Un compromis de classe positif au sein d'une chaîne de production mondialisée? Le cas du protocole sur la liberté syndicale signé dans le secteur du vêtement de sport en Indonésie

AuthorKarin Astrid SIEGMANN,Jeroen MERK,Peter KNORRINGA
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12063
Date01 December 2017
Published date01 December 2017
Revue internationale du Travail, vol. 156 (2017), no 3-4
Droits réservés © auteur(s), 2017.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2017.
* International Institute of Social Studies (ISS), Université Érasme de Rotterdam. Cour-
riels: siegmann@iss.nl, j.j.s.merk@uva.nl et knorringa@iss.nl. Les auteurs remercient l’évaluateur
anonyme de ses précieuses observations.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Un compromis de classe positif au sein
d’une chaîne de production mondialisée?
Le cas du protocole sur la liberté
syndicale signé dans le secteur
du vêtement de sport en Indonésie
Karin Astrid SIEGMANN*, Jeroen MERK* et Peter KNORRINGA*
Résumé: Les initiatives privées participent à la gouvernance du travail au sein des
chaînes de valeur mondiales, mais les travailleurs n’y jouent souvent qu’un rôle
accessoire. Face à ce constat, les auteurs reprennent les thèses de Wright (2000)
sur les conditions d’un «compromis de classe positif» et les appliquent à l’analyse
du protocole sur la liberté syndicale signé dans le secteur du vêtement de sport
en Indonésie. Ils concluent que les initiatives privées ne contribueront au travail
décent que si elles s’appuient sur des syndicats locaux sufsamment puissants et
si producteurs et acheteurs se trouvent dans une situation de dépendance effective
vis-à-vis des travailleurs.
Depuis une vingtaine d’années, le volume des exportations de marchan-
dise et les ux d’investissement étranger direct connaissent une crois-
sance exponentielle dans le monde (OMC, 2012, p. 19; CNUCED, 2012,
p. 24). Il faut voir dans cet essor quantitatif l’effet d’une évolution qualitative
de l’économie mondiale, plus précisément de la tendance à la fragmentation et
à la délocalisation de la production. Cette évolution découle elle-même d’une
politique axée sur le marché, responsable aussi bien de la libéralisation éco-
nomique des pays anciennement socialistes d’Europe de l’Est et d’Asie que
de la nanciarisation des entreprises multinationales ou encore de la création
de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Certaines études sur les chaînes de valeur mondiales et les questions
connexes ont examiné la gouvernance de ces processus sous l’angle théorique
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(voir Newman, 2012, pour une analyse critique)1. Cependant, alors que la mon-
dialisation de la production s’accompagne d’une progression du travail infor-
mel et précaire dans plusieurs régions du monde, le rôle des travailleurs, y
compris au sein du secteur formel, n’a jamais été analysé comme il convient
(BIT, 2016, pp. 5-10; BIT, 2002, pp. 40-42).
Dans les rares textes qui abordent le sujet, les auteurs concluent en des
termes mesurés que la montée en gamme observée chez les fournisseurs des
pays en développement, thème central de beaucoup d’études sur les chaînes
de valeur, ne s’accompagne pas forcément d’une amélioration des conditions
de travail (Knorringa et Pegler, 2006, p. 475). Plus récemment, des chercheurs
ont dénoncé l’aveuglement qui consiste à parler de «montée en gamme» sans
examiner le sort des travailleurs et commencé à faire la part entre le succès
économique de l’entreprise et le «progrès social» en son sein (soit l’améliora-
tion des conditions de travail du personnel) – et à examiner la relation entre
une chose et l’autre (voir par exemple Barrientos, Geref et Rossi, 2011; Mil-
berg et Winkler, 2011). Ainsi, Pegler, Siegmann et Vellema (2011) ne s’arrêtent
pas à l’hypothèse de la montée en gamme; ils exploitent l’apport de la théorie
des processus de travail et afrment en conséquence que «la marginalisation
de la main-d’œuvre rurale [dans les chaînes de valeur agricoles] et les faibles
coûts du travail qui en résultent ont largement contribué à la compétitivité
des entreprises et de l’économie en général» (p. 116). Dans une analyse qui
reprend les hypothèses marxistes, Selwyn (2013, pp.87-88) préconise de son
côté une autre façon de voir les choses; il invite à mieux prendre en compte le
rôle des mouvements ouvriers et à rechercher une montée en gamme sociale,
«sous conduite des travailleurs» (labour-led).
L’évolution du débat académique que nous venons d’évoquer faisait suite
à une autre évolution, celle des revendications des militants. Syndicats, ONG
et autres organismes de défense des droits des travailleurs dénonçaient de-
puis longtemps déjà la précarité et la détérioration des conditions de travail
au sein des chaînes de valeur mondiales, sous l’effet d’un nivellement par le
bas induit depuis les années 1990 par pression de la concurrence internatio-
nale. Au sommet des chaînes de valeur, les entreprises donneuses d’ordres ont
réagi à ces critiques par différents types de programmes de responsabilité so-
ciale, des initiatives privées et spontanées (ci-après les «initiatives privées»).
Des partenaires toujours plus nombreux y ont été associés (Newitt, 2012). Le
plus souvent, cependant, ces initiatives n’ont pas véritablement amélioré les
conditions de travail au sein des chaînes de valeur, et les militants aussi bien
que les chercheurs ont estimé qu’il fallait revoir ces programmes en complé-
tant les dispositifs à bien plaire (soft law) par des règles contraignantes (hard
law) et en associant à ces efforts une tranche plus représentative des acteurs
1 Dans le présent article, nous avons retenu le terme chaîne de valeur (plutôt que chaîne
de production, réseau de production ou chaîne d’approvisionnement), car c’est celui qui tend à
s’imposer depuis la n des années 1990 dans les cercles de la recherche et du pouvoir (Newman,
201 2, p. 15 5).

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