Ampleur et modalités du non‐respect de la loi sur le travail dans l'industrie en Inde

AuthorUrmila CHATTERJEE,Ravi KANBUR
Published date01 September 2015
DOIhttp://doi.org/10.1111/j.1564-9121.2015.00260.x
Date01 September 2015
*
Banque mondiale, courriel: uchatterjee@worldbank.org. **
Université Cornell, courriel:
sk145@cornell.edu. Les points de vue exprimés ici sont ceux des auteurs et non ceux de quelque
institution à laquelle ils seraient liés. Les auteurs remercient pour leurs commentaires les partici-
pants au séminaire du Centre d’études du développement Trivandrum, la Banque centrale de l’Inde
et la Banque mondiale (New Delhi).
Les articles paraissant dans la RIT, de même que les désignations territoriales utilisées,
n’engagent que les auteurs, et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions
qui y sont exprimées.
Copyright © Banque mondiale 2015
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail 2015
Revue internationale du Travail, vol. 154 (2015), no 3
Ampleur et modalités
du non-respect de la loi
sur le travail dans l’industrie en Inde
Urmila CHATTERJEE* et Ravi KANBUR**
Résumé. S’il est notoire que le non-respect du droit du travail est monnaie cou-
rante dans les pays en développement, on n’a guère d’éléments précis sur son
ampleur. Les auteurs ont quantié les violations de la loi indienne sur les établis-
sements industriels: les entreprises contrevenantes sont le double de celles qui res-
pectent la législation, mais aussi bien plus nombreuses que celles qui l’évitent. Ainsi
ce non-respect est-il une caractéristique du «segment intermédiaire manquant» en
Inde. Les auteurs explorent les grandes tendances et les modalités de ces violations
et montrent les pistes à suivre par la recherche et pour l’action.
Le fardeau réglementaire qui pèse sur les entreprises est un grand sujet
de discussion dans les sphères politiques comme dans la rue. En effet,
on dit souvent que les entreprises croulent sous des réglementations dont le
coût plombe leur productivité et leur croissance. Dans la logique de cette argu-
mentation, une déréglementation radicale s’imposerait. Toutefois on peut pen-
ser que les réglementations ont été adoptées avec quelque raison; la théorie
économique suggère qu’il existe des situations dans lesquelles les réglemen-
tations peuvent être protables à l’économie et à la société tout entière. Dans
ces conditions, la déréglementation devrait être envisagée avec précaution.
L’Inde n’échappe pas au débat général sur la réglementation. La décla-
ration des entreprises, la législation du travail et une multitude d’autres ré-
glementations corsetteraient les entreprises, entravant leur efcacité et leur
croissance, donc le progrès économique: ce raisonnement est devenu un lieu
commun. Une pièce maîtresse de la législation indienne du travail, la loi de
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1948 sur les établissements industriels1, qui impose aux entreprises d’une cer-
taine taille de se déclarer et, conséquemment, de respecter certaines régle-
mentations. On avance que cette loi est l’une des raisons du phénomène du
«segment intermédiaire manquant»
2
, car elle dispose que seules les entreprises
occupant au moins 10travailleurs – 20 si elles n’utilisent pas d’électricité–
doivent se déclarer. On l’accuse donc d’entraver l’expansion des petites entre-
prises prospères en les incitant à rester «hors de portée des radars» de la loi.
Toutefois, pour ses défenseurs elle offre d’importantes protections aux travail-
leurs, surtout en matière de sécurité et de santé au travail.
Il est frappant de voir combien ces deux argumentations ignorent la ques-
tion du non-respect de la loi, alors que cette ignorance ampute sérieusement
tout raisonnement sur la réglementation. Quelle est l’ampleur des violations?
Qui respecte la loi et qui y contrevient? Comment l’ampleur et les modalités
du non-respect évoluent-elles? Sans réponses à ces questions, le débat sur la
réglementation reste purement abstrait, sans rapport avec la réalité.
En Inde, mais aussi partout ailleurs, les éléments de preuve du non-res-
pect de la législation restent largement de l’ordre d’informations ou de récits
factuels: il y a peu de collectes systématiques de données sur son ampleur, sa
nature et ses causes. Une des raisons est qu’il est difcile d’établir la preuve de
ce non-respect –c’est-à-dire de l’illégalité– par les moyens d’enquête directs.
Toutefois, dans certaines circonstances, on peut l’établir de façon indirecte. Par
exemple, s’agissant de la législation sur le salaire minimum, les enquêtes sur
la main-d’œuvre ou auprès des ménages donnent lieu à la collecte d’informa-
tions sur le salaire des personnes interrogées, ainsi que sur la nature de leur
emploi. Le rapprochement de la localisation, du secteur et de la profession
d’un travailleur, du salaire minimum applicable et du salaire pratiqué permet
d’établir s’il y a ou non violation de la loi, sans avoir à approcher l’entreprise
où la personne travaille3. Toutefois, ces méthodes fondées sur les réponses des
travailleurs ne donnent pas les informations détaillées nécessaires à une ana-
lyse du non-respect axée sur l’entreprise.
En Inde, une méthode indirecte d’établissement du non-respect de la
loi sur les établissements industriels consiste à exploiter les résultats des en-
quêtes quinquennales sur les entreprises non déclarées, menées par le Bureau
national d’enquêtes par échantillonnage (NSSO) qui collecte, entre autres, des
données sur le nombre de travailleurs et l’utilisation de l’électricité, les deux
critères en fonction desquels la loi s’applique. Partant de ces données, il est
possible de quantier le non-respect. Ces enquêtes ont, bien entendu, déjà
1 Loi no 6 3 de 1948, modiée par la loi (modicative) sur les établissements industriels
de 1987 (Loi no 20 de 198 7). Texte disponible à l’adresse https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/
WEBTEXT/32063/6 4873/E87IND01.htm [consulté le 21sept. 2015].
2
En économie du développement, la notion de «segment intermédiaire manquant» ou «seg-
ment manquant» fait référence à une répartition des entreprises avec un très grand nombre de pe-
tites entreprises, quelques grandes entreprises et un nombre inme d’entreprises moyennes.
3 Pour une application de cette méthode à l’Afrique du Sud, voir Bhorat, Kanbur et Mayet
(2012); au Chili, Kanbur, Ronconi et Wedenoja (2013).

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