Chocs de demande et ajustements d'effectifs: la législation protectrice de l'emploi crée‐t‐elle des rigidités?

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12098
Published date01 September 2018
AuthorIrfan Ahmad SOFI,Mohd Hussain KUNROO
Date01 September 2018
Revue internationale du Travail, vol. 157 (2018), no 3
Droits réservés © auteur(s), 2018.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2018.
* Maître de conférences, faculté de sciences économiques, Université Baba Ghulam Shah
Badshah, Rajouri (Inde); irfan.so@bgsbu.ac.in. ** Programme de bourses postdoctorales de la
Fondation Sir Ratan Tata, Institute of Economic Growth, New Delhi; mhkunroo@gmail.com.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Chocs de demande et ajustements
d’effectifs: la législation protectrice
de l’emploi crée-t-elle des rigidités?
Irfan Ahmad SOFI* et Mohd Hussain KUNROO**
Résumé. Les auteurs examinent l’effet des chocs de demande sur les ajustements
d’effectifs dans les États indiens et le rôle en la matière de la législation protectrice
de l’emploi (LPE). L’analyse repose sur des données de panel relatives au sec-
teur manufacturier (200 0-2012), les ajustements étant représentés par le taux de
rotation du personnel. Elle montre que la LPE n’empêche pas les compressions
d’effectifs: les taux de sortie, liés par une relation inverse à la rigueur de la LPE,
réagissent plus fortement aux chocs de demande négatifs dans les États protec-
teurs. Les auteurs en concluent que la LPE sert l’intérêt des entreprises comme
celui des travailleurs.
Depuis une vingtaine d’années, les économistes s’intéressent beaucoup
à l’effet de la législation relative à la protection de l’emploi (LPE) sur
l’activité économique. Certains estiment que cette législation nuit au dévelop-
pement économique: elle créerait en effet des rigidités importantes aux dé-
pens des entreprises. Cependant, les conclusions théoriques des modèles tenant
compte de l’effet de la LPE ne sont pas catégoriques, et ce dans le meilleur
des cas (Nickell, 1986; Hopenhayn et Rogerson, 1993).
Dans la littérature empirique, les auteurs qui recherchent l’effet de la
LPE sur la productivité et sur l’emploi partent du principe qu’une législation
plus favorable aux travailleurs empêche les employeurs de redimensionner
leurs effectifs s’ils le souhaitent pour se protéger des conséquences d’un choc
de demande (Besley et Burgess, 2004; Mitra et Ural, 2008; Gupta, Hasan et
Kumar, 2008; Ahsan et Pagés, 2009; Dougherty, Frisancho et Krishna, 2013;
Deakin et Sarkar, 2011). Cependant, peu d’entre eux cherchent à vérier si
la LPE introduit véritablement une forte rigidité sur des marchés du travail
aujourd’hui segmentés (du fait d’un recul progressif de la part des contrats
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stables), une question pourtant fondamentale, et les éléments factuels présen-
tés dans ces études ne permettent pas de se faire une idée très claire sur le
sujet (Betcherman, 2014). L’effet de la LPE sur l’activité économique s’avère
selon le cas positif ou nul (effet positif chez Belot, Boone et van Ours, 2007;
Nickell et Layard, 1999; Koeniger, 2005; Autor, Kerr et Kugler, 2007; effet
nul ou non signicatif chez Bertola, 1990; Dutta Roy, 2004; Fagernäs, 2010;
Deakin et Sarkar, 2011).
Nous chercherons donc ici à vérier si la LPE empêche effectivement
les entreprises de procéder à des ajustements d’effectifs pour surmonter un
choc de demande. Pour rendre compte de ces chocs de demande, nous utilisons
une variable ctive qui évolue dans le temps. Nous pouvons ainsi étudier le
comportement des producteurs par rapport à une LPE donnée. De plus, nous
démontrons que les modèles économétriques utilisés pour mettre en évidence
empiriquement l’effet de la LPE sur la productivité dans des marchés du tra-
vail segmentés tendent à déboucher sur des estimations biaisées par excès en
raison d’un problème d’endogénéité impossible à maîtriser.
Dans notre analyse, nous utilisons des données sur le secteur manufac-
turier indien. Comme la LPE varie considérablement d’un État de l’Inde à
l’autre, nous pouvons effectuer une analyse sur données de panel. En Inde,
en effet, le travail gure sur la liste dite «des compétences partagées» de la
Constitution nationale, c’est-à-dire que l’autorité centrale et les gouvernements
des États ont également compétence pour intervenir dans ce domaine, notam-
ment en légiférant. Comme on le sait, la législation sur les questions relatives
au travail est pléthorique en Inde (OCDE, 2007). À partir de la classication
proposée par Gupta, Hasan et Kumar (2008), qui regroupent les États indiens
selon que leur LPE est rigide, exible ou neutre, nous avons créé un indica-
teur quantitatif de la LPE, indicatif de la rigueur de la protection de l’emploi
offerte au sein de l’État. Pour isoler l’effet de la LPE, nous faisons de cet in-
dicateur (indice «ILPE») notre variable indépendante. Nous limitons l’ana-
lyse à 15grands États de l’Inde pour lesquels des indicateurs de la LPE sont
disponibles.
Nous organisons la suite de notre article en cinq parties. Après une pré-
sentation de la législation indienne sur la protection de l’emploi, nous passons
brièvement en revue la littérature empirique sur le sujet. Nous consacrons
ensuite une troisième partie à notre méthode, et une quatrième au commen-
taire de nos résultats. Nous présentons nos conclusions dans une cinquième
et dernière partie.
La législation sur la protection de l’emploi en Inde
Le pouvoir central indien s’est doté au l du temps d’un appareil législatif
visant à offrir un certain degré de sécurité de l’emploi aux travailleurs. Cette
protection est visée dans le chapitreVB de la loi de 1947 sur les conits du
travail, qui s’applique à toutes les entreprises manufacturières du secteur for-
mel de 100travailleurs au moins. En vertu de ces dispositions, tout projet de

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