Les tâches de l'OIT à l'heure de son centenaire

DOIhttp://doi.org/10.1111/ilrf.12135
Published date01 March 2020
Date01 March 2020
Droits réservés © auteur(s), 2020.
Compilation et traduction des articles © Organisation internationale du Travail, 2020.
Revue internationale du Travail, vol. 159 (2020), no 1
*Professeur émérite au Collège de France. Membre émérite de l’Institut d’études avancées
de Nantes.
Les articles paraissant dans la Revue internationale du Travail n’engagent que leurs auteurs,
et leur publication ne signie pas que le BIT souscrit aux opinions qui y sont exprimées.
Les tâches de l’OIT à l’heure
de son centenaire
Alain SUPIOT *
Résumé. Les principes – énoncés dans sa Constitution et dans la Déclaration de
Philadelphie –qui dénissent les missions de l’OIT n’ont rien perdu de leur va-
leur ni de leur actualité. En revanche, les conditions dans lesquelles ces missions
s’exercent ont profondément changé. Le monde du travail est aujourd’hui le théâtre
de bouleversements écologiques, technologiques et institutionnels, qui sont autant
de dés à relever. La contribution de l’OIT à cette tâche devrait s’ordonner autour
de trois principes, dont la mise en œuvre correspond à ses missions constitution-
nelles: les principes de solidarité, de démocratie économique et de responsabilité
socio-écologique.
Mots-c lés: OIT, avenir du travail , Constituti on de l’OIT, Déclaration de Philadel-
phie, missi on normative de l’OIT.
Le centenaire de l’Organisation internationale du Travail est une occasion his-
torique de réarmer ses principes fondateurs et d’éclairer leur mise en œuvre
dans les conditions propres au XXIesiècle.
Les principes constitutionnels sur lesquels repose l’OIT n’ont en eet rien
perdu de leur valeur, ni de leur actualité. Considérant «qu’ une paix universelle
et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale», le préam-
bule de sa Constitution lui donne pour mission première d’éviter que «la non-
adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain
[fasse] obstacle aux eorts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des
travailleurs dans leurs propres pays». Il lui incombe donc non pas d’imposer à
tous les États un même régime de travail, mais de soutenir les eorts de ceux
qui veulent améliorer le sort de leurs travailleurs et d’éviter que ces eorts ne
les désavantagent vis-à-vis des pays qui s’en abstiennent.
À cette première mission, la Déclaration de Philadelphie en a ajouté une
seconde, qui consiste à veiller à ce que «tous les programmes d’action et
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mesures prises […] dans le domaine économique et nancier» soient de nature «à
favoriser, et non à entraver» le droit de tous les êtres humains «de poursuivre
leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité,
dans la sécurité économique et avec des chances égales». Il incombe à l’OIT de
«prendre toutes dispositions qu’elle juge appropriées» pour que l’organisation
économique et nancière internationale serve cet «objectif fondamental» d’une
plus grande justice sociale.
Les conditions dans lesquelles ces deux missions s’exercent ont profondé-
ment changé depuis la n de la seconde guerre mondiale. Il convient d’iden-
tier les questions nouvelles soulevées par le travail au XXIesiècle (première
partie) avant d’évoquer les réponses qui pourraient y être apportées (seconde
partie).
1.   Nouveaux dés: 
le devenir du travail au XXIe siècle
L’organisation du travail dans le monde est aujourd’hui le théâtre de trois bou-
leversements de grande ampleur, qui sont autant de dés à relever par l’OIT:
un dé technologique, un dé écologique et un dé institutionnel.
1.1.  Un dé technologique
Les conditions d’établissement du «régime de travail réellement humain» visé
par la Constitution de l’OIT varient avec l’état des techniques (voir Musso et Su-
piot, 2018). En eet chaque époque tend à assimiler le travail des hommes aux
autres forces de production dont elle dispose, de sorte que chaque révolution
technologique conduise à des formes nouvelles de déshumanisation. Jusqu’à
l’ère industrielle, cette déshumanisation a pris ainsi la forme de l’esclavage ou
du servage, qui étend aux travailleurs la condition des animaux domestiques.
Depuis le XVIII
e
siècle, l’imaginaire techno-scientique assimile les hommes aux
machines. Lors de la seconde révolution industrielle, «l’organisation scientique
du travail» a ainsi consisté à traiter les travailleurs comme des dispositifs mé-
caniques subordonnés à la cadence inexible des chaînes de production1. Cette
assimilation a été rendue supportable par le droit du travail qui, tout en fai-
sant de cet état de subordination le critère du contrat de travail, l’a assorti de
certaines sécurités physiques et économiques et a consacré la liberté syndicale
pour permettre aux salariés d’agir et de négocier collectivement. Expression de
cet échange entre subordination et sécurité, l’emploi salarié est alors devenu la
forme paradigmatique du travail.
Avec la révolution informatique, l’assimilation du travailleur à la machine
prend un nouveau visage. Il n’est plus conçu sur le modèle d’une machine
obéissant mécaniquement aux commandes qu’elle reçoit, mais sur celui de
1 Voir «La rationalisation (23 février 1937)», texte partiel d’une conférence tenue par Simone
Weil en 1937 (Weil, 1964, pp.289-315 ). Sur le débat auquel a donné lieu cette organisation «scien-
tique» dans le mouvement ouvrier, voir Trentin (1997).

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