Changement technologique et emploi au Brésil, en Colombie et au Mexique: quels sont les travailleurs les plus affectés?

AuthorJosep Lluís RAYMOND BARA,John ARIZA
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12152
Date01 June 2020
Published date01 June 2020
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 2
*Université de Tolima (Colombie), Faculté de sciences économiques et administratives, Dépar-
tement économie et nance; jfariza@ut.edu.co (auteur référent). **Université autonome de
Barcelone (Espagne), Département d’économie et d’histoire économique; Josep.Raymond@uab.cat.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Changement technologique
et emploi au Brésil, en Colombie
et au Mexique: quels sont
les travailleurs les plus affectés?
John ARIZA* et Josep Lluís RAYMOND BARA**
Résumé. L’analyse, axée sur les tâches, de la structure de l’emploi urbain du Brésil,
de la Colombie et du Mexique montre que celui-ci a nettement diminué entre 2002 et
2015 dans des professions semi-qualifiées et augmenté dans les professions faible-
ment et fortement qualifiées. La décomposition des résultats suggère que le déclin
de l’emploi des secrétaires et des sténographes s’explique entièrement par les chan-
gements intrabranche (hypothèse de «routinisation»), tandis que dans la conduite
des machines et l’artisanat l’explication tient aux changements interbranches. Sous
l’angle sociodémographique, le changement technologique affecte négativement les
femmes, mais il profite aux travailleurs plus jeunes et plus instruits.
Mots-clés: emploi, q ualification s, changement te chnologique, Amé rique latine,
Brésil, Col ombie, Mexique.
1. Introduction
Au cours des trois dernières décennies, les progrès de l’informatique, suivis
par le développement et la diusion des techniques de l’information et de la
communication (TIC) ont été des phénomènes généralisés et décisifs dans de
nombreuses économies du monde. Selon l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE), en 2014, le nombre moyen d’appareils en
ligne était de 14,8 pour 100habitants dans un échantillon de vingt-quatrepays
de l’OCDE, contre 7,3pour cent dans des pays en développement tel que le Bré-
sil, la Colombie ou le Mexique (OCDE, 2015). La propagation de ces avancées
techniques dans les entreprises et la population de l’Amérique latine s’explique
en partie par la baisse des prix et par les importantes réformes commerciales
et nancières réalisées au début des années 199 0, avec pour conséquence une
plus forte sensibilité aux évolutions internationales. Nous assistons aujourd’hui
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à une accélération des eets des TIC sur les variables économiques clés que sont
l’emploi, la productivité et salaires.
Dans le domaine de l’économie du travail, de récents travaux théoriques ont
modélisé la façon dont cette propagation des techniques informatiques change
les tâches eectuées par les travailleurs1. L’approche axée sur les tâches propo-
sée en 2003 par Autor, Levy et Murnane, consiste à considérer que le change-
ment technologique conduit à remplacer les travailleurs réalisant des tâches
routinières par des ordinateurs ou d’autres machines (hypothèse de la routini-
sation). Selon ce scénario, à mesure que le prix du capital informatique baisse,
la demande de travailleurs eectuant des tâches routinières diminue et la de-
mande de travailleurs ayant des activités non routinières s’élève. Les auteurs
partent de l’hypothèse que l’exécution de tâches routinières peut être rempla-
cée par la technologie, dont les tâches cognitives non routinières sont complé-
mentaires, et que le progrès technique n’a pas d’inuence directe sur les tâches
manuelles non routinières.
Alors que ces nouveaux modèles théoriques ont été largement appliqués
pour des travaux théoriques portant sur les économies avancées, peu nom-
breuses sont les études axées sur les tâches et consacrées à la demande de qua-
lication en Amérique latine. Pour la plupart, les études menées dans la région
s’en tiennent au cadre théorique de base qui considère seulement deux catégo-
ries de travailleurs – qualiés et non qualiés – et prévoit que les avancées tech-
niques n’auront d’eets que sur les plus qualiés, en augmentant constamment
leurs salaires. Ainsi, ce modèle «canonique», comme le qualient Acemoglu et
Autor (2011), ne considère que l’évolution monotone de la demande de quali-
cation lorsque le progrès technique se produit, elle ne s’accorde qu’avec l’hypo-
thèse traditionnelle du progrès technique favorisant la main-d’œuvre qualiée. À
l’évidence il s’agit là d’un modèle très restrictif qui ignore les eets hétérogènes
de la technologie sur toute une diversité de tâches et d’emplois.
Un exemple du caractère non monotone de l’évolution de la demande de
qualications en fonction du progrès technique est fourni par la structuration de
l’emploi dénommée «polarisation des emplois» (Goos et Manning, 2007). Selon
ce schéma, on observe une croissance relative à la fois des emplois qualiés
bien rémunérés et des emplois à qualications et rémunérations moindres, mais
une diminution des emplois demandant un niveau de qualication moyen. La
principale explication de la polarisation de l’emploi est donnée par l’hypothèse
de la routinisation, qui découle du processus de substitution, par lequel cer-
taines tâches auparavant eectuées par des travailleurs le sont désormais par
des machines. Plusieurs auteurs ont apporté des éléments empiriques à l’ap-
pui du phénomène de polarisation dans les pays développés: Autor, Levy et
1 La logique de ces modèles est évidente. Les travailleurs sont dotés de diverses qualications
grâce auxquelles ils réalisent des tâches en vue d’obtenir un résultat. Toute une série de ces tâches
peuvent être codiées pour être exécutées par des ordinateurs ou des machines, elles sont quali-
ées de tâches «de routine» ou «routinières». En revanche, formuler et vérier des hypothèses,
diriger du personnel ou conduire des camions relèvent de tâches «non routinières». Les travaux
de recherche font aussi une distinction entre les tâches cognitives et manuelles, au sein de chacune
des catégories de tâches, routinières et non routinières.

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