La partie exécutante maritime : obligations et res ponsabilité

AuthorPhilippe Delebecque
ProfessionProfesseur à l'Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne).
Pages243-257

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1. Introduction
  1. L’un des grands mérites du droit maritime est de savoir instituer des concepts originaux répondant aux nécessités économiques. Ce sont autant d’enrichissements du corpus juridique et de son vocabulaire. Sans remonter aux origines, citons le cas du pilote, du capitaine, du consignataire, du subrécargue, de l’agent maritime... et sans doute du transporteur lui-même long-temps confondu, selon les cas, avec le fréteur ou l’affréteur du navire et aujourd’hui soumis à un régime juridique qui lui est propre. Plus récemment sont apparus, au fil des évolutions techniques et des besoins modernes d’exploitation, les affréteurs d’espace (slot charterers), les transporteurs sans navire (NVOCC), les consortiums et grandes alliances, dont les fonctions et responsabilités ne sont pas toujours faciles à délimiter. Les textes récents, après leurs aînés, s’efforcent de consacrer les créations de la pratique, à l’exemple de la Convention des Nations Unies sur la responsabilité des opérateurs de terminaux de transport internationaux du 19 avril 1991, donnant précisément un statut juridique à l’opérateur d’un terminal de transport (« operator of a transport terminal »). Les Règles de Hambourg ont de leur côté précisé la situation du transporteur substitué (« actual carrier »), venant doubler le transporteur contractuel. Les Règles de Rotterdam n’ont pas échappé au mouvement et se sont montrées à cet égard très prolixes : ne parlentelles pas du chargeur documentaire (« documentary shipper »), de la partie contrôlante (« controlling party ») ainsi que de la partie exécutante (« performing party ») et de son succédané, la partie exécutante maritime (« maritime performing party ») ?

  2. Il faut reconnaître que, dans le monde des transports, de nombreux auxiliaires gravitent autour des deux personnages centraux que sont le char-geur et le transporteur. La division du travail est une réalité. Le chargeur est

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    en relation avec plusieurs intermédiaires : le transitaire, le commissionnaire en douane, le commissionnaire de transport (« freight forwarder »), voire le logisticien. Quant au transporteur, il s’adresse, lui aussi, à de nombreux auxiliaires, pilotes, remorqueurs, manutentionnaires, acconiers, stevedores, agents ... et s’adjoint de nombreux sous-traitants. Il est rare qu’un transport, fût-il interne, s’exécute d’un seul trait avec un seul opérateur. Au transporteur contractuel, s’ajoutent les préposés, les transporteurs substitués, les transporteurs de fait ..., en d’autres termes, les exécutants.

    Dans le transport de passagers, le concept de transporteur de fait est depuis longtemps reconnu. La Convention de Guadajara du 18 septembre 1961 a unifié les règles relatives au transport aérien international effectué par une autre personne que le transporteur contractuel. Le texte tend essentiellement à soumettre le transporteur de fait au régime conçu pour le transporteur contractuel (Convention de Varsovie), le transporteur de fait étant défini comme la personne autre que le transporteur contractuel, qui, en vertu d’une autorisation donnée par le transporteur contractuel, effectue tout ou partie du transport. La Convention de Montréal a repris cette idée très simple et très juste en intégrant les dispositions dans le corps même de l’instrument. Depuis, la notion s’est affinée, mais reste très présente, notamment dans le droit aérien communautaire : dans l’application du règlement 261-2004, c’est le « transporteur effectif » qui est en première ligne (CJCE 9 juill. 2009, C 204/08).

    De leur côté, la Convention d’Athènes et son protocole de 1992, repris par le règlement sur les transports maritimes de passagers (juin 2009), soumet-tent à leurs règles non seulement « le transporteur par qui ou pour le compte de qui le contrat a été conclu », mais aussi « le transporteur substitué », c’està-dire « la personne autre que le transporteur, propriétaire, affréteur, exploitant, qui assure effectivement la totalité ou une partie du transport ».

    Dans le transport de marchandises, la CMR n’est pas allée aussi loin. Elle s’est sans doute intéressée aux transporteurs successifs (art 34 s.), mais, sur la situation même du transporteur de fait, elle s’est contentée de dire (art. 3) que le transporteur répondait des actes et omissions non seulement de ses préposés, mais aussi de « toutes autres personnes auxquelles il recourt pour l’exécution du transport dans la mesure où ces personnes agissent dans l’exercice de leurs fonctions ». Une simple responsabilité contractuelle du transporteur pour fait d’autrui - le fait du substitué - est organisée.

