Le biais ploutocratique de l'indice des prix à la consommation indien

Published date01 June 2019
DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12126
Date01 June 2019
AuthorDilip M. NACHANE,Aditi CHAUBAL
Revue internationale du Travail, vol. 158 (2019), no 2
Droits réservés © auteur(s), 2019.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2019.
Le biais ploutocratique de l’indice
des prix à la consommation indien
Dilip M. NACHANE* et Aditi CHAUBAL**
Résumé. Des études montrent que les indices des prix à la consommation (IPC)
de type Laspeyres, plutôt calqués sur la structure des dépenses des ménages aisés,
souffrent d’un biais ploutocratique. Les auteurs recherchent ce biais en Inde de
2012 à 2015 , en construisant un indice démocratique qui met tous les ménages
sur un pied d’égalité. Ils analysent la situation pour plusieurs sous-indices (rural,
urbain, régionaux), différentes fonctions de consommation et trois tranches de dé-
penses. Ils soulignent que le biais mis en évidence, qui pénalise les ménages et ré-
gions les plus pauvres, a des répercussions potentielles sur la politique monétaire
et l’indexation des paiements de transfert.
La publication ofcielle d’indices pour rendre compte de la variation du
prix d’un panier type de consommation, exprimée en pourcentage, est
une pratique qui date d’un siècle et demi au moins1. Sous leurs différentes va-
riantes, les indices de Laspeyres et de Paasche (apparus dans les années 1870)
ont toujours la faveur des ofces nationaux de statistique, qui les utilisent à
des ns diverses. Le plus populaire de ces indicateurs ofciels est l’indice des
prix à la consommation (IPC), qui permet de suivre l’évolution du coût de la
vie en calculant le prix d’un panier de consommation type sur une période de
temps donné. Dans la plupart des cas, l’IPC est un indice de Laspeyres ou l’une
de ses proches déclinaisons comme l’indice de Lowe ou l’indice de Young (voir
BIT et coll., 2004). Depuis Konüs (1939), nous savons que l’indice de Laspeyres
(quand il sert à mesurer le coût de la vie) souffre d’une déformation systéma-
tique vers le haut du fait qu’il ignore les substitutions possibles. En effet, la
composition du panier type est xe, et ne rend pas compte du remplacement
toujours possible d’un produit par un autre sous l’effet d’une modication
* Recteur, Université du Manipur (Inde); professeur honoraire, Indira Gandhi Institute
of Development Research, Mumbai; nachane@igidr.ac.in. ** Indian Institute of Technology
Bombay, Mumbai; aditichaubal@iitb.ac.in (auteur référent). Les auteurs remercient les deux
lecteurs anonymes de leurs précieuses observations, qui leur ont permis d’apporter des améliora-
tions notables à leur article.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
1 Chance (1966) fait l’historique de cette utilisation dans un article passionnant.
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des prix relatifs. Dans le rapport de la Commission Boskin (voir Congrès des
États-Unis, 1996) – l’une des analyses les plus approfondies sur l’IPC aux
États-Unis –, les auteurs détaillent plusieurs autres faiblesses des indices de
type Laspeyres-Lowe-Young (LLY) pour l’établissement d’IPC, dont les dé-
formations liées au fait que de nouveaux produits non prévus dans le panier
type peuvent faire leur apparition, ou que les consommateurs peuvent acheter
les mêmes produits mais en les choisissant d’une autre qualité, ou alors en se
rendant dans d’autres types de points de vente. En outre, ces indices ne sont
pas «superlatifs» (voir Diewert, 1976), c’est-à-dire qu’ils ne sont pas le reet
exact de l’évolution du coût de la vie sur une période donnée2.
Les indices de type LLY posent un autre problème encore, d’une im-
portance considérable mais peu traité, à savoir celui du biais ploutocratique.
Cette déformation est liée à la construction même de l’indicateur, qui donne
plus de poids, par dénition, aux groupes de consommateurs les plus aisés, si
bien que l’IPC et les taux d’ination calculés sur cette base reètent plutôt le
coût de la vie (et son renchérissement) tel qu’il peut être observé dans le haut
de la répartition des revenus, plutôt que dans le bas de l’échelle. Les premiers
à avoir attiré l’attention sur le problème dans les cercles économiques sont
Prais (1959) et Nicholson (1975). Fry et Pashardes (1986), Pollak (1998), Dea-
ton (1998) et d’autres ont approfondi l’analyse. Des estimations empiriques de
l’écart ploutocratique (écart par rapport à un indice non biaisé) ont alors été
établies pour différents pays, l’Espagne en particulier (Ley, 2005; Izquierdo,
Ley et Ruiz-Castillo, 2003), mais aussi les États-Unis (Deaton, 1998; Kokoski,
2000), le Royaume-Uni (Deaton et Muellbauer, 1980; Fry et Pashardes, 1986)
et la Hongrie (Newbery, 1995)3. Les politiques de «ciblage d’ination» adop-
tées par plusieurs banques centrales ont donné au problème une résonance
particulière, car, en présence d’un biais ploutocratique, les politiques moné-
taires dénies dans ce cadre risquent d’avoir un effet pénalisant sur les plus
pauvres. Ce biais a aussi des répercussions dans les pays qui indexent le mon-
tant des salaires ou des prestations sociales par rapport à l’IPC.
Dans notre article, nous cherchons à calculer le biais ploutocratique pou-
vant être associé au nouvel indice indien des prix à la consommation, qui a
2012 comme base, pour les quatre années comprises entre 2012 et 2015. De
notre point de vue, l’analyse revêt une importance particulière dans le cas de
l’Inde, un pays encore très pauvre et très inégalitaire, à la fois sous l’angle du
revenu et de la consommation, où l’on peut observer des structures de dé-
penses très variables selon le niveau de richesse et la région. Dans ce contexte,
il est primordial de se demander qui subit l’ination au premier chef, surtout
si l’on considère que les salaires du secteur formel sont le plus souvent in-
dexés, alors que ceux du secteur non structuré ne le sont pas, et que la Banque
2 Afriat et Milana (2009) examinent plus précisément la question des indices exacts et su-
perlatifs. En termes mathématiques, on peut considérer que l’indice superlatif donne une approxi-
mation de deuxième ordre d’une fonction d’utilité homothétique (voir Armknecht et Silver, 2012,
p. 4, note de bas de page 3).
3 On se reportera à Ley (2005, p. 639) pour une liste plus exhaustive de ces études.

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