fort et persistant sur notre fenêtre d’observation de treize
ans et pour ceux qui s’en sortent beaucoup mieux sur ce plan. Troisièmement,
nous nous intéressons au rôle éventuel de facteurs non économiques dans
l’apparition et la persistance des forts taux de chômage des jeunes observés
ici et là. Les résultats de notre étude intéresseront donc aussi les responsables
de l’élaboration des politiques. Parce que nous tenons compte des particulari-
tés non économiques des pays, en plus de leurs caractéristiques économiques,
mais aussi des différences dans leur comportement, et que nous ne rattachons
pas le problème uniquement à la crise économique, notre étude devrait four-
nir de nouveaux éléments d’appréciation utiles à l’élaboration des politiques
de lutte contre le chômage des jeunes, à la fois à l’échelon de l’UE et aux
échelons nationaux.
Après cette introduction, nous organisons la suite de notre article de la
façon suivante. Dans une première partie, nous proposons un bref tour d’ho-
rizon des études consacrées aux grandes questions relatives au chômage des
jeunes en Europe. Nous présentons ensuite nos données et les variables que
nous utilisons dans notre analyse empirique, en tenant compte ce faisant des
conclusions des études existantes. Nous commentons aussi brièvement dans
cette partie notre stratégie empirique principale, c’est-à-dire l’estimation de
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notre modèle sur données de panel. Dans notre troisième partie, nous pré-
sentons les résultats de nos estimations économétriques, y compris ceux des
analyses de sensibilité auxquelles nous avons procédé en utilisant plusieurs
nouvelles variables dépendantes. Nous y commentons aussi nos résultats de
façon plus approfondie, en les replaçant dans le l de la littérature existante, et
en montrant comment ils contribuent à la compléter. Enn, dans une dernière
partie, nous résumons nos principaux résultats et mentionnons les domaines
dans lesquels ils présentent un intérêt particulier.
Synthèse documentaire
En général, les jeunes sont plus exposés au chômage que les adultes. Plusieurs
raisons expliquent cette singularité: une expérience professionnelle plus limi-
tée notamment, mais aussi une formation moins complète ou moins prolon-
gée, une relation de travail moins stable et un réseau moins développé sur
lequel s’appuyer pour trouver un emploi. La transition entre la formation et
le monde du travail peut aussi poser problème, surtout si les compétences ne
correspondent pas aux besoins du marché du travail. Tous ces facteurs peuvent
produire un effet sur le long terme et avoir un coût indirect pour les jeunes
chômeurs, stigmatisés par un «effet cicatrice» (Scarpetta, Sonnet et Manfredi,
2010; Bell et Blanchower, 2011; Eichhorst, Hinte et Rinne, 2013). Mais les
taux de chômage élevés ont aussi un coût pour la société dans son ensemble
(Eichhorst, Hinte et Rinne, 2013; O’Higgins, 2015): un investissement dans
l’enseignement et la formation moins efcace, une assiette scale diminuée,
des coûts de protection sociale plus élevés, mais aussi des mouvements de
contestation ou des tensions sociales et une fuite des cerveaux, qui pousse les
éléments très qualiés à quitter le pays, le privant d’une partie de son poten-
tiel de croissance. Le chômage des jeunes gure donc à juste titre parmi les
grands sujets de préoccupation des sociétés européennes.
C’est aussi une question qui intéresse les spécialistes de l’économie du
travail depuis un certain temps déjà (voir notamment Freeman et Wise, 1982;
Russell et O’Connell, 2001; et O’Higgins, 2001) et qui fait l’objet d’un nombre
croissant de publications dernièrement. Certaines d’entre elles analysent les di-
mensions du chômage des jeunes dans des pays donnés de l’UE (Chung, Bek-
ker et Houwing, 2012; BIT, 2012; Dietrich, 2013; Eichhorst, Hinte et Rinne, 2013;
Caporale et Gil-Alana, 2014; Eurofound, 2014), ou encore l’effet de la réces-
sion en la matière (Verick, 2009; OCDE, 2010; O’Higgins, 2010 et 2012; Bell et
Blanchower, 2011; Bruno, Marelli et Signorelli, 2014; Chung, Bekker et Houwing,
2012; Banerji et coll., 2014; van Ours, 2015), alors que d’autres cherchent à dé-
gager les schémas sous-jacents susceptibles d’expliquer l’origine du phénomène
(Choudhry, Marelli et Signorelli, 2012). D’autres encore examinent l’effet des po-
litiques actives du marché du travail (PAMT) et autres dispositifs visant à lutter
spéciquement contre le chômage des jeunes (Scarpetta, Sonnet et Manfredi,
2010; Biavaschi et coll., 2012; Chung, Bekker et Houwing, 2012; Eichhorst, Hinte
et Rinne, 2013; Banerji et coll., 2014; Caliendo et Schmidl, 2016).

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