Des relations professionnelles transnationales à la négociation collective transfrontière

AuthorUrs LUTERBACHER,Konstantinos PAPADAKIS,Andrew PROSSER
Date01 December 2017
Published date01 December 2017
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12062
Dossier i
Les nouveaux visages
des relations professionnelles
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 3-4
Droits réservés © auteur(s), 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
*
Institut de hautes études internationales et du développement (The Graduate Institute Ge-
neva, IHEID), Genève, urs.luterbacher@graduateinstitute.ch. **
Institut interrégional de recherche
des Nations Unies sur la criminalité et la justice (UNICRI), Genève, andrew.prosser@graduateins
titute.ch. *** Bureau international du Travail (BIT), Genève, papadaki@ilo.org. Des versions
préliminaires de cet article ont été présentées lors d’un atelier organisé par l’Institut international
d’études sociales (IIES) sur le thème «Dialogue social et accords transfrontières: vers un cadre mon-
dial pour la gestion des relations professionnelles?» (BIT, Genève, 15-16décembre 2006) et lors
de la convention annuelle de l’Association des études internationales (ISA) (Toronto, 26-29mars
2014). Les auteurs remercient Woori Lee, qui les a aidés à réviser leur article, ainsi que les évalua-
teurs anonymes de la Revue internationale du Travail. Ils remercient également Ray Dacey et les
participants aux conférences organisées par l’IIES et l’ISA qui leur ont fait part d’observations fort
utiles sur des versions précédentes du texte, ainsi que les représentants des fédérations syndicales
internationales et des entreprises multinationales qui ont bien voulu répondre à leurs questions.
Enn, et surtout, ils remercient Gerry Rodgers, ancien directeur de l’IIES, qui leur a apporté son
soutien au tout début des travaux de recherche dont il est rendu compte ici. Les opinions exprimées
dans le présent article sont celles des auteurs et ne reètent pas nécessairement celles de l’Organisa-
tion des Nations Unies, de l’Organisation internationale du Travail ou des institutions apparentées.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Des relations professionnelles
transnationales à la négociation
collective transfrontière
Urs LUTERBACHER*, Andrew PROSSER** et Konstantinos
PAPADAKIS***
Résumé. Face à la mondialisation, les fédérations syndicales internationales et
les entreprises multinationales ont cherché à protéger leurs intérêts par des «ac-
cords-cadres internationaux», ou ACI. En modélisant les processus de négociation
sous-jacents, les auteurs montrent que ces accords n’aboutissent que si les deux par-
tenaires présentent une aversion pour le risque et qu’ils tendent à favoriser celle
des parties chez qui cette aversion est moins prononcée, les multinationales en
l’occurrence, aux dépens des travailleurs. Les choses pourraient évoluer cependant
si les syndicats parviennent, par une action transnationale, à déstabiliser les multi-
nationales en menaçant leur réputation, rapprochant le niveau d’aversion pour le
risque des deux interlocuteurs.
L’économie mondiale connaît depuis plusieurs décennies des évolutions
qui ne sont pas sans conséquences. Les freins au commerce et à l’inves-
tissement disparaissent, les entreprises multinationales et les chaînes d’appro-
visionnement mondiales se développent, les technologies de la communication
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progressent, autant de transformations majeures, bien documentées, et sources
de controverses parfois, y compris sous l’angle de leurs conséquences sociales
et politiques. Depuis les années1970, ces évolutions poussent les syndicats et
les entreprises à revoir leurs stratégies. Face à l’internationalisation croissante
des activités commerciales et au problème posé par l’application des droits
fondamentaux au travail dans le monde, les partenaires cherchent à coopérer
à l’échelon supranational, y compris au moyen d’accords-cadres internationaux
(ACI), des dispositions qui lient les fédérations syndicales internationales et
les sociétés multinationales. Ces accords d’initiative volontaire n’ont pas de
caractère contraignant, et on peut s’interroger sur la nature des engagements
qu’ils contiennent. Cependant, ils ne doivent pas être assimilés aux codes de
bonne conduite des entreprises, puisque les représentants syndicaux participent
à leur négociation, c’est-à-dire que l’entreprise reconnaît la fédération syndi-
cale comme un interlocuteur à l’échelon mondial
1
. Ce type de relations profes-
sionnelles transnationales se développe ces derniers temps, et le nombre des
ACI ne cesse d’augmenter depuis le début du XXIesiècle2.
Nous cherchons dans cet article à montrer pourquoi ces dispositifs trans-
nationaux devraient évoluer à l’avenir, et sous quelle forme. Pour mieux saisir
l’importance des ACI, nous proposerons un modèle formel qui fait appel à la
théorie des jeux et à la théorie de la négociation. Certains auteurs ont déjà
appliqué ces deux systèmes à l’analyse des relations professionnelles, mais ra-
rement pour traiter le cas particulier de celles qui commencent à voir le jour
à l’échelon transnational3 et, à notre connaissance, personne encore n’a tenté
de comprendre les négociations conduisant à la conclusion d’ACI au moyen
d’un modèle relevant de la théorie des jeux.
Un trait essentiel de notre étude, c’est que nous chercherons à révéler l’in-
uence cruciale de la propension au risque sur l’émergence d’ACI. Nous montre-
rons en effet que la conclusion d’un accord est possible uniquement si les deux
parties présentent une aversion pour le risque, mais que les dispositions du texte
seront plus favorables à la partie chez qui cette aversion est le moins pronon-
cée
4
. Nous relèverons aussi que la mondialisation a fragilisé les travailleurs, mais
aussi les entreprises multinationales, observant en la matière une évolution des
vulnérabilités. Les syndicats et les fédérations syndicales internationales, plus
fortement déstabilisés, ont davantage tendance à éviter les risques, et davantage
1 On trouvera dans Papadakis (2011) une présentation plus exhaustive des différentes carac-
téristiques des accords-cadres internationaux.
2
Au moment de la rédaction du présent article (septembre 2017), nous établissons le nombre
des accords-cadres internationaux à 127, chiffre fondé sur nos recherches et sur les données de la
base du BIT et de la base de l’Union européenne (UE) sur les accords d’entreprise transnationaux.
3 Cooke (2005) analyse certes les relations de travail transnationales à la lumière du di-
lemme du prisonnier, mais sans proposer de modèle véritablement inspiré de la théorie des jeux.
4 Comme dans Kahneman et Tversky (1984), nous désignons par le terme «aversion pour le
risque» le comportement de l’agent qui préfère un gain certain plutôt qu’un jeu à l’issue incertaine
mais pouvant conduire à des gains supérieurs ou équivalents. La «propension au risque» désigne
au contraire le comportement de celui qui se détourne d’un gain certain et lui préfère un jeu incer-
tain pouvant déboucher sur des gains identiques ou supérieurs.

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