    La CMNI (transports fluviaux) et la CIM (transports ferroviaires) ont été plus ambitieuses, voilà des dispositions assez claires, précisant que le transporteur de fait doit être assimilé au transporteur contractuel.

    Il faut observer, une fois encore, que le droit maritime avait lui-même pris les devants. Alors que les Règles de La Haye et celles de La Haye Visby sont muettes sur la question, les Règles de Hambourg n’ont pas hésité, après avoir pris le soin de définir le transporteur substitué (cf. art. 1-2 : "actual carrier means any person to whom the performance of the carriage of the

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    goods or of part of the carriage has been entrusted by the carrier and includes any other person to whom such performance has been entrusted"), à lui donner un statut clair et précis (art. 10-2 : "all the provisions of this convention governing the responsibility of the carrier also apply to the responsibility of the actual carrier for the carriage performed by him").

  3. Inutile, toutefois, de rappeler que ces Règles si intéressantes-soientelles n’ont pas été largement ratifiées. De plus, si la pratique a elle aussi reconnu et souligné l’importance du transporteur substitué, elle est restée très en retrait des dispositions conventionnelles. Ainsi, le connaissement type Maersk (idem B/L CMA-CGM) évoque bien le transporteur et opérateurs subs-titués2, en relevant le droit pour le transporteur contractuel de sous-contracter (« to sub-contract the whole or any part of the carriage contract »), mais en interdisant en même temps au chargeur d’engager une action contre eux3.

    La solution est discutable et de nature à porter atteinte aux droits du char-geur. Il était donc nécessaire d’aller plus loin et de reconnaître définitivement un droit d’action contre le transporteur substitué et plus généralement contre tout sous-traitant. C’est ce que font les Règles de Rotterdam en consacrant la notion de partie exécutante et en lui conférant un statut cohérent.

    Les parties exécutantes ne sont pas précisément des parties au contrat de transport. Ce ne sont pas des parties contractuelles, des parties qui concluent le contrat. Elles ne méritent donc pas, à proprement parler, la qualité de « parties »4. Ce sont des personnes qui participent à l’exécution du contrat principal et qui sont introduites dans le cercle contractuel par la partie tenue de la prestation caractéristique, en l’occurrence le transporteur.

    Ce ne sont donc pas des co-contractants, i.e. des contractants placés sur la même ligne que le contractant principal, comme on en rencontre dans le mandat, avec les co-mandants, dans le cautionnement avec les co-cautions ou encore dans le transport et plus précisément en cas de transports successifs

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    (cf. CMR, art. 34 considérant que lorsqu’un transport régi par un contrat unique est exécuté par des transporteurs routiers successifs, chacun de ceux-ci assume la responsabilité du transport total).

    Les parties exécutantes ne sont pas davantage des cessionnaires. La cession de contrat ne doit pas être confondue avec le sous-contrat. En cas de cession de contrat, le cessionnaire recueille du cédant sa qualité de contractant et devient partie au contrat initial. Tout se passe comme si le cessionnaire prenait, pour l’avenir, la position contractuelle du cédant. Ainsi en est-il en cas de cession de bail consentie par le bailleur lui-même : le cessionnaire devient le nouveau bailleur et le nouveau titulaire du contrat de bail. En cas de sous-contrat, le contrat initial est maintenu, mais à ce contrat s’adosse un nouveau contrat qui est le sous-contrat lui-même. Ainsi en est-il en cas de sous-location : à la location initiale qui demeure, s’ajoute une seconde location, la sous-location. Le sous-affrètement en est un bon exemple.

    Une partie exécutante est souvent un sous-contractant, mais elle n’a pas nécessairement cette qualité, car le contrat qu’elle conclut n’a pas forcément la même nature que le contrat principal. De plus, il suffit qu’elle participe à l’exécution du contrat : il peut donc s’agir d’un préposé ou plus généralement de toute personne qui agit pour le compte du contractant principal. On pourrait dire que cet agrégat constitue un ensemble contractuel dans lequel est impliquée la partie exécutante.

  4. Au demeurant, dans les Règles de Rotterdam cette approche théorique est relativement secondaire, car la convention a pris le soin de donner une définition de la partie exécutante.

    L’article 1-6 précise, d’un point de vue positif, que la partie exécuante : "means a person other than the carrier that performs or undertakes to perform any of the carrier’s obligation under a contract of carriage with respect to the receipt, loading, handling, stowage, carriage, care, unloading or delivery of the goods, to the extent that such person acts, either directly or indirectly, at the...

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